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Pour les besoins de sa démonstration, Igor Babou ne prend pas n’importe quelle image numérique mais les images numériques issues du champ scientifique. Un choix particulièrement judicieux puisque ces images possèdent une antériorité bien établie et des

fonctions clairement identifiées pour chaque type d’imageur16 – fonctions sur lesquelles nous

reviendrons plus tard –. Si, du côté aval – c’est-à-dire dans la diffusion des sciences –, les significations diffèrent fondamentalement ou s’avèrent parasitées par d’autres messages, l’auteur aura réussi sa démonstration. Ce qu’il semble avoir effectivement réalisé.

La catégorisation délicate de la relation à l’objet

Néanmoins, a l’occasion de sa thèse, Catherine Allamel-Raffin (2006) n’avait pas manqué de relever combien les images numériques scientifiques – qu’elle avait elle-même étudiée dans le cadre de la recherche astronomique – sont difficilement classables au sein de la trichotomie de l’objet, quel que soit la technique d’imagerie.

En effet, l’image capturée par un imageur du type télescope, TEP ou radiographie numérique, si elle semble effectivement liée à un phénomène physique ou biologique, est toujours

retraitée à un moment ou à un autre afin d’en retirer l’information « pertinente ». Les

rayonnements utilisés n’étant pas directement visibles par l’œil (infrarouge, UV, rayons X, rayons gamma, etc…), le mode de représentation est lui-même le résultat d’un codage non seulement binaire, mais aussi qualitatif (telle couleur pour représenter telle chose, tel phénomène). Indiciaire, elle est aussi symbolique. De même, l’image de synthèse 3D modélisant la répartition des galaxies à partir des positions angulaires et des décalages

spectraux17, ou la structure d’un cerveau à partir d’une résonnance magnétique, n’est pas

totalement déconnectée de l’objet qu’elle figure. Iconique dans sa facture, elle est aussi et surtout indiciaire de la position des objets qu’elle représente ou des formes qu’elle reproduit, et symbolique des lois de la nature représentées ! Dans tous ces cas, l’image numérique de

16 Dans le cadre de ce mémoire, nous appellerons « imageur » un dispositif technique produisant des images. 17 Les astronomes, considérant que les galaxies possèdent statistiquement la même composition d’étoiles,

postulent qu’elles produisent une même signature lumineuse. Le décalage de cette signature vers le rouge, signe d’un éloignement des ondes lumineuses, permet alors de déterminer les distances relatives entre galaxies dans le sens radial (profondeur par rapport à la Terre).

METHODE DE LA RECHERCHE « MERE »

science perdrait son sens si l’on retirait soit ses qualités morphologiques, soit sa source, soit ses codifications18.

Cela veut-il dire que le catalogage selon la trichotomie de l’objet est inopérant ?

Le triangle sémiotique : un passage obligatoire

Rappelons déjà que les valeurs icône / indice / symbole permettent uniquement de qualifier la relation du representatem à l’objet. Mais un objet peut être représenté par un même representatem selon des voies fort différentes !

« Gérard Deledalle montre bien qu’un même signe peut être à la fois icône, indice et symbole. Ainsi pour « il pleut » : l’icône est l’image mentale composite de tous les jours pluvieux que le sujet a vécus ; l’indice est ce par quoi ce jour-là est différencié et a sa propre place dans l’expérience ; le symbole est l’acte mental qui fait qualifier ce jour-là de pluvieux en mettant en rapport l’expérience qualitative du pluvieux et le ressenti actuel singulier de jour pluvieux. » (Bourdin, 2005, p. 741)

Figure 8. La trichotomie de l'objet

En outre, Eliseo Veron (1980) a bien remarqué que si la production des signes est toujours « l’émanation d’un objet » - le signe prenant alors vie à travers son representatem -, en réception, ce sont cette fois les objets qui sont les « émanations des representatems ». Ce qui

18 Ce qui me fait dire que les images numériques « scientifiques » correspondent plus volontiers au symbole : symbole de la connaissance de l’objet présenté par cette image. En effet, celle-ci est fabriquée en fonction de ce que l’on sait de l’objet et de ce que l’on souhaite en savoir : il est donc normal que ces images numériques puissent posséder à la fois les trois caractères (iconique / indiciaire / symbolique) puisque, selon Peirce, la tiercéité du symbolisme implique nécessairement la priméité et la secondéité.

Representatem Objet

Interprétant Y

Mode de représentation selon l’interprétant Z : symbolique

Interprétant Z

Mode de représentation selon l’interprétant Y : indiciaire

Mise en relation par l’interprétant Z en raison

d’une habitude, d’une règle, d’un raisonnement

Interprétant X

Mise en relation par l’interprétant Y en raison d’une contiguïté Mise en relation par

l’interprétant X en raison d’une ressemblance

Mode de représentation selon l’interprétant X : iconique

implique qu’un unique representatem puisse renvoyer… à des objets fort différents ! Peirce envisageait d’ailleurs expressément la chose.

Une image n’est pas donc pas iconique, indicielle ou symbolique. Elle l’est « en vertu de ». Philippe Verhaegen (2010) souligne avec raison que le découpage trichotomique ne doit jamais faire passer au second plan la dynamique triadique du signe : il n’est raisonnablement possible de constater un sens – et a fortiori un glissement de sens – qu’à l’aulne d’une relation entre representatem, objet ET interprétant. D’où l’importance de l’interprétant qui joue justement le rôle de référentiel.

Le terme « interprétant » n’est pas évoqué dans l’article de la recherche-mère, mais paradoxalement le processus d’interprétance et le triangle sémiotique apparaissent très clairement dans les résultats de Babou à travers l’association d’un ou plusieurs signes

contextuels, l’attribution de qualificatifs (scientificité, spectacularisation…), la désignation de

nouveaux objets ou le développement complet d’interprétants. C’est l’expression de

l’ensemble de ces éléments qui justifie selon le chercheur l’attribution d’une valeur entre representatem et objet. Le triangle sémiotique (representatem, objet, interprétant) restera donc un outil privilégié de notre exploration empirique.