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3 – La personnalité de Brassens

A - Brassens seul face de lui-même

> Les journées de Georges Brassens.

Il nous semble que c'est un détail dont nous ne pouvons pas faire l'économie. Ce type d'élément peut avoir une influence sur notre jugement. Mais nous allons passer rapidement sur ce point.

Avant le succès

Dans la capitale, Brassens passe ses journées à lire, à écrire, à composer. Il ne travaille pas, et profite de l'hospitalité de sa tante, puis de Jeanne - et de la table de ses amis. Si bien

que certains de ses amis ont pu croire qu'il finirait sa vie en bon clochard. Mais Brassens n'est pas pour autant oisif. Paris lui offre une source intarissable d'inspiration, et la bibliothèque l'attire plus que jamais. Il étudie les poètes, les littérateurs, et même certains penseurs - il lit avec frénésie des centaines de livres. Brassens se constitue également une considérable collection de mots d'argots, et de mots désuets. Il s'intéresse aussi à la morale et à la politique, comme objet de curiosité. Brassens parfait ainsi une éducation lacunaire, puisqu'il a quitté l'école au tout début de la seconde. Il parviendra bientôt à une connaissance aboutie des règles de la versification classique, et développera une conception très personnelle du rythme des chansons.

A Basdorf

Brassens travaille de 7h10 à 17h30 dans l'usine BMW : il est chargé de vérifier la facture des moteurs BMW. Il pourrait donc se contenter de réduire son rythme de lecture et d'écriture. Mais Brassens, qui - lorsqu'on le questionne sur son activité professionnelle -, dit 'je ne fais rien', n'est pas pour autant de tempérament oisif. Il est incapable de travailler le soir, au retour de l'usine BMW : ses camarades de chambrée font trop de bruit. Après marchandage, il obtient l'autorisation d'allumer la lumière à 5 heures du matin, bien avant ses compères. Il doit en échange aller chercher le café à l'autre bout du camp pour leur réveil. Ce petit marché lui permet de travailler pendant une bonne heure sur ses textes, et de lire à son aise. Brassens se couche aussi plus tôt, pour tenir le coup. Brassens lit également pendant le travail : il cache les livres de la bibliothèque dans son établi, et déjoue la surveillance des Allemands. Ce rythme, Brassens le conservera pendant toute une année. Et il est important de signaler que cela ne le prive pas d'établir des liens d'amitié très forts, et de représenter l'autorité coutumière de sa chambrée.

En tournée

En tournée, les journées sont bien remplies. Et elles se succèdent à un rythme d'enfer.

Brassens ne rechigne pas au travail, puisqu'il enchaînera les tournées et les spectacles pendant presque 10 ans, avant de relâcher le rythme. Brassens se lève tôt, et monte dans la DS qui l'accompagne dans ses tournées. On arrive en début d'après midi à l'hôtel. Là, Brassens ouvre la petite valise dans laquelle il a logé son nécessaire pour composer et écrire. Cet ensemble de cahiers, de notes, de bandes magnétiques (…) lui permet de composer n'importe où - musique et paroles. Brassens lit aussi beaucoup pendant son après-midi. Et il se repose. Brassens ne quitte généralement sa chambre qu'à 8 heures, heure à laquelle il se rend à la salle, deux

heures avant le début du concert. Il occupe ce temps à lire, puis passe en scène une petite heure. Immédiatement après cela, il va se coucher. Cet emploi du temps est presque inchangé de jours et jours, et Brassens poursuit sa traversée de la France et des pays Francophones dans l'ascétisme et le travail. On le demande partout : il va partout.

Nous avons donc appris que Brassens est un homme laborieux, qui travaille beaucoup, et qui aurait de toute façon donné sa vie à la chanson, travaillé pour elle pendant toutes ses années.

Travail et distraction semblent confondus dans l'emploi du temps de Brassens.

> Faits édifiants - une personnalité complexe

Brassens nous a surpris par quelques traits de personnalité tout à fait inhabituels, ou même saugrenus - étant donnée sa personnalité. Nous pensons que ces traits de caractère méritent d'être mentionnés.

Les armes à feux.

Nous avons tenu à souligner ce paradoxe d'un homme dont on connaît le pacifisme radical. Brassens était fasciné par les armes à feu. Une anecdote raconte que Brassens aurait failli acheter un véritable canon - qu'il avait remarqué en feuilletant le catalogue de Manufrance. Par manque de place, Brassens se ravisa. Mais il fait tout de même acheter un fusil à éléphants. Dans sa chambre trônaient plusieurs carabines et deux revolvers. Il tire rarement, et prend pour cible des rats ou des bouteilles, dans sa maison de campagne de Crespières. Brassens était un très mauvais tireur. Il faut croire qu'il y voyait une distraction, lui qui était - comme bon nombre de ses amis - viscéralement opposé à la chasse. On peut aussi tenter - comme Jean-Louis Calvet, de faire le lien entre ces armes et les précautions étranges de Brassens lorsqu'il était chez lui. Avant de dormir, Brassens s'assurait qu'une corde était bien attachée dans sa chambre, en cas d'incendie, et que sa porte était bien condamnée par une véritable plaque d'acier. Nous aimerions passer ces petites manies au crible de la psychanalyse, mais cela nous emmènerait bien loin, dans un champ d'études fort complexe.

Nous tenterons - lorsque nous serons en possession de tous les éléments qui nous permettront de juger -, de nous y aventurer. Mais pour l'heure, elles parleront de toute façon aux familiers des écrits de Freud.

L'argent.

Nous avons été mis sur la piste par la note sur la politique éditoriale que Brassens a fait circuler dans le cri des gueux. Il y qualifie ainsi le thème de l'argent : "sans intérêt. Voici ce qu'il en dit plus tard à Jacques Chancel :

Chancel : "L'argent n'a aucune importance pour vous".

Brassens : "Non, c'est pas le mobile de mon action, l'argent."

Chancel : "C'est un mobile quand même ?"

Brassens : "Non c'est pas un mobile du tout. Quand j'ai commencé à faire des chansons je n'ai pas du tout pensé que je gagnerais largement ma vie en faisant des chansons. Ce qui m'arrive aujourd'hui. Je n'en gagne pas tant d'ailleurs que vous semblez le sous-entendre".

Chancel : "Je n'ai rien dit."

Brassens : "Puisque je ne chante que tous les trois ans. M'enfin je gagne bien ma vie et je … fff … mais c'est pas pour ca que je fais des chansons vous savez. Si je gagnais très mal ma vie ne faisant c' que j'aime, je continuerai à le faire".

On peut également citer l'intervention de Brassens dans l'illustre entretien Brel/Brassens/Ferré, sous la houlette de Christiani :

"Si on était payé comme un fonctionnaire pour faire ce qu'on fait, on continuerait à le faire quand même. Parce qu'on aime ca. Et depuis quelques années justement, on entend parler de cachets mirifiques. Il y a des tas de types qui se lancent dans cette aventure et qui se cassent les dents."

Et lorsqu'il reçoit ses premiers cachets, c'est Pierre Onteniente qui le convainc d'ouvrir un compte. Georges Brassens lui signe immédiatement une procuration pour qu'il s'occupe de ses revenus. Brassens n'a cure de son compte en banque : il ne s'en occupera plus jamais. C'est Onteniente, qui travaillera plus tard à temps plein pour Brassens, qui paiera ses impôts, ses loyers, ses maisons et qui lui donnera même de l'argent de poche, jusqu'à la fin de sa vie.

Georges Brassens est un homme du refus, du désintérêt et de la passion. Ce qu'il refuse, il l'attaque. Ce qui n'a pas d'intérêt, il s'en détourne. C'est le cas de l'argent. Brassens n'en fait pas un enjeu. il s'en désintéresse non pas parce qu'il a peur de se laisser rêver, mais par conviction, et par manque d'intérêt.

Bien sûr, il dépensera de plus en plus d'argent, dans des maisons, dans des livres, des bateaux et dans des appareils de haute technologie. Mais il ne sera jamais touché par le fétichisme du chiffre, dans lequel il est si facile de tomber. Brassens a de l'argent ? Tant mieux, il s'en sert. Pour lui et pour ses amis - à qui il donnera beaucoup. Jamais pour des dépenses somptuaires. Mais au fond, dût-il passer toute sa vie sans argent, au service de la

même muse de la poésie, Brassens n'aurait pas hésité une seule seconde. Dans ce domaine, comme dans les autres, Brassens a une personnalité très forte. Ses idées demeurent les mêmes au cours de sa vie, peu importe le contexte.