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Des questions essentielles allant au-delà de l’enjeu que constitue l’amélioration d’ici à 2020 du fonctionnement de l’Accord de partenariat de Cotonou en tant que cadre de coopération ACP/UE, on surgi ces dernières années. Elles traduisent la nécessité urgente d’envisager l’avenir et de réévaluer le rôle de l’Accord face à l’évolution rapide de l’environnement mondial, européen et ACP dans lequel les politiques s’inscrivent.

Une question fondamentale s’impose cependant : comment l’Accord de Cotonou peut-il conserver sa pertinence dans le monde aujourd’hui, s’adapter aux mutations rapides et aux nouvelles réalités économiques et politiques mondiales, et devenir un cadre plus solide de coopération internationale.

Trois scénarios sont à envisager : l’Accord de Cotonou reste pertinent mais un léger réaménagement pourrait s’avérer nécessaire pour en améliorer le fonctionnement (A) ; Cotonou et la coopération UE/ACP ont perdu de leur pertinence et n’ont aucun avenir dans un monde en mutation (B) ; Cotonou offre encore un potentiel mais des aménagements fondamentaux s’imposent face aux réalités actuelles (C).

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L’Accord de partenariat de Cotonou : vers une nouvelle forme de coopération entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ?

A. Un accord pertinent mais « réaménageable »

L’Accord de Cotonou repose sur un fondement historique solide, constitué d’intérêts communs, et devrait rester le cadre privilégié des relations ACP/UE. Ce premier scénario prend pour hypothèse de départ que l’APC conserve toute sa pertinence politique en ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, les Caraïbes et le Pacifique. En se regroupant, les trois régions renforcent leur puissance de négociation face à d’autres blocs régionaux. En sa qualité de « plus grand regroupement de développement du monde »239, au sens où il inclut le nombre le plus élevé de pays les moins avancés et des groupes importants de pays enclavés, insulaires et vulnérables, le groupe ACP est l’instance légitimement la mieux placée pour défendre les intérêts de ces pays sur la scène multilatérale et dans les relations avec l’UE. Les partisans de l’APC et de la cause ACP affirment que la solidarité ACP reste forte. L’un des exemples les plus positifs de l’efficacité d’action du groupe ACP a été d’obtenir, lors de la 4ème réunion ministérielle de l’OMC à Doha en 2001240. Le fait que la région des Caraïbes préfère s’aligner avec l’Afrique plutôt qu’avec l’Amérique Latine, parce qu’elle éprouverait la plus vive difficulté à faire valoir sa spécificité au sein d’un groupe latino-américain, est une autre illustration révélatrice.

La grande diversité qui caractérise le groupe des soixante dix-neuf pays ACP doit être perçue comme un atout du partenariat et non comme un frein. Les partisans de Cotonou affirment qu’il existe un cadre de coopération Nord-Sud doté d’une structure institutionnelle paritaire contractuelle aussi sophistiqué et aussi stable, de dialogue sur les questions politiques, économiques et de développement.

L’Accord de Cotonou est également présenté comme une source de valeur ajoutée et de potentiel encore inexploitée dans la mesure où son cadre permet de renforcer l’efficacité de l’aide. L’Accord reste un modèle en matière de partenariat, de bonne gouvernance,

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ENGEL Paul, BOSSYUT Jean, LAPORTE Geert et MACKIE James, opt.cit.

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ABBAS Medhi (2006), Les rapports Nord-Sud et Sud-Sud dans l’agenda pour le développement de l’Organisation mondiale du commerce, in Ch. DEBLOCK, H. REGNAULT (dir), Nord-Sud, La reconnexion

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d’alignement et d’harmonisation, de même que de cohérence des politiques en faveur du développement, de coordination et de complémentarité.

Il offre la possibilité de renforcer l’appropriation locale et nationale, et la participation multi acteur au développement. Enfin et surtout, l’APC est perçu comme possédant les mécanismes concrets permettant de tirer les enseignements de l’expérience grâce à des processus exhaustifs de programmation, d’évaluation à mi-parcours et d’évaluation finale. Il est évident que même aux yeux de ses défenseurs les plus ardents, l’APC n’est pas parfait. Ses modalités de mise en œuvre pourraient être améliorées et ses lourdeurs bureaucratiques atténuées, mais les principes fondamentaux de l’Accord devraient être conservés à tout prix.

Selon le deuxième scénario, le cadre instauré de longue date entre les ACP et l’UE a atteint ses limites et ne permet plus de faire face à des défis mondiaux de plus en plus vastes et complexes, ni aux évolutions intervenant au sein même de l’UE.

B. Un accord sans avenir dans un monde en mutation

Lorsque les relations ACP/UE ont démarré en 1975 avec la première Convention de Lomé, le monde s’organisait globalement autour d’un axe Nord-Sud – mais un monde multipolaire plus complexe et plus diffus s’est mis en place à l’aube du 21ème siècle. De nouvelles puissances voient le jour dans le domaine développement (la Chine, l’Inde et le Brésil notamment) et leurs intérêts en Afrique ne cessent de croître. Le groupe ACP tend à se fragmenter, et il est frappant de constater que la coopération en son sein reste embryonnaire après près de quarante années d’existence. La cohésion du groupe ACP risque d’être compromise davantage encore par l’adoption des APE241. Un regroupement et un repositionnement des régions géographiques et des organisations (sous-) régionales sont en cours un peu partout dans les pays ACP – l’un des principaux exemples étant la création de l’Union africaine en 2002, laquelle réunit l’ensemble des pays du continent (y compris l’Afrique du Nord qui ne fait pas partie des pays ACP) au sein d’une alliance de coopération politique, économique,

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sociale et culturelle sans précédent sur le continent africain. De toute évidence, l’Accord de Cotonou ne répond pas au souhait de l’Afrique d’être traitée comme entité unique242.

D’autres évolutions analogues sont observées au niveau de l’UE qui tente, au travers des stratégies régionales distinctes, à différencier ses partenariats respectifs avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, et avec les communautés économiques régionales au sein des ACP. L’émergence rapide de ces nouvelles tendances remet en jeu le partenariat conclu de longue date entre les ACP et l’UE, voire le groupe ACP lui-même. Les détracteurs affirment que ce dernier éprouve la plus vive difficulté à se repositionner et à se montrer proactif243. Les changements qu’il subit actuellement tendent par ailleurs à renforcer le sentiment qu’il est une construction artificielle dont seule la bénédiction de l’UE permet la survie244. Les ACP n’ont guère eu de visibilité dans le monde en dehors de leurs liens historiques avec l’Union européenne : le fait que les autres puissances mondiales ne manifestent aucun intérêt à nouer des relations particulières avec eux en tant que groupe, en est la preuve suffisante. La Chine et l’Amérique Latine préfèrent conclure des partenariats spéciaux avec l’Afrique au travers des communautés économiques régionales et de l’Union africaine, plutôt qu’avec les ACP245.

L’UE elle-même partisane et alliée de longue date des ACP, ne semble plus attacher au partenariat la même importance que jadis. L’émergence de groupements régionaux, et de l’Union africaine en particulier, met en place des interlocuteurs avec lesquels l’UE peut engager un dialogue politique de région à région comme elle n’a jamais pu le faire avec le groupe ACP. Les nouveaux accords et arrangements régionaux (Stratégie conjointe UE-Afrique, APE, etc.) reprennent progressivement à leur compte les caractéristiques qui faisaient la particularité de l’Accord de Cotonou. Des pressions croissantes s’exercent par ailleurs depuis quelques années sur le FED et ses spécificités (contributions des Etats membres et gestion conjointe notamment). La CE semble affecter de plus en plus systématiquement les ressources du FED à des programmes et des facilités (santé, eau,

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Commission européenne, Accord de partenariat économique : questions et réponses, Bruxelles, 2007,

MEMO/O7/88.le 1er mars 2007, p 7.

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ECDPM , (2008), La révision de 2010 et l’avenir de l’Accord de Partenariat de Cotonou, Document de réflexion n° 85, Rapport d’un séminaire informel tenu à Maastricht, le 4 juillet 2008 p 20.

244

ECDPM, Document de réflexion, ibid.

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LAPORTE Geert, Quel avenir pour le groupe ACP et l’Accord de Cotonou ?, Note d’information n°34-avril 2012 ECDPM, p 5.

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énergie, Facilité de soutien à la paix en Afrique, etc.) en abandonnant souvent les principes de la gestion conjointe et en érodant de facto le partenariat avec les ACP246.

Les détracteurs de l’Accord de Cotonou affirment que ces tendances sont irréversibles et que le défendre à tout prix n’a aucun sens. Les efforts déployés par le groupe ACP pour inverser le sens de la marée et tenter de s’adapter seront vains, parce que le « tsunami » engendré par l’accélération de l’évolution des intérêts et des relations internationales ne pourra être contenu. Ces mêmes détracteurs ajoutent que les phénomènes auront une envergure d’autant plus grande que le groupe ACP et son secrétariat, conjuguée à la lenteur des mécanismes décisionnels et à une capacité limitée des ACP en termes de ressources humaines et financières, ne font qu’ajouter à ce manque de crédibilité.

Le troisième scénario reconnaît la nécessité d’une adaptation majeure de l’APC en raison de la transformation profonde du contexte international ces dernières années.

C. Un accord pertinent qui doit s’adapter aux réalités actuelles

Ce scénario prend pour hypothèse de base que plusieurs principes et instruments qui sous-tendent l’Accord de Cotonou restent pertinents dans une perspective de développement. D’importantes préoccupations s’expriment néanmoins quant à la survie d’un Accord qui ignore les processus de transformation fondamentale du contexte international. Des adaptations de grande envergure s’imposent pour conserver à l’AC son rôle légitime dans les relations ACP/UE, maintenant et au-delà de 2020 :

· Assurer la pérennité de la pertinence par l’amélioration quantitative et qualitative des résultats. Les innovations de l’APC continuent d’inspirer une vision moderne et originale de la coopération internationale au travers du dialogue politique, de l’approche participative, de la programmation, de la gestion basée sur les performances, de mécanismes pragmatiques d’apprentissage par le biais des réexamens à mi-parcours et finaux, etc. Le défi consiste à

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faire fonctionner ce cadre original sur le terrain et à démontrer sa capacité de promouvoir un changement positif en termes de développement247.

· Redynamiser les institutions de l’APC dans une perspective de dialogue politique. Sur le papier, le cadre institutionnel unique instauré par l’APC (Conseil paritaire des ministres, comité des ambassadeurs, Assemblée parlementaire paritaire, etc.) dote les relations ACP d’un avantage comparatif par rapport aux nouvelles configurations et aux groupements régionaux émergents, qui ne peuvent s’appuyer sur des structures aussi sophistiquées. Il s’avère néanmoins impératif, si l’on veut accroître la pertinence politique de l’APC, d’envisager un certain nombre de changements, et notamment de renforcer le dialogue ACP/UE et l’élargir à des questions qui vont au-delà du domaine de l’aide et du commerce en conférant davantage de poids à des problématiques telles que la sécurité, la migration, la gouvernance, la responsabilité mutuelle et la cohérence des politiques ; de conférer un caractère plus politique, et moins technique, au contenu du dialogue en donnant un rôle de premier plan aux ministres ACP des Affaires étrangères (plutôt qu’aux ministres de la planification et des finances – les ON – qui agissent essentiellement en qualité de gestionnaires de l’aide lors de l’examen de questions liées à l’APC ; d’assurer l’efficacité du dialogue en repensant sérieusement sa forme à l’heure où quelque cent cinq pays sont impliqués ; de conférer au secrétariat ACP un rôle de leadership mieux ancré, se concrétisant notamment par davantage d’autonomie, afin de consolider la pertinence de l’APC face aux initiatives nouvelles à l’échelon panafricain et régional.

· Appliquer le principe de subsidiarité. La diversité qui caractérise le groupe ACP peut être perçue comme un atout du partenariat, plutôt qu’un obstacle. La flexibilité, la différenciation entre pays et la géométrie variable peuvent être maintenues pour autant que persistent une valeur ajoutée visible et un rôle de concertation à remplir par les institutions ACP. Autrement dit, le groupe ACP agirait comme une sorte de ciment entre les différentes régions, ou comme un organisme de facilitation établissant des liens entre les divers intérêts et composantes des ACP par l’échange d’informations, d’analyses et de compétences. Il

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KARLSHAUSEN Gérard, (2009), Quel avenir pour l’Accord de Cotonou ?, Cotonou, Fin de parcours ?,

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convient, pour parvenir à ce résultat, que les ACP redéfinissent leurs intérêts communs et que leurs institutions fournissent la preuve qu’elles sont dignes de confiance, capables d’assumer un leadership et doter de capacités nécessaires.

· Compléter la déclaration de Paris pour mieux ancrer l’amélioration de l’efficacité de l’aide. Les principes qui sous-tendent l’AC offrent une excellente base sur laquelle appuyer la démarche visant à améliorer l’efficacité de l’aide, étant donné qu’ils prônent la gouvernance, le renforcement de l’appropriation locale et nationale, la programmation d’un développement multi acteur des les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, l’harmonisation et l’alignement avec les stratégies de développement. Il peut constituer, à ce titre, un cadre privilégier pour améliorer la gouvernance des pays partenaires, la transparence des bailleurs de fonds et la responsabilité mutuelle. Même si la déclaration est le moteur du débat sur l’efficacité de l’aide, Cotonou et Paris peuvent se renforcer mutuellement.

· Donner un contenu moderne et concret à la notion de « contractualité »248 et de responsabilité mutuelle. L’Accord de Cotonou peut contribuer à préciser ce qu’implique l’abandon progressif d’un partenariat Nord-Sud inégal et axé sur le contrôle, en faveur d’un partenariat fondé sur la responsabilité mutuelle. Il peut notamment remplir ce rôle valorisant son potentiel en termes de cohérence des politiques, et plus particulièrement en recourant de manière systématique et mieux étayée à l’article 12 relatif aux mesures européennes susceptibles d’affecter le développement des ACP.

· Faire de l’APC ce que les signataires veulent en faire. La valeur ajoutée que l’APC peut offrir dans un monde multipolaire en proie à de nombreuses forces contradictoires va dépendre du leadership, tant du côté ACP que de l’UE, et de la priorité accordée de part et d’autre aux relations UE/ACP. Il semblerait que l’UE avance rapidement vers la formulation de l’orientation qu’elle veut donner à son partenariat avec les ACP249. Les parties prenantes

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LAPORTE Geert, L’Accord de partenariat de Cotonou : Quel rôle dans un monde en mutation ? Réflexions

sur l’avenir des relations ACP-UE, Rapport ECDPM n°13, p.59.

249

LAPORTE Geert, MACKIE James, BYIERS Bruce, NIZNIK Sonia, Changements mondiaux, acteurs

émergents et évolution des relations ACP-UE, Vers un programme d’action commun ? Rapport Politiques et

gestion n°19, Séminaire organisé à l’occasion du 25ème anniversaire de l’ECDPM, Maastricht , septembre 2011. p.29.

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ACP s’engagent aussi dans une redynamisation éventuelle – voire la survie – de l’APC au plus haut niveau et du dynamisme du secrétariat ACP, chef de file de la mise en œuvre de l’Accord.

Il faut que le leadership ACP s’attache sans attendre à conférer au groupe un profil plus performant, basé sur l’apport d’une valeur ajoutée spécifique, et sur une division des tâches et une complémentarité avec d’autres initiatives plus récentes.

Ces réflexions montrent clairement que les ACP et leur partenariat de longue date avec l’UE se trouveront confrontés à des défis de grande envergure dans les années à venir. A l’heure où le centre de gravité de la gravité de la coopération ACP/UE semble basculer quelque peu vers l’Union africaine et les communautés économiques régionales, les partenaires ACP/UE n’ont aujourd’hui d’autres choix que de repenser et repositionner leur relation dans un monde multipolaire.

Section II : L’avenir de l’Accord de Cotonou et de la coopération UE/ACP

Si l’expiration de l’Accord de Cotonou en 2020 peut servir de point de repère incitant à un réexamen des relations ACP-UE, les évolutions de la dynamique au sein de chaque groupe et au niveau mondial souligne également l’urgence d’une réflexion critique. La rapide expansion de l’agenda mondial a eu un impact majeur sur les relations UE/ACP, tandis que les modifications des dynamiques dans l’économie mondiale forcent les pays à réévaluer les relations diplomatiques et les choix stratégiques qui étaient traditionnellement les leurs jusqu’ici. Même si le Groupe ACP et l’UE ne sont pas forcément au centre des changements mondiaux en cours, ces évolutions ont immanquablement un effet sur leurs Etats membres, sur les ACP et l’UE en tant que groupes et sur les relations entre ces deux partenaires de longue date, les obligeant à prendre en compte ces nouvelles réalités et à s’y adapter.

Les changements mondiaux avec la montée en puissance des économies émergentes (I) influent sur les relations UE/ACP. Dans un tel contexte, quels intérêts communs peuvent conduire à un partenariat efficace (II).

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Paragraphe I. Les changements mondiaux et la montée en puissance des économies