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b) Entre deux feux : personnages gays noirs à l’intersection des discours post-gay et post-racial discours post-gay et post-racial

IDENTITÉS GAYS

II. 1. b) Entre deux feux : personnages gays noirs à l’intersection des discours post-gay et post-racial discours post-gay et post-racial

La visibilité des gays noirs a longtemps été extrêmement réduite, y compris dans le contexte de l’explosion de la visibilité gay des années 1990. Dans son ouvrage intitulé

Touching, Feeling: Affect, Pedagogy, Performativity, Eve Kosofsky Sedgwick a narré

l’anecdote de manifestations organisées pour dénoncer le refus, de la part d’une station de télévision locale et financée par l’argent public de l’université de Caroline du Nord, de diffuser Tongues Untied (Marlon Riggs, 1989), un documentaire à propos de l’intersection des identités gays et noires. Sedgwick a décrié ce qu’elle a nommé en ces termes : « [the] almost genocidally underrepresented topic of Black gay men in the United States [and] the apparently underrepresentable dangerous and endangered conjunction, queer and Black ».65

À vrai dire, avant Noah’s Arc (Logo, 2005-2006), il n’avait jamais existé de série gay noire, et les personnages gays et noirs étaient loin d’être légion, encore moins dans des rôles récurrents ou réguliers, à l’exception notoire de Keith dans Six Feet Under (HBO, 2001-2005) et Carter dans Spin City (ABC, 1996-2002). Depuis lors, l’état de la représentation de cette intersection d’identités s’est amélioré, en tout cas sur le plan numérique.

Notre analyse portera sur quatre séries au total : Noah’s Arc, Sirens (USA Network, 2014-2015), Unbreakable Kimmy Schmidt (Netflix, 2015-2019), Empire (Fox, 2015—). Bien que toutes ces séries donnent à voir des personnages gays noirs, elles divergent par leur classification générique et par leur contexte de diffusion. Noah’s Arc, qui a été surnommée le

Queer as Folk noir du fait des similitudes que les deux séries présentent, a été produite et

retransmise par Logo. Au désespoir de ses fans, elle n’a pas été renouvelée après deux saisons pour des motifs obscurs, vraisemblablement de nature non économique, car la série était la plus regardée de tous les programmes diffusés par la chaîne.66

Noah’s Arc est une série centrée sur la vie de quatre Africains-Américains gays. Sirens

et Unbreakable Kimmy Schmidt ont été diffusés respectivement sur USA Network - une chaîne payante par abonnement - et sur Netflix. Elles présentent toutes deux un personnage

65

Sedgwick, Eve Kosofsky, Touching feeling: Affect, Pedagogy, Performativity, Durham, Duke University Press, 2003. pp. 28-30.

66 Cunningham, Mark D., « Nigger, Coon, Boy, Punk, Homo, Faggot, Black Man: Reconsidering Established Interpretations of Masculinity, Race, and Sexuality through Noah’s Arc », Pierson et al. (dir.), Watching While Black: Centering the Television of Black Audiences, New Brunswick, Rutgers University Press, 2013, p. 173-174.

gay noir qui est « intégré », mêlé à des personnages blancs et hétérosexuels. Empire est un

soap diffusé par la Fox dont la sixième saison s'est récemment terminée, qui raconte la

célébrité et le succès croissants de la famille Lyon. Jamal est l’un des trois fils de Lucious et Cookie et est gay.

L'élection de Barack Obama et les progrès accomplis en matière de droits des personnes LGBTQ + au cours de la dernière décennie (Obergefell v. Hodges, l'abrogation de la politique du Don’t Ask, Don’t Tell, etc.) ont conduit certains à qualifier l'époque de « post-gay » ou « post- raciale » (de la même manière qu'ils utilisent « post-féministe »), niant ainsi la légitimité du type de politique identitaire qui a rendu de tels progrès possibles. Maintenant, bien que ceux qui ont annoncé l'aube de cette nouvelle ère aient vu leurs revendications remises en question, par exemple par l'élection de Donald Trump, les discours post-identitaires ont encore du poids et continuent d’infléchir les représentations télévisuelles.

Nous nous concentrerons ici sur la manière dont cette « conjonction » - pour reprendre le terme de Sedgwick - d’être noir et gay se manifeste dans ces différentes séries de la télévision américaine. Premièrement, dans un contexte où de nombreux discours accordent foi à l'avènement d'une ère post-raciale et post-gay, nous tenterons de montrer comment les représentations sont encore très identitaires, et reposent sur des tropes défraîchis, surtout quand il s'agit de notions d '« authenticité ». L '« authenticité » contraint les personnages à adopter des canevas d'identité stricts, souvent essentialisants, qui les mènent à des contradictions irréconciliables. En fait, certaines de ces identités, comme c'est le cas avec l’identité gay et l’identité africaine-américaine, ont tendance à être vues comme mutuellement exclusives. Comment, alors, est-il possible de représenter de tels paradoxes dans l'écriture télévisuelle ? Il s’avère que l’image qui domine, ou controlling image selon la terminologie mise au point par Patricia Hill Collins, des hommes noirs gays va à l’encontre des prétentions à « l’authenticité » et les dépeint comme des imposteurs. Cependant, les interstices ouverts par l'apparente incompatibilité de ces identités et par le portrait d'hommes noirs gays comme intrinsèquement frauduleux créent des espaces à partir desquels résister à ces récits dominants, « déroutiniser » ces identités et s'en « désidentifier ».

Les personnages des séries précitées sont tous très fondés sur des notions d’identité et - que ce soit intentionnel ou non - ont tendance à invalider les affirmations des tenants des discours post-gay et post-racial. Dans deux cas notables, Titus d’Unbreakable Kimmy Schmidt fait référence à l'importance de l'expérience vécue de l’homme noir et de l’homme gay.

TITUS : Gay, black and old, I don’t even know which box to check on the hate-crime form.

TITUS : I’ve decided to live as a werewolf. What? It’s so much easier than being an African American man. Security guards don’t follow me around in stores, dogs have stopped barking at me, and no one mistook me for Samuel L. Jackson all day […] I got treated better as a werewolf than I ever did as a Black man.67

Dans ces lignes, Titus montre à quel point l'expérience de l’homme noir et de l’homme gay sont toutes deux sources d’oppression. Noah’s Arc a attendu la deuxième saison pour s’intéresser aux difficultés que doivent affronter les hommes noirs gays, notamment le

gay-bashing et le harcèlement policier. Cette série a peut-être été un peu trop axée sur des

conceptions identitaires rigides, mais elle a été louée pour avoir mis fin à l’annihilation symbolique dont les hommes noirs gays avaient jusqu’alors été victimes, ainsi que pour avoir dépeint une variété d’hommes noirs gays très différents les uns des autres.

De la même manière, les problèmes de Jamal dans Empire viennent de cette double identité. Son père, Lucious, lui interdit de sortir du placard, prétendant fonder cette interdiction sur une préoccupation bienveillante quant à sa carrière de chanteur. Tout au long de la première saison, Jamal ne parvient pas à se résoudre à sortir du placard. Ainsi, le trope classique du placard, obsédé par l’identité, est une des caractéristiques principales du personnage. La fin de la première saison culmine avec son coming-out spectaculaire, destiné à son père et au reste du monde, tandis qu’il chante d’une manière très palimpsestueuse devant un public et des caméras une chanson de son père dont il a changé quelques vers.

Dans Sirens, la problématique du coming-out est abordée dans la toute première scène du premier épisode de la première saison. Assez paradoxalement, la personnalité de Hank, à la différence des personnages évoqués ci-dessus, repose beaucoup moins sur des questions identitaires. Alors que Jamal, Titus, ou les personnages de Noah’s Arc décrivent tous l’expérience particulière d’un homme à la fois noir et gay, la stratégie déployée dans Sirens est beaucoup plus en phase avec le discours post-gay. Hank est présenté comme « l’un des garçons » et sa double différence est minimisée. Au contraire, en accord avec les politiques assimilationnistes entrainées par les discours post-gay et post-racial, l’accent est mis sur les ressemblances, sur les traits de caractère que les personnages ont en commun. Cette

séquence68 pourrait être vue, plutôt que comme une scène de coming-out conventionnelle, comme une illustration de l’hétérosexualité obligatoire, qui dicte que tant qu’un personnage n’arbore pas de signifiants stéréotypiques de la gayness, on partira du principe qu’il est hétérosexuel. La conversation anodine (en surface) entre deux hommes au sujet de leurs présentatrices / présentateurs de journal télévisé préféré.e.s fonctionne comme un coming-out pour le spectateur, mais en l’inscrivant dans un dialogue dans lequel un homme gay et un homme hétérosexuel échangent leurs sentiments quant à leurs objets de désir respectifs, la spécificité de l’identité de Hank est minimisée. La contradiction apparente entre l’affirmation d’une identité gay, selon un certain type de coming-out, en passant, et la volonté des créateurs de se concentrer sur ce que les personnages ont en commun renvoie à la tension entre le discours post-gay et ce que Ron Becker appelle « panique hétérosexuelle » :

Most specifically, straight panic refers to the growing anxiety of a heterosexual culture and straight individuals confronting this shifting social landscape where categories of sexual identity were repeatedly scrutinized and traditional moral hierarchies regulating sexuality were challenged. In this process, the distinctions separating what it meant to be gay or lesbian from what it meant to be straight were simultaneously sharpened and blurred, producing an uneasy confusion. Straight America, once relatively oblivious to its heterosexuality and naïve about the privileges that came with it, was forced to acknowledge both, even as the stability of straight identity and dominance was being undermined.69

Il affirme que l’augmentation de la visibilité gay sur les networks aux États-Unis dans les années 1990 et au début des années 2000 a plongé l’Amérique hétérosexuelle dans une vaste panique liée au maintien de catégories sexuelles habituelles et a créé un besoin obsessionnel de distinguer clairement la frontière entre gay et hétérosexuel. Étant la première scène de la série, elle montre avec quelle rigueur cette frontière devait être établie.

Les récits dominants dans le domaine accordent tous deux beaucoup de crédit à la notion d’« authenticité ». Lorsqu'elle est appliquée à des hommes africains américains, « l'authenticité » semble être associée à la performance de la masculinité, à l'homophobie et à la classe sociale. Selon la taxonomie des masculinités de Connell, les masculinités noires, dans la mesure où elles sont racisées, sont considérées comme marginales et subordonnées à

68

Sirens, « Itsy-Bitsy Spider » (S01E08).

la masculinité hégémonique.70 D'où l'accent mis sur « l'authenticité », constamment remise en question.

A particular form of blackness, created and sustained by the trope of authenticity, has become hegemonic in current U.S. society. In its current form, authentic blackness “has increasingly become linked to masculinity in its most patriarchal significations... this particular brand of masculinity epitomizes the imperialism of heterosexism, sexism and homophobia (Johnson, “Specter” 218).” The romanticized view of working class as authentic renders middle-class, educated blacks as assimilated, capitulated and inauthentic. Furthermore, an inner city lifestyle is associated with black authenticity.71

Comme le soulignent ces deux citations, la Blackness « authentique » est nécessairement liée à une version particulièrement patriarcale de la masculinité. Cette version stricte de la

Blackness authentique est complétée et complexifiée par des questions de classe sociale. Une

telle définition de la Blackness « authentique », si spécifique, la rend difficile à exécuter et il est facile de s’en écarter, à tel point que Philip Brian Harper a affirmé que les personnages noirs gays ont souvent servi à « étayer (souvent spécifiquement en les remettant en question) les conceptions normatives des questions raciales, et de sexualité et de genre ».72 Cela est tout à fait semblables aux sissies de Vito Russo, qui servaient à « mesurer la virilité des hommes qui les entouraient ».73

Le trope de « l'authenticité » ne s'applique pas seulement aux Noirs. Le paradigme du placard repose sur des binarismes stricts ainsi que sur des notions d'authenticité, et s’appuie également sur l’idée d’une identité rigide et stable. Le seuil entre authentique et inauthentique, entre vivre un mensonge et vivre « sa vérité »74 est matérialisé par le rituel du coming-out. Le placard, cependant, comme l’illustre l’article de Marlon B. Ross intitulé « Beyond the Closet as Raceless Paradigm » est trop souvent considéré comme une caractéristique universalisante de la vie des hommes gays et obscurcit les aspects distinctifs

70

R. W. Connell, Masculinities, Berkeley, University of California Press, 2005, p. 80-83.

71 Gust A. Yep, John P. Elia, « Queering/Quaring Blackness in Noah’s Arc », Thomas Peele (dir.) Queer Popular Culture: Literature, Media, Film and Television, New York, Palgrave Macmillan, 2007, p. 31.

72 « […] buttress (often specifically in challenging) normative conceptions of race sexuality, and gender identity. » Harper, Philip Brian, « Walk-on parts and speaking subjects: Screen representations of Black gay men », Callaloo, Vol. 18, No. 2, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, p. 390.

73 Russo, op. cit.. p. 16.

74 « Vivre sa vérité » ou living one’s truth est un élément de langage couramment utilisé pour indiquer la nécessité du coming-out. Voir par exemple l’ouvrage suivant au titre évocateur : Thorneberry, Grady L., Journey to a Rainbow: Living Your Truth, Living Authentically, Hudson, Summit Resources Group LLC, 2019.

que le coming-out peut revêtir lorsqu'il s'agit de personnages racisés.75 Du fait que ces identités s’excluent mutuellement, la quête d’authenticité s’avère souvent, dans le cas des hommes noirs gays, comme une tâche absurde. En fait, souvent, en s'efforçant de « performer » l'une de leurs identités avec « authenticité », ils s’aliènent l'autre et se retrouvent avec des identités fracturées.

Titus est un bon exemple d'identité fracturée. En l'occurrence, Titus Andromedon n'est pas le vrai nom de Titus. Son nom de naissance est Ronald Wilkerson, mais il l'a changé lorsqu'il a déménagé du Mississippi pour s’installer « à la grande ville pour sortir du placard et devenir une grande star »,76 établissant une rupture entre son moi noir placardé du Sud et son fabuleux nouveau moi, hors du placard, à New York. La couleur de peau de Titus est rarement mentionnée ou traitée comme pertinente dans la diégèse (à l’exception des deux citations susmentionnées). Il n'est que rarement représenté dans une interaction avec d'autres personnes noires, surtout dans les premières saisons, et encore moins des hommes noirs gays, ou dans le contexte d'une communauté gay noire.

Noah’s Arc offre un autre exemple intéressant de la difficulté que l’on éprouve en

essayant de réconcilier identité noire et identité gay dans le personnage de Ricky. À diverses occasions, Ricky fait des remarques « follophobes »77 et se moque de gays « efféminés ». La « follophobie » peut sembler un moyen pratique de réconcilier la masculinité patriarcale noire et la masculinité gay, mais quand il tente de combler le fossé entre ses deux identités, il est instantanément repris par ses amis, dont certains, comme Noah, ne sont pas conventionnellement masculins et n'essaient pas de l’être. Des tendances « follophobes » peuvent également être repérées chez Hank, surtout quand il fait référence au nouveau fiancé de son ex-petit ami, qui est, selon Hank, « a sissified version of moi ».78 Une autre brèche dans l’identité de Hank peut être observée dans son apparence. Alors que la série s’articule autour des professions des personnages, Hank est généralement montré dans son uniforme d’ambulancier très neutre. Clarke et Turner (Clarke, 2007) affirment que :

[A]ppearance constitutes a primary way of asserting and displaying a lesbian and gay identity […] Lesbians and gay men use clothing and adornment to create a sense of group identity (separate from the

75

Marlon B. Ross, « Beyond the Closet as Raceless Paradigm », E. Patrick Johnson, Mae G. Henderson (dir.), Black Queer Studies, Durham, Duke University Press, 2005, p. 161-89.

76 Unbreakable Kimmy Schmidt, « Kimmy Goes on a Playdate! » (S02E02).

77 Le terme consacré en anglais est sissyphobia. Voir l’ouvrage de Bergling, Tim, Sissyphobia: Gay Men and Effeminate Behavior, Philadelphie, Haworth Press Inc, 2001.

dominant culture), to resist and challenge normative (gendered) expectations, and to signal their sexual identity to the wider world or just to those ‘in the know’.79

Dans ce contexte professionnel, Hank se retrouve dépouillé de tout type de parure ou d'accessoire qui signifierait son identité gay.

La fragmentation et l’irréconciliable incompatibilité des identités des hommes noirs gays les ont souvent amenés à être représentés comme des imposteurs, des fraudeurs, cela afin de rendre la masculinité noire hétérosexuelle et l'hétérosexualité blanche plus « authentiques ». Charles I. Nero, évoquant les travaux du chercheur E. P. Johnson, le formule ainsi :

The impostor which also includes the sexually voracious black stud who is not really a gay man since he exists only to satiate white male desire—is the predominate controlling image of black gay men. The impostor is similar to the caricatures of black gay men that E. Patrick Johnson discusses in his dazzling work Appropriating Blackness. Using examples such as the “Men On ...” skit in the 1980s television show In Living Color; the Black Power writings by Eldridge Clever and Amiri Baraka; and the performances by the comic Eddie Murphy, Johnson shows how such caricatures “work to signify black masculinity and in effect heterosexuality as authentic and black homosexuality as trivial, ineffectual, and, indeed, inauthentic80.”

Le trope de l'homme noir gay en tant qu'imposteur a la vie dure, et même dans des séries plus récentes, les personnages cèdent à ces stéréotypes éculés. Sirens souligne ce que Hank et les autres personnages ont en commun, en particulier Johnny. Conformément à l'accent mis par la série sur la similitude, l'expression de genre de Hank est conventionnellement masculine (elle présente même la quantité requise de « follophobie ») et est jugée crédible par ses collègues. Cependant, dans un épisode intitulé « Itsy Bitsy Spider », il est montré poussant des cris aigus provoqués par la présence d'une araignée sur son épaule.81 La scène suivante montre un personnage féminin retirant l'araignée. Les deux collègues de Hank et elle se moquent de lui, le féminisant et lui disant que ce dont il a besoin est un diadème. La féminisation de Hank

79 Victoria Clarke, and Kevin Turner, « Clothes Maketh the Queer? Dress, Appearance and the Construction of Lesbian, Gay and Bisexual Identities », Feminism & Psychology, Vol. 17, No. 2, 2007, p. 268.

80 Nero, Charles, « Why Are Gay Ghettoes White? », E. Patrick Johnson, Mae G. Henderson (dir.), Black Queer Studies, Durham, Duke University Press, 2005, p. 235.

dans cette scène réactive les associations entre féminité et homosexualité, qui se trouvent être une source de ridicule. Hank est l'un des garçons (one of the boys) et peut le rester tant qu'il ne s'écarte pas du script canonique de la masculinité.

Titus est l'opposé de Hank et n'essaie pas du tout d'être authentique. Il floute constamment la frontière entre identité et performance, entre réalité et fiction. Les occurrences de ce brouillage sont si nombreuses que nous aurions du mal à toutes les énumérer ici. Nous allons donc utiliser comme exemple sa volonté de vivre comme un loup-garou, ou la façon dont il décrit son histoire de vie : « I realize the one-man show about my life has been done: small-town boy moves to the big city to come out of the closet and become a star. That describes literally everyone I know ».82 Contrairement à ce qu'il prétend, Titus n’a jamais vraiment fait son coming-out après avoir déménagé dans la grande ville. Il utilise également l'inauthenticité comme mécanisme de défense pour se distancer de ses difficiles conditions de vie ; comme il le déclare, il est « gay, noir et vieux ».

Comme le soutient Muñoz dans « Queer Minstrels for the Straight Eye » : « queerness is, for the queer of color, always about adjacent antagonisms within the social, including but not limited to, class and race».83 Le processus de désidentification est rendu possible par l'incompatibilité même des deux identités. Munoz définit ainsi la désidentification:

Disidentification resists the interpellating call of ideology that fixes a subject within the state power apparatus. It is a reformatting of self