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Figure 7 : Inhibition de la voie de signalisation mTOR : rétrocontrôle et stratégies d’inhibition

8.4. Pertinence de l’inhibition de mTOR en cancérologie

Au vue du rôle central de la protéine mTOR dans ces nombreux mécanismes cellulaires, elle est vite devenue une cible thérapeutique de premier choix. Grâce à son identification par la rapamycine, des

39 analogues de ce macrolide bactérien (aussi appelés rapalogues) ont été développés dans le but de l’inhiber.

8.4.1. Dans les cancers non endocrines

Dans la plupart des cancers, la voie de signalisation mTOR peut être dérégulée par des oncogènes ou des suppresseurs de tumeurs, ainsi que par certains microARNs (Oneyama et al., 2011; Shaw and Cantley, 2006). Ces dérégulations aboutissent majoritairement à l’hyperactivation de cette voie de signalisation et induisent plusieurs changements bénéfiques au sein de la cellule tumorale, dont la stimulation de la synthèse protéique via p70S6K et 4EBP1, l’augmentation de l’expression de gènes glycolytiques via HIF-1α qui favorise l’effet Warburg, caractéristique des cellules tumorales ou encore l’inhibition de l’autophagie.

De façon intéressante, aucune mutation de mTOR n’a été mise en évidence à ce jour. Néanmoins, des altérations génétiques peuvent toucher un grand nombre de ses partenaires et régulateurs. Ces altérations peuvent survenir sur des acteurs membranaires (notamment les RTKs) ou cytoplasmiques situés en amont de mTOR (PI3K, PTEN, Akt, Ras ou encore Raf). Par exemple, l’IGF-1R, récepteur de l’IGF1, est très souvent surexprimé dans de nombreux types tumoraux, et est associé à un mauvais pronostic (He et al., 2010; Wu et al., 2013). Cela est aussi le cas pour l’EGFR, dont les mutations ou amplifications conduisent, entre autre, au développement de glioblastomes ou de tumeurs pulmonaires (Arteaga, 2006; Benito et al., 2010).

Parmi les acteurs cytoplasmiques de la voie mTOR, le gène le plus fréquemment muté dans les cancers humains est PI3KCA, qui code pour la sous-unité catalytique de la PI3K (Samuels and Waldman, 2010). On recense des mutations de PI3KCA dans les cancers de la prostate, les carcinomes hépatocellulaires et dans les glioblastomes. On trouve ensuite le suppresseur de tumeur PTEN, dont l’inactivation est retrouvée dans de nombreuses pathologies tumorales (Simpson and Parsons, 2001).

Ces hyperactivations de l’axe PI3K/Akt/mTOR peuvent être appréciées par l’étude des niveaux de phosphorylation des deux effecteurs de mTORC1, 4EBP1 et particulièrement p70S6K. En effet, une parfaite correspondance entre l’état d’activation de mTOR et la phosphorylation de p70S6K est retrouvée dans de nombreux cancers (Menon and Manning, 2008).

La rapamycine, inhibiteur naturel de mTOR, est déjà utilisée lors de greffes pour ses propriétés immunosuppressives. Son mécanisme d’action sur mTOR n’est pas totalement élucidé mais on sait que cette molécule se lie à la protéine FKBP12, indispensable à l’activation de mTORC1, et induit l’inhibition de l’activité de mTOR. Cette action inhibitrice de la rapamycine est spécifique du complexe mTORC1, et ne cible pas mTORC2 (Jacinto et al., 2004; Sarbassov et al., 2004). Même si

40 certaines études montrent qu’une exposition prolongée à la rapamycine de certains types cellulaires induit aussi une inhibition de mTORC2, ces effets semblent restreints à certains tissus (Sarbassov et al., 2006).

Deux principaux rapalogues ont été développés en tant que molécules anti-cancéreuses : l’évérolimus (RAD001, Afinitor) et le temsirolimus (CCI-779, Torisel) et de nombreux essais cliniques confirment actuellement leurs propriétés anti-tumorales. En 2007, la FDA (Food and Drug Administration) a autorisé la mise sur le marché du temsirolimus pour le traitement du carcinome rénal à cellules claires de stade avancé. Plus récemment, c’est l’utilisation de l’évérolimus chez les patients atteints de sclérose tubéreuse de Bourneville qui a été autorisée. Néanmoins, les très nombreux essais cliniques en cours utilisant les rapalogues montrent des résultats globalement modestes, même si ceux-ci sont positifs dans certains cancers, en particulier dans certains types tumoraux résistants aux chimiothérapies conventionnelles (Wander et al., 2011).

Le succès limité des rapalogues peut s’expliquer par la présence d’un grand nombre de boucles de rétrocontrôle qui semblent limiter l’efficacité clinique des rapalogues. Le rétrocontrôle négatif principal est exercé par p70S6K sur IRS (détaillé dans la section 8.2.1). mTORC1 peut aussi agir directement sur IRS pour l’inhiber par phosphorylation (Tzatsos and Kandror, 2006). De plus, de nombreuses études montrent que la rapamycine n’inhibe que partiellement la phosphorylation de 4EBP1 (Choo et al., 2008; Nyfeler et al., 2011). Une dernière limite réside dans le fait que les rapalogues sont peu cytotoxiques. En effet, l’inhibition seule de mTORC1 ne semble pas suffisante, et mTORC2 est toujours capable d’activer Akt, responsable de l’activation de mécanismes anti-apoptotiques.

Ces limites ont conduit au développement d’inhibiteurs dits « de seconde génération », qui vont cibler le site de fixation de l’ATP du domaine kinase des deux complexes mTORC1 et mTORC2. Du fait des redondances structurelles des domaines catalytiques de mTOR et des PI3Ks, certains de ces nouveaux inhibiteurs peuvent inhiber l’activité de ces deux acteurs comme le BEZ235 (Maira et al., 2008).

8.4.2. Dans les TNE-GEPs

Les TNE-GEPs constituent un groupe de tumeurs pour lesquelles l’utilisation des rapalogues semble particulièrement indiquée. En effet, la surexpression de nombreux éléments de la voie PI3K/Akt/mTOR est fréquemment retrouvée chez ces tumeurs, notamment ceux du système IGF-1. L’expression de ce facteur de croissance, de ces récepteurs et de protéines de liaison associées est effectivement retrouvée dans les TNE-GEPs (Wulbrand et al., 2000). De plus, l’expression de ce récepteur est corrélée à l’agressivité de gastrinomes (Furukawa et al., 2005). Dans les tumeurs

41 endocrines pancréatiques sporadiques, une baisse de l’expression de TSC2 et PTEN (deux régulateurs négatifs de la signalisation mTOR) est fréquemment observée et est corrélée à un mauvais pronostic (Missiaglia et al., 2010).

De manière générale, de nombreuses études rapportent une suractivation de l’axe mTOR dans les TNE-GEPs (Kasajima et al., 2011; Shida et al., 2010). Une étude récente portant sur une série de 195 patients porteurs de TNE-GEPs, dont une majorité d’origine intestinale, montre que les expressions de mTOR et de ses deux effecteurs sont associées à un mauvais pronostic. De façon intéressante, l’expression d’Akt et de l’effecteur p70S6K phosphorylé est plus importante dans les TNE-GEPS intestinales par rapport aux tumeurs pancréatiques. Dans l’ensemble de la série considérée, les niveaux d’expression de la PI3K, de mTOR et de phospho-4EBP1 sont corrélés à l’index Ki67. De plus, une analyse statistique multi-variée indique que les expressions de mTOR, phospho-p70S6K et phospho-4EBP1 sont corrélées avec une diminution de la survie globale (Qian et al., 2013).

Les études précliniques utilisant l’évérolimus et conduites sur des cellules tumorales endocrines sont plutôt rares. Ce rapalogue induit la baisse de la prolifération des cellules tumorales pancréatiques humaines BON in vitro, via l’inhibition de p70S6K, ainsi que l’arrêt du cycle cellulaire (Zitzmann et al., 2007). Des effets anti-tumoraux similaires de l’évérolimus sont observés sur la lignée tumorale β-pancréatique INS1 (Grozinsky-Glasberg et al., 2008). Une autre étude montre que l’injection de rapamycine réduit le volume tumoral chez des souris greffées en sous-cutané avec les cellules BON (Moreno et al., 2008). Des données similaires ont été obtenues avec des modèles cellulaires intestinaux chez lesquels la rapamycine ou l’évérolimus induisent une baisse de la sécrétion de VEGF, ainsi que des effets anti-tumoraux in vitro et in vivo (Bollard et al., 2013; Couderc et al., 2011; Villaume et al., 2010). Récemment, un groupe rapporte que l’inhibition combinée des voies de signalisations PI3K/mTOR et MAPKinase, dans un modèle endocrine pancréatique, permet la diminution de la croissance cellulaire et ainsi que du potentiel métastatique (Djukom et al., 2013). Néanmoins, certaines études pointent les limites de l’évérolimus quant à son activité anti-proliférative, puisque cet inhibiteur est responsable de la levée du rétrocontrôle exercé par p70S6K sur IRS1 (Zitzmann et al., 2007). Les auteurs préconisent d’utiliser l’évérolimus en combinaison avec des inhibiteurs d’autres voies de signalisation, telle que la voie des MAPK (Zitzmann et al., 2010) (Figure 7).

Si on s’intéresse aux études cliniques, on s’aperçoit qu’elles ne concernent presque qu’exclusivement les tumeurs endocrines pancréatiques. Pour celles-ci, une étude clinique de phase III a montré des résultats prometteurs. En effet, la survie sans progression est augmentée de 2,4 fois chez les patients traités à l’évérolimus par rapport au groupe placebo (11 mois vs 4,6 mois). Néanmoins, le taux de réponse objective (réduction du volume tumoral) reste très faible, environ 5% (Yao et al., 2011b). L’inhibiteur induit aussi une baisse de l’hypersécrétion hormonale chez les patients présentant un

42 syndrome fonctionnel (Fiebrich et al., 2011; Kulke et al., 2009), ainsi qu’une diminution des marqueurs angiogéniques (Yao et al., 2013).

La réponse des tumeurs endocrines avancées de l’intestin moyen (et présentant une hypersécrétion hormonale) à l’évérolimus a été évaluée dans une étude clinique de phase II, dans laquelle les patients recevaient l’octréotide, combiné ou non à l’inhibiteur de mTOR. La combinaison des deux agents a permis d’augmenter la survie sans progression par rapport à l’octréotide seul (16,4 mois vs. 11,3 mois) (Pavel et al., 2011).

L’utilisation de l’évérolimus est approuvée en Mai 2011 pour le traitement des patients présentant une tumeur endocrine pancréatique progressive et non résécable. Des autorisations de prescription hors AMM (autorisation de mise sur le marché) permettent aussi d’utiliser cet agent dans d’autres types de TNE-GEPs. Néanmoins, les effets de cet inhibiteur restent modestes, et des résistances peuvent apparaître chez les patients. Cela semble en partie dû à la levée du rétrocontrôle négatif exercé par p70S6K sur IRS1, et qui aboutit à une suractivation de AKT (Sun et al., 2005a; Tabernero et al., 2008), ainsi que de la voie des MAPKinases (Svejda et al., 2011) (Figure 7).

A noter qu’une étude montre que l’inhibition de Akt conduit à une réduction de la croissance de modèles cellulaires de TNE-GEPs, in vitro et in vivo (Gloesenkamp et al., 2012b).

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Seconde Partie - Vers l’identification de nouveaux facteurs