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La pertinence d’une approche dialogique

2.3 Des principes dialogiques pour la gestion de la diversité culturelle Dans la première partie de ce travail, nous avons démontré que les propositions libérales desDans la première partie de ce travail, nous avons démontré que les propositions libérales des

2.3.1 La pertinence d’une approche dialogique

Dans notre recherche d’une alternative à la gestion libérale de la diversité culturelle, nous avons entrepris une démarche philosophique peu habituelle. Premièrement, nous avons mis en rapport l’herméneutique de Gadamer et le pragmatisme du pluralisme culturel de Kallen, deux courants philosophiques qui ne sont pas très souvent comparés. Deuxièmement, nous avons

qualifié ces deux courants de « dialogiques », donnant notre propre définition à ce terme par rapport à la dialectique. Cette approche nécessite une justification plus ample.

a) Herméneutique gadamérienne et pluralisme culturel pragmatiste : un rapprochement justifié

Une analyse critique de la pensée de Gadamer appliquée à la diversité culturelle a mis en évidence des obstacles pratiques qui empêchent d’en faire un modèle pour la gestion de la diversité culturelle. Ainsi, nous avons été menés à proposer le pragmatisme du pluralisme culturel de Kallen comme philosophie complémentaire à l’herméneutique gadamérienne pour traiter la question de la diversité culturelle. Certains auteurs ont signalé la connexion entre pragmatisme et herméneutique : ils ont notamment mis en avant le pragmatisme inhérent à l’herméneutique. Par exemple, Jacques Poulain parle « d’écoute pragmatique » pour expliquer le dialogue herméneutique : ce serait une expérience qui précède l’expérience, un «  mouvement de réflexion dans lequel on peut se reconnaître »1. De même, Brice Wachterhauser voit dans la notion de solidarité gadamérienne une façon « pragmatique » d’échapper aux critiques d’irrationalisme et de relativisme adressées à Gadamer : « en effet, Gadamer paraît penser qu’une solution concrète à un problème soit marche soit ne marche pas et que ceci décide de la rationalité d’une position dans les sciences humaines »2. Cependant, nous pensons aussi que le pragmatisme américain a des traits herméneutiques, ce qui a été beaucoup moins exploré par la littérature. Par exemple, le principe des relations tel que présenté par James — que « chaque chose soit présente en toute chose et que toutes les choses s’interpénètrent »3 — rappelle de toute évidence la définition la plus fondamentale de l’herméneutique, en raison de l’importance donnée à l’interprétation.

En tout cas, les études comparatives de ces deux courants philosophiques ne sont pas fréquentes dans la littérature. Or, nous allons soutenir que, malgré leurs différences, ils partagent certains aspects fondamentaux en ce qui concerne leur notion de connaissance. Ainsi, nous allons analyser les différences dans leur rapport à la subjectivité, mais aussi leurs similitudes en ce qui concerne leur positionnement par rapport au positivisme héritier des principes des Lumières, le lien indéfectible entre la connaissance et la morale qu’ils établissent et le caractère « situé » de la vérité qu’ils défendent. Ces similitudes justifient, de notre point de vue, le rapprochement que nous avons fait.

L’une des différences fondamentales entre l’herméneutique gadamérienne et le pragmatisme américain du pluralisme culturel est la place accordée à la subjectivité. Pour James, principal mentor de Kallen en ce qui concerne lepragmatisme, la subjectivité est presque l’objet de la philosophie elle-même : « Toute la fonction de la philosophie devrait être de découvrir ce qu’il y aura de différent pour vous et pour moi, à tels moments précis de notre vie, selon que telle formule de l’univers, ou telle autre, sera vraie »4. Cet aspect psychologisant du pragmatisme est mis en évidence dans la mise en place concrète de l’éducation interculturelle, 1 J. POULAIN, « L’écoute pragmatique des herméneutes ou la transfiguration esthétique de l’éthique chez

Hans-Georg Gadamer », Études Germaniques, vol. 246, no 2, 2007, p. 379-395 Page 387

2 Traduit par l'auteur : « Indeed, Gadamer seems to think that a concrete solution to a problem either works or does not and this is what decides whether the rationality of a position in the human sciences ». B. R. WACHTERHAUSER, « Prejudice, Reason and Force », Philosophy, vol. 63, no 244, 1988, p. 231-253 Page 250 3 W. JAMES, A Pluralistic Universe, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1977 Page 322. Cité

dans J.-P. COMETTI, « Le pluralisme pragmatiste et la question du relativisme », Archives de Philosophie, vol. 64, no 1, 1er mars 2001, p. 21-39 Page 35

héritière du pluralisme culturel de Kallen. Ainsi, DuBois affirmera que les enseignants devront étudier « les techniques de la psychologie sociale » afin de développer les attitudes empathiques nécessaires pour produire du changement5. Pour Gadamer, en revanche, l’expérience du dialogue constitue une rencontre de la vérité à travers la rencontre avec soi ; une vérité à laquelle l’individu participe indépendamment du désir de chacun de produire une entente6. La subjectivité a ainsi une place importante dans la pensée de l’auteur allemand, mais l’individu se plie à la réalité donnée, par exemple l’œuvre d’art ou autrui. Ceci mènera Jean Grondin à affirmer que, chez Gadamer, « l’expérience de vérité ne relève pour autant de ma perspective à moi, elle relève avant tout de l’œuvre elle-même qui m’ouvre les yeux sur ce qui est », contrairement au pragmatisme « qui réduit la vérité à ce qu’elle peut avoir d’utile pour moi »7. La subjectivité joue ainsi un rôle fondamental dans le pluralisme culturel de Kallen, alors que dans le cercle de compréhension gadamérien elle est secondaire malgré l’importance des préjugés.

Malgré cette différence fondamentale sur la place de la subjectivité dans la connaissance de la vérité, l’éloignement explicite d’une vérité absolue, correspondantiste ou révélée, notamment scientifique et cartésienne, fonde autant le pragmatisme américain que l’herméneutique gadamérienne. Étant à la fois une conception du monde et un ensemble de propositions épistémologiques, le positivisme scientifique a imposé un modèle unique de savoir, celui de la connaissance méthodique et indépendante de l’interprète8. Gadamer ne s’oppose pas au positivisme, au contraire, il considère que la rigueur et la discipline de la méthode scientifique sont légitimes9, autant pour les sciences exactesque pour le discernement et pour faire des choix pertinents10. De même, les premiers pragmatistes, dont Kallen, cherchent à réconcilier empirisme épistémologique avec d’autres formes de savoir, telles que la religion ou la morale11. Ainsi, la pensée de Gadamer comme celle de Kallen respectent la méthode scientifique.

Néanmoins, les deux courants philosophiques reposent aussi sur une remise en question de cette même méthode scientifique comme seul modèle du savoir, et donc sur une révision de certains fondamentaux des Lumières. Effectivement, « Peirce avait fait de Descartes son adversaire privilégié, insistant sur le fait que le savoir humain ne peut s’édifier sur la base de l’intuition intellectuelle de la transparence de la pensée à elle-même »12. Gadamer, quant à lui, critique le fait d’associer méthode scientifique et connaissance, qui nous rend aveugles à d’autres formes de savoir13. Ainsi, ce sont autant l’admiration que la critique de la méthode scientifique à l’origine de ces deux courants philosophiques qui nous ont servi pour avancer une approche dialogique de la diversité culturelle.

Par ailleurs, pour les deux courants philosophiques, la connaissance entretient un rapport étroit avec la morale. Si le pragmatisme s’est donné comme objectif d’en finir avec le 5 R. DAVIS-DUBOIS, « Developing Sympathetic Attitudes Toward Peoples », Journal of Educational Sociology,

vol. 9, no 7, 1er mars 1936, p. 387-396 Page 390

6 J. POULAIN, « L’écoute pragmatique des herméneutes ou la transfiguration esthétique de l’éthique chez Hans-Georg Gadamer », op. cit. Page 383

7 J. GRONDIN, L’herméneutique, 2e éd., Paris, Presses universitaires de France, 2008 Page 53 8 Id. Page 51

9 J. MALPAS, « Hans-Georg Gadamer », dans The Stanford Encyclopedia of Philosophy [online], 2015, p. n/a 10 B. R. WACHTERHAUSER, « Prejudice, Reason and Force », op. cit. Page 237

11 C. HOOKWAY, « Pragmatism », dans The Stanford Encyclopedia of Philosophy [online], 2013, p. n/a

12 R. DAVAL, « Le pragmatisme américain. Charles Sanders Peirce (1839-1914), William James (1842-1910), John Dewey (1859-1952), George Herbert Mead (1863-1931) », dans Alain Caillé et al., Histoire raisonnée de la philosophie morale et politique, Paris, La Découverte, 2001, p. 640-648 Page 641

dilemme entre la science et la morale14, et constitue ainsi une philosophie d’inspiration éthique et politique15, pour l’herméneutique gadamérienne il s’agit « d’une approche du fondement commun de la dualité de la nature et des mœurs »16 et ainsi, « de façon évidente, la

philosophie herméneutique a tenté une réconciliation entre le Logos et l’Ethos »17. De même,

le rapport entre morale et connaissance s’explique aussi bien pour le pragmatisme américain que pour l’herméneutique à travers la dimension temporelle de la notion de tradition. En effet, autant Gadamer que Kallen voient dans la tradition le processus par lequel le nouveau se forme à partir de ou en dialogue avec ce qui lui précède18, car le pragmatisme comme l’herméneutique défendent que les connaissances antérieures déterminent nos connaissances présentes19.

Or, ce qui rapproche indéfectiblement le pragmatisme et l’herméneutique est le caractère situé de la connaissance, qui s’explique à travers trois concepts centraux dans les deux courants de pensée. Premièrement, la notion d’expérience, qui, au lieu d’entraîner le doute cartésien, forme la connaissance autant pour l’herméneutique gadamérienne que pour le pluralisme culturel. Pour Gadamer, les pré-jugés ne sont rien d’autre que les conditions qui nous permettent d’avoir des expériences et ainsi, la fusion d’horizons qui a lieu dans la compréhension constitue une expérience de vérité. La compréhension est, ainsi, située, le résultat d’une expérience. Le pragmatisme de James, qui influence Kallen, associe la connaissance à l’expérience à travers le principe de relation : « les idées […] deviennent vraies seulement dans la mesure où elles nous aident à entrer dans des relations satisfaisantes avec d’autres parts de notre expérience »20. Ainsi, l’expérience devient la vérité même21. Deuxièmement, la notion de praxis, c’est-à-dire l’activité en vue d’un résultat, ne s’oppose pas, pour ces deux courants philosophiques, à la connaissance22. Ainsi, Gadamer parle plutôt de phronesis dans le sens donné par Heidegger : une façon de connaître le monde et soi-même qui ne peut pas être apprise, mais qui est toujours orientée vers une situation particulière23. Il 14 C. HOOKWAY, « Pragmatism », op. cit.

15 B. RUSSELL, Philosophical essays, Londres, Longmans, 1910 Cité par J.-P. COMETTI, « Le pluralisme pragmatiste et la question du relativisme », op. cit. Page 24

16 C. RUBY, « Hans-Georg Gadamer. L’herméneutique : description, fondation et éthique », sur EspacesTemps.net, https://www.espacestemps.net/articles/hans-georg-gadamer-lhermeneutique-description-fondation-et-ethique/, 16 octobre 2002

17 Id.

18 « Tradition is in fact not an enduring identity but an activity of identification of variations both spontaneous and planful, with that from which they are variations or dissents. Tradition is in fact not a repetition of identicals but a process in which new-comings absorb and digest old goings-on. In practice, the thing called tradition is something going on now, and those who challenge it or deny it often invoke something within it that has become as inert as the pith of a growing tree. » H. M. KALLEN, « Education And Its Modifiers », Philosophy and Phenomenological Research, vol. 7, no 2, 1er décembre 1946, p. 249-263 Page 260

19 « (La connaissance) est bien plutôt le résultat d’un processus qui s’édifie dans le temps : il se développe à partir de ce qui a été construit et vérifié dans le passé, et prend son essor à partir des nouvelles expériences et des nouvelles situations vécues par l’espèce humaine. Chacune de nos connaissances est déterminée logiquement par des connaissances antérieures. La connaissance absolument première d’un objet n’existe pas, mais se produit par le biais d’un processus continu. La connaissance n’est jamais immédiate, mais procède bien plutôt par inférences. » R. DAVAL, « Le pragmatisme américain. Charles Sanders Peirce (1839-1914), William James (1842-1910), John Dewey (1859-1952), George Herbert Mead (1863-1931) », op. cit. Page 641

20 Traduit par l’auteur : « Ideas […] become true just in so far as they help us to get into satisfactory relations with other parts of our experience. » W. JAMES, Pragmatism: A New Name for some Old Ways of Thinking, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1978 Page 34

21 D. MCDERMID, « Pragmatism », dans Internet Encyclopedia of Philosophy [online], s. d., p. n/a

22 « Activité en vue d'un résultat, opposée à la connaissance d'une part, à l'être d'autre part. » « Praxis », dans Le Grand Robert de la langue française [en ligne], s. d.

lie ainsi cette notion à la compréhension elle-même. En effet, pour Gadamer, comprendre est une capacité pratique, dans le sens d’une application d’un sens au présent24. Pour le pragmatisme, la pratique fonde la connaissance philosophique dans la mesure où les théories ne sont pas simplement des discours abstraits sur la réalité, mais elles ont un rôle pratique dans le monde, elles sont principalement orientées vers l’action25. L’expérience est ainsi une expérience pratique.

Enfin, la notion de vérité contextuelle, dans le sens où la vérité n’est pas à l’extérieur, absolue et prête à être révélée, mais plutôt établie en fonction du contexte, explique le caractère situé de la connaissance. Chez Gadamer, l’historicité rend toute vérité et toute rationalité contextuelles, dans le sens où elles dépendent des circonstances données dans lesquelles elles participent26. De même, la certitude et l’absolu sont rejetés par le pragmatisme dans la mesure où aucune réalité morale n’existe préalablement aux penseurs concrets et à leurs idéaux27. En définitive, le caractère situé de la connaissance pour l’herméneutique gadamérienne et le pragmatisme américain dans lequel Kallen fonde son pluralisme culturel remet en question la possibilité de connaissance objective et met en avant l’importance du conditionnement historique et contextuel pour parler de vérité. Ainsi, en expliquant l’herméneutique, Claude Romano affirme que « la remise en question d’un modèle épistémologique inadéquat (et même du primat de l’épistémologie comme telle pour définir la philosophie) allait de pair avec une attention accrue aux conditions concrètes de l’activité philosophique qui n’est pas sans rappeler celle qui, dans le courant du pragmatisme américain, allait progressivement destituer un idéal d’infaillibilité hors de notre portée et, avec lui, toute recherche de “vérités éternelles” en philosophie »28. La faillibilité de la vérité que nous avons mise en avant et que prônent Gadamer et Kallen nous a permis de regrouper les deux courants philosophiques dans une catégorie que nous avons nommée « dialogique ». Nous nous interrogeons désormais sur la pertinence de cette catégorie.

b) Deux philosophies dialogiques

Notre critique de la dimension dialectique des politiques publiques libérales de la diversité culturelle nous a conduits à rechercher des courants philosophiques fondés sur des principes dialogiques. Ainsi, nous avons avancé l’herméneutique gadamérienne et le pluralisme culturel pragmatiste de Kallen comme alternatives conceptuelles à caractère dialogique. Toutefois, autant la notion de dialectique que celle de dialogique que nous avons proposées sont loin d’être univoques et consensuelles. Ainsi, nous nous demandons désormais dans quelle mesure nous avons démontré que les deux courants de pensée correspondent et contribuent à notre propre définition du caractère dialogique et en quoi ils répondent aux critiques que nous avons faites aux politiques libérales de la diversité culturelle à caractère dialectique. Le traitement de la diversité culturelle à partir de ces deux philosophies nous servira ponctuellement à illustrer leur caractère dialogique.

24 H.-G. GADAMER, Vérité et Méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, éd. intégrale, Paris, Seuil, 1996 Page 281

25 C. HOOKWAY, « Pragmatism », op. cit.

26 D. WEBERMAN, « A New Defense of Gadamer’s Hermeneutics », Philosophy and Phenomenological Research, vol. 60, no 1, 2000, p. 45-65 Page 47

27 W. JAMES, « The Moral Philosopher and the Moral Life », International Journal of Ethics, vol. 1, no 3, 1891, p. 330-354 Page 337

L’une de nos critiques fondamentales aux politiques libérales de la diversité culturelle est leur recherche d’universalité, dans le sens où elles cherchent à donner des réponses absolues aux questions posées par la diversité culturelle. Bien que nous ayons démontré les tentatives de contournement de cette question opérées par l’herméneutique et par le pragmatisme américain, il y a chez Kallen et surtout chez Gadamer une certaine ambiguïté par rapport à ce sujet. Effectivement, certains auteurs se demandent, par exemple, si le fait de présenter l’herméneutique comme vérité ne signifie pas que Gadamer est en train de trahir sa propre notion de vérité non absolutisée et donc d’entrer dans une incohérence29. De même, d’autres auteurs soutiennent ouvertement que Gadamer défend une idée de vérité comme adéquation. Ainsi, en affirmant que la justesse d’un poème est conforme à la chose, Gadamer ne renoncerait aucunement à l’idée d’adéquation à la chose, bien au contraire30. Tout en reconnaissant que la discussion et la polémique sont justifiées, nous soutenons, contrairement à ces auteurs, que la défense d’une compréhension dont le contenu change quand l’autre comprend31 faite par Gadamer l’éloigne de la tentation d’une vérité absolue.

Cette même ambiguïté par rapport à la recherche d’un absolu existe chez Kallen. D’une part, l’Américain s’appuie sur la notion de pluralisme défendue par James selon laquelle il peut y avoir des types de vérités différents plutôt que sur celle de Pierce qui présente la vérité comme un moyen pour comprendre un concept important pour la méthode scientifique : la réalité32. D’autre part, il s’inspire aussi amplement de la pensée de Locke qui, au fond, cherche l’universel dans l’expression du particulier : il affirme que les artistes noirs devraient exprimer leur individualité afin de communiquer quelque chose qui ferait appel à l’humain universel33. Toutefois, selon Kallen lui-même, Locke s’éloigne plus tard de l’universalisme et du monisme en faveur de l’expérience du pluralisme et du particularisme34. Nous reconnaissons donc que le rapport de Gadamer et de Kallen à l’universalisme n’est pas entièrement libre de controverse et varie en fonction de l’interprétation que l’on fait de leur philosophie35.

De même, leur rapport à ce que nous avons défini comme le caractère dialectique propre au libéralisme ne va pas de soi, notamment chez Gadamer, en raison de la place qu’il donne au dialogue. Certains auteurs présentent la philosophie gadamérienne comme une fusion entre la phénoménologie et la dialectique, comme une articulation entre langage et intuition à partir de la réalité phénoménale du dialogue36. Ainsi, ils voient dans le dialogue proposé par Gadamer un élément de communication, lequel, en tant « qu’esprit objectif hégélien », donnerait lieu à une remise en question permanente d’elle-même, ce qui transformerait « en forme de vie cette 29 J. POULAIN, « L’écoute pragmatique des herméneutes ou la transfiguration esthétique de l’éthique chez

Hans-Georg Gadamer », op. cit. Page 382

30 J. GRONDIN, « La fusion des horizons », Archives de Philosophie, Tome 68, no 3, 1er septembre 2005, p. 401-418 Page 411

31 J. POULAIN, « L’écoute pragmatique des herméneutes ou la transfiguration esthétique de l’éthique chez Hans-Georg Gadamer », op. cit. Page 381

32 C. HOOKWAY, « Pragmatism », op. cit.

33 J. A. CARTER, « Alain LeRoy Locke », dans The Stanford Encyclopedia of Philosophy [online], 2012, p. n/a 34 H. M. KALLEN, « Alain Locke and Cultural Pluralism », The Journal of Philosophy, vol. 54, no 5, 28 février

1957, p. 119-127 Page 123

35 Ou peut-être que, comme le signale Itzkoff, « nous devrions accepter que les philosophes qui restent ouverts à l'expérience doivent inévitablement être ambivalents ». Traduit par l’auteur : « Perhaps we should be content to accept the fact that philosophers who remain open to experience inevitably must be ambivalent. » S. W. ITZKOFF, « The Sources of Cultural Pluralism », Educational Theory, vol. 26, no 2, 1976, p. 231-233 Page 232

36 Selon cet auteur, Vérité et méthode ferait ressortir l'esprit de la dialectique à partir d'une phénoménologie du dialogue, afin de montrer en quel sens un tel traitement permet de prendre en considération le travail du langage et de l'intuition dans la visée principale de la pensée. C. THÉRIEN, « Gadamer et la phénoménologie du dialogue », Laval théologique et philosophique, vol. 53, no 1, 1997, p. 167-180 Page 169

remise en question socratique d’elle-même »37. Le résultat de cette interprétation est que la compréhension dialogique consiste en un engagement actif dans un dialogue, en l’écoute de ce que l’autre a à dire afin d’atteindre des accords partiels sur la signification des perspectives communiquées38. Selon cette interprétation de la pensée de Gadamer, une recherche par les deux interlocuteurs d’une vérité « extérieure » et « révélée » à travers le dialogue aurait lieu. D’après cette interprétation du dialogue gadamérien, il s’agirait moins d’une construction nouvelle et transformatrice que d’une découverte des points communs ou d’une réussite dans la conviction de l’autre sur mon point de vue. Cette interprétation du dialogue gadamérien le