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La Perspective Temporelle Future : comment étudier ce construit ?

PARTIE I. CONSIDERATIONS THEORIQUES

CHAPITRE 2 - LE CONCEPT DE PERSPECTIVE TEMPORELLE : UNE APPROCHE

3. Développer une approche psychosociale critique de la Perspective Temporelle Future

3.1. La Perspective Temporelle Future : comment étudier ce construit ?

Le premier volet de notre approche des recherches récentes sur la PTF concerne l’opérationnalisation et l’étude de ce construit. En effet, on peut voir se former un courant de recherche général utilisant ce construit en tant que variable dispositionnelle. Bien que ce construit soit généralement présentée comme un concept psychosocial (en référence à sa

conceptualisation lewinienne et aux travaux contemporains de Zimbardo), la PTF tend à être utilisée et opérationnalisée comme un construit de personnalité. Cette façon d’appréhender la PTF s’appuie sur la relative stabilité de ce construit psychologique (cf. supra présentation de l’échelle ZTPI et critique proposée par Fieulaine, 2006). Le caractère stable de la PTF participe ainsi sans doute au regain d’intérêt pour des approches statiques et personnalistes des fonctionnements psychologiques (cf. supra : raison épistémologique du délaissement de l’étude du temps). Ainsi, la PTF semble être principalement employée pour mettre en valeur des différences interindividuelles, par exemple concernant les comportements de santé (e.g. Adams & Nettle, 2009; Daugherty & Brase, 2010). De façon schématique, on pourrait dire que la PTF est appréhendée comme un « input psychologique » produisant des « output comportementaux » (Apostolidis, 2006). Cette approche différentialiste de la PTF présente des travaux fructueux en soulignant les relations que celle-ci entretient avec de nombreux comportements et permet ainsi de cerner le champ d’action du construit. Nous pouvons à ce titre souligner l’association régulière et étroite de la PTF avec des comportements pro-sociaux complexes, c'est-à-dire normatifs. Cette façon d’envisager l’étude de la PT nous semble aujourd’hui relativement répandue et produit certaines formes de connaissance de ce construit (lien PT et comportement, caractère différencié des PT individuelles, etc.). Cependant, peu de recherches se sont interrogées sur le caractère dynamique et sur les formes de régulations sociales et normatives de ce construit.

Des recherches nous semblent ainsi nécessaires afin d’analyser les dynamiques sociales et psychologiques qui contribuent à l’élaboration de la PTF d’un individu, dans le but d’approcher les variables de personnalité non seulement comme des propriétés idiosyncratiques des individus mais plus largement comme des phénomènes psychosociaux. Pour développer une conceptualisation plus large de la PT comme le proposent Zimbardo et Boyd (1999), il devient alors essentiel de porter plus d’attention à la façon dont ce construit,

généralement considéré comme une variable de personnalité, fonctionne en lien avec les contextes sociaux (Zimbardo & Boyd, 2008). En effet, peu de recherches ont permis d’envisager les dynamiques psychosociales qui peuvent intervenir dans la relation entre la PTF et les fonctionnements sociaux dans le contexte des sociétés contemporaines. Afin d’analyser le rôle potentiel de la PTF dans des comportements sociaux complexes, renouer avec la tradition Lewinienne en adoptant une vision élargie des enjeux sociaux et sociétaux nous semble permettre d’améliorer la compréhension de ces phénomènes. L’inscription dans une perspective d’approche lewinienne du temps psychologique nous semble nécessairement passer par une contextualisation de la PTF afin d’envisager les aspects dynamiques et interactionnels32 de ses fonctionnements.

Dans cette perspective de travail, les travaux théoriques et empiriques menés autour de la double contextualisation de la PT (Fieulaine, 2006) suggèrent que la PTF peut avoir des modes d’intervention complexes, dépendant des contextes sociaux et sociétaux. Plus particulièrement, ces travaux portent sur des comportements socialement marqués, en l’occurrence la consommation de cannabis en France auprès des jeunes. Une première étude menée par Apostolidis, Fieulaine et Soulé (2006) analyse le lien entre la PTF mesurée par la ZTPI et le comportement d’initiation à la consommation de cannabis. Conformément aux revues de littérature sur la question, leurs résultats montrent un lien négatif entre la PTF et l’initiation au cannabis. Cependant, ils suggèrent que ce lien serait médiatisé par une variable sociocognitive : la représentation de la substance. Selon ces auteurs, la relation entre la PTF et la consommation de cannabis serait dépendante du contexte, dans ce cas, la représentation polémique de cette substance, au cœur des communications et pratiques sociales. En conséquence, le rôle de protection de la PTF vis-à-vis de l’utilisation de cannabis devrait être analysé à la lumière des relations que la PTF entretient avec des problématiques sociétales,

ici, la labellisation du cannabis en tant que drogue, ce qui constitue une question sensible et idéologique dans le contexte français. L’effet de la PTF serait ainsi contextualisé, c'est-à-dire dépendant de facteurs contextuels reliés à des enjeux sociaux et normatifs d’un contexte donné. Portant sur un aspect différent, Apostolidis, Fieulaine, Simonin et Rolland (2006) montrent un autre rôle paradoxal de la PTF concernant l’utilisation de cannabis. D’une part, conformément à la littérature sur le sujet, ils observent un rôle protecteur de la PTF vis-à-vis de la consommation de cannabis par des adolescents. Cependant, dans le même temps, ils observent que parmi les consommateurs, ceux ayant une PTF élevée sont plus enclins à mettre en place des stratégies de déni du risque de cette consommation (lien négatif entre la consommation et la perception du risque qui lui est associée). La PTF agit dans ce cas comme une variable modératrice dans la relation entre le niveau de consommation et la représentation du risque. Ainsi, la PTF n’aurait pas un rôle systématiquement protecteur vis-à-vis de la consommation de cannabis et semble avoir un effet contextualisant, c'est-à-dire comme modulant des stratégies sociocognitives défensives (i.e. stratégie de déni du risque). Les auteurs de cette étude interprètent cette action de la PTF comme une stratégie cognitive au service du soi (Gerrard, Gibbons, Reis-Bergan & Russell, 2000), suggérant que les consommateurs orientés vers le futur ont à gérer une inconsistance plus forte entre leur propre comportement et l’image sociale véhiculée par les discours de santé publique stigmatisant les consommateurs de cannabis dans le contexte français. Minimiser le risque de leur consommation serait une des voies permettant de réduire cette inconsistance menaçante pour le soi.

Les deux études précédemment décrites mettent en lumière l’importance de prendre en compte et de problématiser le rôle du contexte dans l’analyse de l’intervention de la PTF. Ces fonctionnements sociocognitifs que nous avons pointés ne sauraient être minimisés. En effet, de façon analogues, d’autres effets paradoxaux de certains construits protecteurs peuvent être

identifiés dans la littérature concernant l’intervention d’autres variables de personnalité (e.g. estime de soi, Gibbons, Eggleston & Benthin, 1997). Plus encore, ces résultats sont tout à fait concordants avec des patterns plus généraux suggérant que les variables de personnalité interviennent dans une interdépendance dynamique avec des variables proximales (e.g. rôle médiateur des buts dans l’influence des ressources possédées sur le bien-être subjectif, voir Diener & Fujita, 1995). Ainsi, ces résultats soulignent l’importance d’une meilleure compréhension des modes d’intervention du construit PTF au sein des contextes sociaux. En ce sens, l’objectif des travaux menés dans le cadre de cette thèse souhaitent fournir des résultats probants permettant d’envisager les relations entre la PTF et les fonctionnements sociaux au sens large.