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Plusieurs chercheurs s’interrogent quant à eux sur des utilisations des TI pouvant constituer des leviers possibles de développement (ou de redéveloppement, de relance, ou plus simplement de dynamisation) socio-économique durable des territoires (Cornford et al. 2000 ; NBURC, 200753). Ces questions demeurent en débats.

Au Québec et au Canada francophone, des chercheurs qui se sont intéressés aux changements technologiques, envisagent grâce à eux de nouvelles possibilités de développement et mettent de l’avant la nécessité pour les collectivités périphériques, en difficulté, ou rurales d’avoir accès à ces technologies et que celles-ci puissent soutenir une flexibilité, des apprentissages, des réseaux d’innovation territorialisés. Lamarche (1987), discutant la montée d’une « économie informationnelle », évoquait un « nouveau modèle » et de nouvelles possibilités pour les régions Périphériques ». Bergeron (1990) insistait pour sa part sur l’importance de stratégies régionales de «création» technologique plutôt que de simple « diffusion technologique », tout en mettant l’accent sur le rôle possible de « réseaux d’innovation technologique territorialisés » et surtout rôle central des « ressources humaines » et des «apprentissages de compétences nouvelles » que permettraient les TI. Alors qu’Ehrensaft (1995) se disait d’avis de miser sur Internet pour soutenir le développement local et contrer l’exclusion sociale, Vachon (1995) envisageait également que les TI puissent offrir de nouvelles possibilités de développement aux milieux ruraux, offrir davantage de flexibilité et de mobilité aux entreprises rurales, voir même faire

52 Au Québec, ce questionnement est aussi porté par Solidarité rurale (www.solidarit-rurale.qc.ca) , voir : « Les TIC en milieu rural : pour quoi faire? » (Lucie Veillette, Bulletin de liaison, vol. 15, 4, octobre 2006) où l’on peut lire : « …les TIC..peuvent ainsi devenir de puissants leviers de développement sur tous les plans tant économique, social, que culturel ». Au Québec, les Sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC) ont soutenu de nombreuses initiatives visant à favoriser l’utilisation des TI en milieu rural (Voir SADC du Kamouraska, Les technologies de l’information et de la communication : un outil de développement des régions », http://espace-associatif.org/sadckamouraska/recit.php)

53 New Brunswick universities Research Consortium, Rapport final 2007 intitulé : Transformation d’une société rurale : impacts de l’adoption de la large bande dans les régions rurales du Nouveau-Brunswick. Voir aussi LaRose, R., et Hoag, A. (1996) « Organizational adoptions of the Internet and the clustering of innovations », Journal of Telematics and Informatics, 13,1, 49-61; Cronin, F. J., McGovern, P. M., Miller, M. R., & Parker, E. G., (1995) « The rural economic development implication: Telecommunications », Telecommunications Policy, 19 (7), pp.545-559 ; Cronin, F. J., Parker, E. B., Colleran, E. K., & Gold, M. A. (1993) Telecommunications infrastructure investment: economic development, Telecommunications Policy, 17(6), pp. 529-535 ; Dholakia, R. R. & Harlam, B. (1993 « Telecommunications and economic development: Econometric analysis of the U.S. experience ». Telecommunications Policy, 18(6), pp. 470-477.

reculer un « mouvement d’agglomération » et soutenir des « mutations des espaces ruraux », mais à certaines conditions reliées aux usages de ces outils.

Depuis les années 1980, un ensemble de travaux ont aussi insisté sur l’importance de l’information et de la communication pour le développement régional, local et rural54. Dans ses travaux considérés pionniers (notamment par Aydalot 1985), Törnqvist (1985) insistait sur le rôle selon lui central de la transmission d’information pour le développement d’une part ainsi que sur le rapport étroit entre information, créativité et formation de milieux innovateurs. Guesnier (1992) a soutenu quant à lui que l’amélioration des moyens de communication doit soutenir l’amélioration de « l’information vecteur essentiel de l’action » et insiste sur l’ importance centrale des stratégies et « politiques d’information des collectivités émettant des messages ». Tout en insistant sur l’importance de « l’intercommunication » entre les acteurs et les organisations, Julien (1996) s’est dit d’avis qu’à certaines conditions, l’appropriation d’une information “riche” ou “structurante” en région éloignée des grandes métropoles pourrait y soutenir le développement d’entreprises existantes ou la création de nouvelles entreprises. Selon Klein et Carrière (1999): «l’information devient de plus en plus un enjeu crucial pour les institutions et les acteurs engagés dans des processus territoriaux de développement», des acteurs appelés aussi selon eux à agir en «réseaux ».

Mais d’autres chercheurs se montrent prudents voire sceptiques au sujet du potentiel transformateur possible des TI pour les territoires ruraux ou zone à faible densité de population. Ainsi, tout en discutant du « développement rural dans la société de l’information », Vendramin et Valenduc (2001) encouragent à se méfier des idées reçues, selon eux trop optimistes, sur les opportunités que les TI offriraient aux milieux ruraux. Celles-ci n’auraient rien d’automatique, les acteurs des zones rurales disposant des moyens variables et étant aux prises avec des contraintes elles aussi variables et des problèmes complexes. Pour leur part, dans leur étude sur Les périphéries face à l’économie du savoir concernant l’avenir des régions non métropolitaines du Québec et des provinces de l’Atlantique, Polèse et Shearmur, 2002 soutiennent que: « la distance n’est pas abolie ». La grande ville soutiendrait au contraire des « effets

54 Citons à ce propos aussi nos travaux menés dans le cadre du GRIDEQ depuis la fin des années 1970 : voir Lévesque, Jean, Lafontaine 1985; Lafontaine 1988 et 1998; Jean 1999; Côté 1999 a et b.

d’agglomération » dont sont dépourvus les territoires ruraux ou à faible densité démographique, les entreprises des régions périphériques étant aussi surtout concentrées dans des secteurs traditionnels à base intensité technologique. Mais de leur côté, Côté et Proulx (2002), dans L'économie des régions périphériques du Québec et son renouvellement actuel, documentaient des transformations en cours des économies des régions périphériques et rurales québécoises. Or si pour Côté (1999) les TI pourront soutenir des transformations régionales d’envergure, l’appropriation de ces outils reste à assurer et ces milieux doivent activement devenir « producteurs de contenus » au risque de voir ces technologies réduire les perspectives d’emplois locales et régionales.

Retenons de ces débats la thèse de liens entre informations, processus de communications et dynamiques d’innovation, de liens également entre technologies ou TI, et développement (économique notamment). La capacité des TI à soutenir le développement des milieux ruraux ou périphériques demeure quant à elle l’objet de débats. Retenons aussi que tout en constituant peut- être des conditions ou des facteurs nécessaires ou essentiels de développement, les TI ne paraissent pas des conditions suffisantes, leur appropriation ou adoption et leurs usages étant aussi en cause, sans compter d’autres facteurs socio-économiques et territoriaux ou de localisation caractérisants les populations, les organisations, les entreprises ou les collectivités.

Si certains auteurs postulent, comme on l’a vue plus haut, des mutations possibles des espaces ruraux et une plus grande flexibilité/mobilité des entreprises qui y sont localisées (Vachon), d’autres entrevoient un renforcement des processus d’agglomération tout en affirmant que la distance est loin d’être abolie (Polèse et Shearmur). Ces hypothèses portant sur des changements assez récents et qui se poursuivront durant de nombreuses années et qui ne se manifestent pas partout de la même manière ou avec la même intensité, des études approfondies de cas multiples seront nécessaires afin de vérifier quelles tendances prennent forme au juste et où.

Envisageant ces changements liés aux TI et l’évolution rapide de celles-ci, des auteurs s’interrogent du reste sur les catégories mêmes relatives au temps et à l’espace et leur possible transformation (Boyer, 2000 ; Delay 2008). S’intéressants aux catégories de distance et de

proximité, Rallet et Torre (2007) se demandent si « Etre proche est encore nécessaire à l’heure d’Internet ?» (Rallet et Torre, 2007).

À l’heure - ou plus justement sans doute à l’ère - d’Internet, que sont en train de devenir la distance et la proximité ? Longtemps caractérisées par leur éloignement des zones métropolitaines où sont localisés de grands marchés, par leur faible densité démographique, ou leur faibles interrelations avec les autres territoires, les territoires ruraux ou « périphériques » pourraient-ils grâce à la diffusion des TI, à leur adoption, à des usages, s’affranchir de certaines contraintes spatiales? ou encore connaître des opportunités nouvelles de renforcement de leur attractivité ou de mise en valeur innovante de leurs potentiels ou ressources ? Que nous apprend notre recherche à cet égard ?