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Limites et avantages du dialogue interculturel gadamérien

1.2 Les limites des approches libérales de la diversité culturelle Malgré l’accord assez généralisé dans la littérature autour de la renaissance de la questionMalgré l’accord assez généralisé dans la littérature autour de la renaissance de la question

2.1.3 Limites et avantages du dialogue interculturel gadamérien

L’entente gadamérienne, tout comme la connaissance, n’a pas de caractère absolu. Notre horizon s’ouvre à l’horizon d’un autre et il s’élargit. Étant données notre finitude et notre historicité, il ne peut jamais y avoir de connaissance absolue ni de finitude dans la compréhension238. Nous nous trouvons dans une situation dialogique ou conversationnelle avec la tradition et l’histoire qui nous donnent forme239. Le dialogue gadamérien est ainsi infini : « [S] si, dans mes propres travaux, je dis qu’il est nécessaire qu’en toute compréhension, l’horizon de l’un se fusionne avec l’horizon de l’autre, il est clair que cela ne signifie pas non plus une unité stable et identifiable, mais quelque chose qui arrive à la faveur d’un dialogue qui se poursuit toujours »240.

Le fait que la compréhension gadamérienne soit caractérisée par un dialogue infini entraîne deux types de critiques, liées entre elles. Premièrement, certains auteurs se demandent si, en raison de la possibilité d’interprétations concurrentes, et donc de conflit, toute exigence de vérité disparaît. La compréhension gadamérienne ouvrirait ainsi la voie à l’arbitraire, au subjectivisme ou au relativisme241. Deuxièmement, d’autres auteurs remarquent la difficulté de la pensée gadamérienne à traiter de la vérité quand il s’agit de l’appliquer, de la mettre en praxis et dénoncent une lacune quand il s’agit d’expliquer comment critiquer la société actuelle afin de faire des choix moraux. Pour Gadamer, en raison de la phronesis, la vie de la communauté oriente les décisions et les actions particulières, mais à en croire ces auteurs, cela ne fonctionne pas si les nomoi ne sont pas partagés, s’il n’y a pas de pouvoir normatif, dans les cas où ces principes donnent lieu à des conflits irréconciliables ou sont questionnés242. Nous allons premièrement explorer de quelle manière l’infinitude du dialogue gadamérien se comprend dans le cadre de la diversité culturelle. Ensuite, nous analyserons les problèmes posés par un dialogue infini de compréhension et les principales réponses apportées tant par Gadamer lui-même que par d’autres auteurs. Nous examinerons dans quelle mesure l’acceptation du caractère dialogique de l’herméneutique gadamérienne suffirait en elle-même à faire face aux difficultés intellectuelles que cette herméneutique soulève.

a) Compréhension et dialogue infinis : sources d’incompréhension

La réaction gadamérienne contre la méthode des sciences exactes est en réalité une réaction contre la présomption d’un savoir absolu, d’une domination de la nature et d’une société qui prétend tout prévoir en matière de mœurs et de sociabilité, au mépris du libre arbitre. Contre la référence unique à une norme universelle de scientificité, à l’idée de « méthode », Gadamer oppose l’idéal herméneutique d’une compréhension non répétitive du monde et des Hommes243. Cette compréhension se caractérise par son infinitude. La compréhension expliquée comme un dialogue infini avec l’autre et avec soi-même entraîne, selon les critiques de la pensée gadamérienne, une absence de vérité ainsi qu’une impossibilité de prendre des décisions. Ces failles sont dues au fait que Gadamer ne considère pas les rapports de pouvoir 238 F. DALLMAYR, « Hermeneutics and inter-cultural dialog: linking theory and practice », op. cit. Page 27

239 R. BERNSTEIN, « What is the Difference That Makes a Difference? Gadamer, Habermas, and Rorty », op. cit. Page 335

240 H.-G. GADAMER, L’herméneutique en rétrospective, s. l., Vrin, 2005 Page 130 241 C. ROMANO, « La règle souple de l’herméneute », op. cit. Page 467

242 R. BERNSTEIN, « What is the Difference That Makes a Difference? Gadamer, Habermas, and Rorty », op. cit. Page 341

inégaux ni le besoin de critères moraux. Autant les détracteurs de la pensée gadamérienne que ses partisans cherchent à combler ces lacunes. Nous examinons ci-après l’infinitude de la compréhension et du dialogue herméneutique ainsi que les critiques formulées et les alternatives proposées.

Gadamer soutient que l’approche méthodique ne permet pas d’arriver à une sorte de vérité absolue et complète et défend au contraire que la compréhension est un processus en cours ou permanent244. Le caractère dialogique et circulaire de la compréhension la rend infinie, mais également ponctuelle. Le dialogue gadamérien n’épuisant pas toutes les réponses au problème245, n’importe quelle formule de l’interculturalisme qui assure la connaissance définitive de l’autre serait contraire à la vérité. En raison de la structure de question-réponse du dialogue, les experts ne peuvent pas prétendre résoudre des conflits interculturels spécifiques : l’approche dialogique doit laisser la solution aux participants eux-mêmes. Le philosophe lui-même revendique comme la plus noble tâche du citoyen le fait de prendre des décisions fondées sur la responsabilité propre de chacun au lieu de déléguer cette tâche aux experts246. De ce point de vue, les politiques de la diversité culturelle constituent un échec, parce qu’elles font reposer la promotion des cultures sur les épaules des experts au lieu de permettre aux citoyens d’expérimenter la diversité culturelle et de trouver eux-mêmes des solutions pour la gérer. L’exemple que nous avons donné plus haut sur la Commission Stasi est en ce sens très parlant. Au contraire, les deux exemples que nous avons mentionnés plus loin — celui de l’étudiant saoudien et celui de la prise en charge par le système de santé public canadien de la circoncision féminine — montrent le caractère infini et ponctuel du dialogue gadamérien : les solutions s’appliquent à des situations particulières et ont été générées par les participants dans un processus d’écoute mutuelle, mais rien ne garantit qu’elles soient exportables dans d’autres contextes.

Par ailleurs, cette conception du dialogue nous paraît correspondre parfaitement à la notion de culture — changeante et dynamique par définition — que nous avons établie au début de ce travail. Si les cultures ne sont pas figées, mais en constante transformation grâce à leur interaction, la mise en place d’un dialogue constant et infini constitue la condition nécessaire pour que ce processus continue. Ainsi, le caractère inachevé du dialogue gadamérien et la conception dynamique des cultures se recoupent.

Le fait que le dialogue gadamérien ne soit jamais achevé ou figé, mais soit toujours en cours ou dans un processus de création de nouvelles fusions d’horizons, nous permet d’établir trois conclusions ou lignes directrices à prendre en compte dans l’élaboration de politiques publiques dialogiques de gestion de la diversité culturelle. Premièrement, le dialogue interculturel gadamérien est une approche, une attitude et non une formule définitive ou un ensemble de règles. Ainsi, il s’agit d’une série de principes qu’il faudra appliquer au moment d’entamer le dialogue lui-même. Deuxièmement, il ne peut y avoir que des solutions ponctuelles aux conflits interculturels. Les interlocuteurs doivent les trouver au cas par cas ; c’est toujours le résultat du dialogue qu’ils ont engagé. Aujourd’hui, les politiques multiculturalistes ou les droits culturels, qui accordent des avantages aux minorités, vont dans le sens contraire. Troisièmement, lorsqu’une solution a été trouvée grâce au dialogue interculturel gadamérien, rien n’empêche que les conflits surgissent à nouveau. En effet, l’accord qui émerge comme résultat du dialogue sera toujours particulier, car momentané, et

244 J. MALPAS, « Hans-Georg Gadamer », op. cit.

245 M. R. JAMES, « Critical Intercultural Dialogue », op. cit. Page 589 246 H.-G. GADAMER, « Hermeneutics and Social Science », op. cit.

toujours spécifique à l’entente entre les interlocuteurs, à leur historicité et à leur situation247. L’état de compréhension mutuelle auquel on aboutit n’est ainsi que provisoire et constitue un nouveau point de départ pour engager un autre dialogue. Si l’on veut garantir une compréhension mutuelle stable, le processus de dialogue doit avoir lieu constamment.

Nous trouvons seulement une condition au dialogue interculturel gadamérien : la volonté des deux parties de dialoguer. Comme le signale Gadamer lui-même : « [L] l’entente dans la conversation implique que les partenaires y soient disposés et qu’ils essaient de faire droit à ce qui leur est étranger et opposé. Lorsque cela se produit de part et d’autre, et que chacun des partenaires pèse les raisons de l’autre, tout en maintenant les siennes propres, on peut finalement, par un transfert réciproque, imperceptible et involontaire des points de vue (c’est ce que nous appelons échange d’opinions), parvenir à un langage commun et à l’expression d’une décision commune »248. Une fois que les deux interlocuteurs sont prêts à dialoguer, leur arrivée à une entente semble juste une question de temps.

Or, le dialogue gadamérien appliqué à la diversité culturelle pose deux questions importantes. La première aborde les conditions dans lesquelles on peut assurer un dialogue « équitable », c’est-à-dire dont le résultat (l’accord ou l’entente) ne soit pas faussé par des rapports de pouvoir inégaux. Certes, selon la théorie gadamérienne, la compréhension émerge de l’écoute de l’autre et de sa tradition ainsi que de la révision des propres pré-jugés, mais cela n’explique pas comment dialoguer avec ceux qui préfèrent, s’ils en ont le pouvoir, imposer leurs pré-jugés et leur propre tradition. La seconde question découle du caractère infini du dialogue gadamérien : s’il est toujours inachevé et en cours, comment arrêter des décisions et prendre des mesures concrètes, comme l’exige l’élaboration d’une politique publique ? Ces deux failles font partie aussi bien des critiques que des justifications de la pensée gadamérienne. Les critiques les plus courantes voient un relativisme sous-jacent à la pensée gadamérienne249. Celles-ci proviennent notamment de philosophes appartenant à l’école du libéralisme politique. Elles se fondent sur l’impossibilité de la théorie gadamérienne d’établir une vérité objective et sur l’absence de critères pour juger et distinguer entre une bonne et une mauvaise affirmation. Selon ces critiques, le relativisme de la pensée gadamérienne donnerait lieu à l’abandon de l’exigence de rationalité inhérente à l’idée même de philosophie250, au recours à la force comme seul moyen pour résoudre les conflits251 ou encore à l’impossibilité de critiquer la tradition252.

En matière de diversité culturelle, cela débouche sur une incommensurabilité des cultures et sur la valeur égale de toutes les cultures253. En matière de gestion de la diversité culturelle, le relativisme implique un « laisser-faire », voire un encouragement vis-à-vis de toute pratique culturelle, sans censure, justifié par le simple fait d’appartenir à une culture. Ainsi, des pratiques telles que l’excision féminine, la défense de comportements racistes254 ou le lancer 247 D. R. WALHOF, « Friendship, Otherness, and Gadamer’s Politics of Solidarity », op. cit. Page 586

248 H.-G. GADAMER, Vérité et Méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, op. cit. Pages 408-409

249 J. ZIMMERMANN, Hermeneutics: A Very Short Introduction, op. cit. Page 16 250 C. ROMANO, « La règle souple de l’herméneute », op. cit. Page 466 251 B. R. WACHTERHAUSER, « Prejudice, Reason and Force », op. cit. Page 247

252 R. BERNSTEIN, « What is the Difference That Makes a Difference? Gadamer, Habermas, and Rorty », op. cit. Page 145

253 D. CUCHE, La notion de culture dans les sciences sociales, 4e édition (2010), Paris, La Découverte, 1966 Page 145

d’une chèvre vivante depuis un clocher lors des fêtes de village255 seraient tolérées au nom du respect des cultures et de la sauvegarde de la diversité culturelle.

Pour contrer le relativisme de la pensée gadamérienne, qui justifierait en dernier lieu des fourvoiements tels que ceux-ci, les auteurs proposent des correctifs rationalistes. Ainsi, Richard Bernstein souligne la nécessité absolue d’avoir des critères, des standards ou des règles pour pouvoir critiquer la tradition256. Habermas penche aussi pour la recherche de critères « objectifs ». Bien qu’il soit d’accord avec une compréhension herméneutique et participative de l’autre, il trouve nécessaire de la réconcilier avec la compréhension intersubjective qui appelle à l’objectivité. À partir de cette compréhension, nous pouvons élucider les principes de la rationalité et aspirer à l’universalité, tout en reconnaissant que n’importe quelle affirmation est faillible257. Ou bien nous pouvons, avec Brice Wachterhauser, conclure que les buts de la raison universelle des Lumières sont plus nécessaires que jamais afin de trouver une procédure universelle pour régler les conflits interculturels258. Ces propositions signifient pour la diversité culturelle un retour aux approches propres au multiculturalisme, à l’établissement de droits culturels ou à la protection des expressions culturelles dans son état actuel, à savoir la définition d’un cadre institutionnel à caractère universel au sein duquel on accepterait et protégerait certains particularismes culturels, définis une fois pour toutes, qui ne le contredisent ni le contestent.

Contrairement à ces auteurs libéraux, le relativisme de la pensée gadamérienne constitue, pour d’autres auteurs, précisément la raison d’y adhérer. Pour Taylor par exemple, la fusion d’horizons ne doit aucunement aboutir à la défense d’un point de vue universel qui surplomberait, de façon immuable, l’ensemble disparate des visions du monde259. De même, l’apophtegme gadamérien selon lequel « l’être qui peut être compris est langage » a été interprété par des auteurs tels que Gianni Vattimo ou Richard Rorty comme un relativisme langagier260. La tentative d’explication de la valeur égale des cultures à travers la formule «  présomption de la valeur égale des cultures » par Taylor261 constitue un essai d’appliquer cette vision relativiste de la pensée gadamérienne à la diversité culturelle.

Cependant, la lecture relativiste de la pensée gadamérienne ne fait pas consensus non plus. En effet, que ce soit pour la soutenir ou pour la critiquer, beaucoup voient dans la philosophie de Gadamer un substrat universaliste. Ainsi, le philosophe français Jacques Derrida262 trouve que Gadamer met trop l’accent sur l’unité, au point de négliger l’altérité. La compréhension comme fusion d’horizons, toujours selon Derrida, présuppose un consensus et ne laisse pas la place à l’autre ; autrement dit, elle masque une volonté de pouvoir qui traite l’autre comme 255 Dans la ville de Manganeses de la Polvorosa (Espagne), une chèvre vivante était lâchée depuis le haut du clocher de l'église fin janvier, pour les festivités de St Vincent Martyre. Elle fut interdite en 2002 à la suite d’une grande polémique relayée par les médias.

256 R. BERNSTEIN, « What is the Difference That Makes a Difference? Gadamer, Habermas, and Rorty », op. cit. Page 338

257 J. HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel, s. l., Fayard, 1987 258 B. R. WACHTERHAUSER, « Prejudice, Reason and Force », op. cit. Page 253

259 C. TAYLOR, « Comparison, History, Truth. Philosophical Arguments », dans Philosophical Artuments, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1995, p. 150-164 Page 151

260 Voir R. RORTY, « Being that can be understood is language », dans London Review of Books, 16 mars 2000, 23-2 ; G. VATTIMO, « Histoire d’une virgule. Gadamer et le sens de l’être », dans La Revue internationale de philosophie, 2000, vol. 54, n° 213, p. 499-513. Cité dans J. GRONDIN, « La fusion des horizons », op. cit. Page 416

261 C. TAYLOR, Multiculturalisme. Différence et démocratie, op. cit. Page 90

262 Jacques Derrida (1930-2004). Né en Algérie, le philosophe français est connu pour avoir initié et développé la théorie de la déconstruction.

instrument de notre compréhension et qui nie son altérité263. Gadamer n’est pas, pour ainsi dire, suffisamment relativiste pour Derrida.

Ce n’est pas l’avis des auteurs qui défendent Gadamer pour l’universalisme sous-jacent à sa pensée, souvent en s’appuyant sur le rôle qu’il accorde au langage. Ainsi, Grondin prétend réfuter la lecture relativiste de la pensée gadamérienne, en soutenant que, pour Gadamer, notre langage est d’abord celui des choses264. Le langage constituerait ainsi la forme universelle de la connaissance humaine265 et cette universalité du langage irait de pair avec celle de la raison266. De même, pour d’autres auteurs, le langage chez Gadamer constitue une totalité qui se présente comme plurielle et donne lieu à une possibilité de dialogue qui protège du relativisme267.

Mais la défense de l’universalisme de la pensée de Gadamer peut aller encore plus loin, au point de l’inscrire dans une philosophie occidentale parfaitement classique. En effet, Grondin toujours voit dans la fusion d’horizons l’adéquation de la chose et de la pensée constituant la définition classique de la vérité268. De même, pour Ricardo Montoro Romero, «  l’herméneutique de Gadamer fuit la subjectivité et cherche à définir un critère d’objectivité valable »269. Ou encore, Bernstein affirme que, malgré sa peur du dogmatisme, Gadamer se rapproche de ce qu’il essaie de combattre dans la philosophie occidentale, croyant détecter dans les textes du philosophe allemand une tension ou un conflit entre ce qu’il veut dire (mean) et ce qu’il a l’intention de dire (intend)270. Enfin, dans le meilleur des cas, on lui reconnaît « qu’il ne s’agit pas de renoncer aux universels, mais de les penser autrement »271. Nous nous trouvons devant un véritable refus de reconnaître dans la pensée gadamérienne ce que l’auteur lui-même cherche à avancer : une notion dialogique de la vérité.

En effet, nous observons que, devant les éventuelles failles de la notion de compréhension infinie, tant la critique que la défense de la pensée de Gadamer reposent sur des arguments relativistes ou universalistes, remettant en question le caractère dialogique même de l’herméneutique gadamérienne.

263 D. MICHELFELDER et R. PALMER, « Three Questions to Hans-Georg Gadamer », dans Dialogue and Deconstruction. The Gadamer-Derrida Encounter, s. l., SUNY Press, 1989, p. 52-57 Page 52

264 « Gadamer ne voulait pas réduire l’être au langage d’une époque donnée (selon la thèse relativiste), mais reconduire le langage d’une époque donnée au langage des choses elles-mêmes. Loin de défendre un relativisme linguistique, la thèse de Gadamer venait rappeler que notre langage est d’abord celui des choses, au sens où il en procède, mais sans jamais les épuiser ». J. GRONDIN, « La fusion des horizons », op. cit. Page 411

265 C. RUBY, « Hans-Georg Gadamer. L’herméneutique », op. cit. 266 J. GRONDIN, L’herméneutique, op. cit. Page 62

267 A. PALMA-ANGELES, « Gadamer, tradition and dialogue », op. cit.

268 « Même si Gadamer ne le dit pas non plus expressément, il me semble que la fusion des horizons peut être entendue comme l’expression gadamérienne de ce que la tradition appelait l’adæquatio rei et intellectus, dans ce qui était la définition classique de la vérité. C’est une définition qui a, à mon sens, beaucoup à voir avec la fusion des horizons et avec Gadamer. Dans les termes de Gadamer, l’adæquatio rei et intellectus devient la fusion de la chose (res) et du comprendre (l’équivalent du latin intellectus). La seule différence est que Gadamer parle moins d’adéquation que de fusion. […] C’est en ce sens que l’herméneutique de la fusion des horizons se veut une phénoménologie, une découverte du mode de donation des choses et des choses telles qu’elles se donnent ». J. GRONDIN, « La fusion des horizons », op. cit. Page 412

269 R. MONTORO ROMERO, « Hacia la construccion de una teoria de la interpretacion: en torno al debate Habermas-Gadamer », op. cit. Page 51

270 R. BERNSTEIN, « What is the Difference That Makes a Difference? Gadamer, Habermas, and Rorty », op. cit. Page 336

b) Pour une défense de la pensée dialogique de Gadamer

La lecture de l’herméneutique gadamérienne comme une philosophie du dialogue qui aurait oublié de prendre en compte les rapports de pouvoir inégaux tout comme les critères pour trancher entre le vrai et le faux est la plus répandue. Ainsi, ses critiques comme ses défenseurs donnent des arguments ou des réponses qui se placent soit dans le paradigme relativiste, soit dans le paradigme universaliste. Autrement dit, les auteurs ne laissent pas Gadamer être dialogique : ni ses défenseurs ni ses détracteurs ne lui permettent de poser une troisième voie, en alternative, entre le relativisme et l’universalisme. Nous pensons qu’ils creusent l’impasse dans laquelle se trouve le débat dont nous nous occupons dans ce travail et qu’ils refusent de lire la théorie gadamérienne pour ce dont elle se réclame : une défense dialogique de la compréhension.

Très cohérent avec sa propre philosophie, Gadamer maintient un dialogue permanent avec ses collègues. Il répond aux critiques, accepte de débattre ses idées en public et corrige sa théorie