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Tel que mentionné plus haut, le courant du développement territorial reste lié à celui du développement situé et sur les systèmes territoriaux d’innovation, ces deux courants étant marqués par les travaux pionniers de Joseph Schumpeter (1883-1950) sur l’innovation. S’intéressant à l’évolution du capitalisme, cet auteur a postulé que celle-ci était cyclique et se transformait par un processus de « destruction créatrice » prenant appui sur l’introduction par l’entrepreneur d’une innovation (technique ou autre) dans l’économie61. C’est surtout à partir des années 1970 que ces idées schumpériennes sur l’innovation allaient être discutées et qu’elles influenceraient de nombreux travaux de recherche ainsi que des politiques publiques, dont certaines visant le soutien à des systèmes nationaux, régionaux ou locaux d’innovation.

Selon la perspective originale de Schumpeter, c’est de l’existence de «l’entrepreneur » que dépend l’innovation. Celui-ci toutefois ne se limite pas aux industriels et ceux-ci ne sont pas nécessairement tous des innovateurs. « Contre les habitudes, routines et résistances » (1912), l’innovateur de Schumpeter est celui qui «… crée sans répit », ceci pour des motifs « psychologiques » (ou besoins personnels profonds) et on doit le distinguer du «fabricant- commerçant, du capitaine d’industrie, du directeur, du fondateur». Entreprenant, l’innovateur

61 Principaux ouvrages : Théorie de l’évolution économique (1912), Business Cycles (1939), Capitalisme, Socialisme et Démocratie (1942).

est celui qui pense et agit dans le but de réaliser de « nouvelles combinaisons » d’éléments, l’innovation pouvant prendre diverses formes diverses que Schumpeter en son temps résumait ainsi:

1˚ fabrication d'un bien nouveau pas encore familier aux consommateurs, ou d’une qualité nouvelle d’un bien;

2˚ introduction d'une méthode de production nouvelle inconnue dans la branche d'industrie ou de commerce, ou « nouveaux procédés commerciaux pour une marchandise;

3˚ ouverture d'un débouché nouveau, ou d’un marché où l'industrie intéressée n'a pas encore pénétré;

4˚ conquête d'une source nouvelle de matières premières ou de produits semi-ouvrés; 5˚ réalisation d'une nouvelle organisation.

Pour Schumpeter, l’innovation ainsi créée doit toutefois trouver preneur et s’inscrire dans les circuits économiques, sociaux et institutionnels où elle incitera à des changements de plus ou moins grande ampleur, ceux-ci pouvant aussi bien entraîner des destructions d’anciennes routines, que la création de nouvelles, des cycles d’essor (ou expansion) et de dépression (ou récession) plus ou moins prononcés62.

Au cours des années 1980 et 1990, les idées schumpétériennes allaient inspirer un grand nombre de travaux sur l’innovation et autour des régions gagnantes (Benko et Lipietz, 1992) ou perdantes (Côté et Proulx, 1996). Mais également concernant la mise en place spontanée ou volontaire de « systèmes » territoriaux d’innovation ou de nouveaux modes d’organisation de la vie économique et sociale (sous forme de « districts », « régions apprenantes » ou autres).

Si au cours des années 1970 et 1980, une partie de ces travaux ont porté sur des régions rurales (ex. la Troisième Italie du centre et nord est), la plus grande part allaient surtout par la suite

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Schumpeter a envisagé la possible «décomposition» progressive et la disparition selon lui probable du capitalisme (au profit d’une forme de socialisme), ceci surtout par ce que les porteurs essentiels de l’innovation que sont les entrepreneurs seraient remplacés par «l’unité industrielle géante » et une bureaucratie d’État (État- providence) mettant des restrictions à l’activité entrepreneuriale.

concerner des territoires urbains et même métropolitains63. La question de l’innovation et des « systèmes d’innovation » ou de systèmes de soutien à l’innovation en régions périphériques ou rurales, a beaucoup moins retenue l’attention. Alors que certains auteurs s’interrogent même sur tout développement industriel « endogène » en contexte d’une économie globalisée (Isaksen, 2001), on peut se demander si l’innovation peut exister en région à faible densité démographique (Doloreux et Shearmur 2006), périphérique (Lagendijk, A., and A. Lorentzen. 2007, Virkkala, 2007), à industries axées sur les ressources naturelles (Doloreux, Isaksen, Aslesen et Melançon 2009) ou rurale (Doloreux et Dionne 2007 et 2008), ceci sous quelle forme et à quelles conditions?

Dans la présente recherche, sans nous engager dans les débats sur l’existence possible de « systèmes d’innovation» en région périphérique ou rurale, ce terme recoupant aussi des efforts publiques importants de soutien à la structuration des économies régionales autour de spécialités – et donc une charge normative importante-, nous avons conservé de ces courants d’analyse, une préoccupation centrale pour l’innovation rattaché aux efforts d’acteurs entreprenants qui pensent et qui agissent dans le but de réaliser de «nouvelles combinaisons » d’éléments, en réponse à des besoins ou « problèmes » divers, l’innovation pouvant dans ce cas prendre diverses formes, mais devant aussi trouver preneur et dans une certaine mesure être reconnue ou sanctionnée par d’autres acteurs (ou des organisations, des entreprises, des clientèles). Des personnes qui pensent et qui agissent et, sans doute aussi, apprennent.

Notre recherche portant sur les TI qui sont elles-mêmes des réalités nouvelles rattachées à un vaste ensemble technique64

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Exemples : La Silicon Valley de la haute technologie, en Californie (Scott, Saxenian) ; - L’Arc jurassien de l’industrie horlogère, en Suisse/France (Maillat) ;- Les activités de haute technologie dans la région de Baden- Württemberg (Allemagne, sud ouest) (Benko) ; -Les activités aérospatiales à Toulouse (Gilly).

, ensemble à la fois produit d’innovation et générateur d’innovation (au sens de Schumpeter discuté plus haut), on peut se demander si leur simple utilisation devrait

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Considérées au Canada depuis quelques années comme un « secteur » industriel (cf. codes Scian d’Industrie Canada, http://www.ic.gc.ca/epic/site/ict-tic.nsf/fr/h_it06263f.html), les « Technologies de l’information et des communications » (TIC) englobe à la fois la fabrication d’un matériel (machines, produits) informatique et périphérique, de communication, l’offre de services (logiciels, services informatiques, services de télécommunications), la réalisation d‘activités commerciales de vente, location et distribution de matériel informatique, de communication et téléphonique, audio et vidéo, par ou sans fil, etc. Dans le cadre de la présente recherche, si l’existence des TI comme « secteur » présent en Gaspésie ne passera pas inaperçu, c’est à leurs utilisations que nous nous intéressons.

être considérée « innovante », ou si celle-ci, pour obtenir ce qualificatif, doit déboucher sur des réalisations ou des retombées qui elles le sont? Sans régler définitivement cette question, considérant que les TI font partie d’un ensemble considéré comme une innovation majeure, leur adoption et leurs usages nous paraissent s’inscrire dans le prolongement général de cette innovation et dans sa diffusion. Mais ceci étant, on peut aussi envisager des modes d’adoption et des usages qui répondent de manière inédite à des besoins, trouvant preneurs et rencontrant en fait les critères de l’innovation discutés plus haut, peuvent être considérés en eux-mêmes innovants. C’est cette orientation qui a été retenue et sous-tend les analyses proposées plus loin.

Nous ne rejetons pas non plus l’idée que ces innovations liées aux TI puissent plus largement également soutenir des ensembles plus vastes de pratiques interreliées et dans une certaine mesure territorialisées, par exemple des pratiques industrielles dans un même secteur, ou encore des pratiques industrielles et non industrielles, dans des secteurs multiples, des ensembles dont d’ailleurs les autorités publiques se préoccupent en encourageant la formation de « clusters », de « créneaux » ou de « pôles » d’excellence , ou de «systèmes d’innovation». En nous intéressant aux liens d’échanges où des TI sont utilisées entre des organisations de Gaspésie et d’autres organisations proches ou lointaines, ou avec leurs partenaires, c’est également aux retombées des TI sur la formation de ces « systèmes d’innovation» dont nous nous préoccuperons.

1.3.2.3 Une perspective analytique : la recherche évaluative centrée sur les résultats et les