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TABLEAU DE CONCORDANCE LIVRES 57 ET 58

1.4. ARCHITECTURE GENERALE DES LIVRES 57 ET 58

1.4.3 L’organisation du récit au sein des deux livres

1.4.3.2 Persistance de la trame annalistique

Entre les deux pôles de l’avènement de l’empereur et de sa mort (qui représentent, comme l’a souligné Questa, les moments du récit où le mode biographique est le plus prégnant), l’ordre chronologique est en effet globalement respecté. Il est d’ailleurs revendiqué par Dion lui-même en 57, 14 : λέξω δὲ καὶ κατὰ τοὺς καιροὺς ὡς ἕκαστα ἐγένετο, ὅσα γε καὶ μνήμης ἄξιά ἐστιν (« Mais je rapporterai au moment opportun comment chaque événement se produisit, dans la mesure où il est digne de mémoire »), formule de transition qui signifie le retour au récit annalistique et que l’on retrouve, mutatis mutandis, en 53, 22, 1 ou encore en 59, 6, 1, en 60, 3, 1, en 67, 6, 1, et 69, 8, 1... On peut donc établir une chronologie approximative des deux livres tibériens :

57, 2-13 : événements de la fin de l’année 14 mêlés à des éléments non datés mais certainement postérieurs

57, 14 : année 15 57, 15-16 : année 16 57, 17 : année 17 57, 18 : années 16-19 57, 19 : années 19-20 57, 20 : année 21 57, 21 : année 22 57, 22 : année 23 57, 23 : années 23-24 57, 24 : années 24-25 58, 1 : années 26 à 29 58, 2 : année 29 58, 3-4 : année 30 58, 5-15 : année 31 58, 16-17 : année 32 58, 18-21 : années 32-33 58, 22-23 : année 33 58, 24 : année 34 58, 25 : année 35 58, 26 : années 34-37 58, 27 : années 36-37 58, 28 : mars 37

La trame annalistique affleure à certains endroits. Tout d’abord, Dion conserve la mention des consuls en exercice au moment des faits rapportés, avec de nombreuses variantes dans la formulation (préposition ἐπὶ suivie du nom des

consuls au génitif, ou bien génitif absolu avec variation dans le verbe au participe : ἀρχεῖν ou ὑπατεύειν, ou encore subordonnée temporelle introduite par ἐπεὶ, voire proposition relative avec pour antécédent τῷ ἑξῆς/ἐπιόντι/ἐχομένῳ ἔτει, ou pour finir phrase complète, mentionnant explicitement ou incidemment les noms des deux consuls en activité) et dans la situation au sein des paragraphes (souvent en tête de section, comme en 57, 14 ; 15 ; 17 ; 20, et 58, 17 ; 20 ; 24, mais pas toujours, comme on peut le voir en 57, 18 et 58, 6 ; 9 ; 25 ; 26 ; 27) :

- 57, 14: ἐπὶ μὲν τοῦ Δρούσου τοῦ υἱέος αὐτοῦ Γαΐου τε Νωρβανοῦ ὑπάτων - 57, 15 : Στατιλίου δὲ Ταύρου μετὰ Λουκίου Λίβωνος ὑπατεύσαντος - 57, 17 : τῷ δ´ ἐχομένῳ ἔτει τὸ μὲν τῶν ὑπάτων ὄνομα Γάιός τε Καικίλιος καὶ Λούκιος Φλάκκος ἔλαβον - 57, 18 : Μάρκου δὲ δὴ Ἰουνίου Λουκίου τε Νωρβανοῦ μετὰ ταῦτα ἀρξάντων - 57, 20 : ἐπεὶ δὲ ὁ Τιβέριος τὴν ὕπατον ἀρχὴν ἦρξε μετὰ τοῦ Δρούσου, - 58, 6 : (à propos de Séjan) καὶ συνάρχοντα τοῦ Τιβερίου, οὐκ ἐς τὴν ὑπατείαν ἀλλ´ ἐς τὸ κράτος ὑποσημαίνοντες, ἐπεκάλουν. - 58, 9 : Μεμμίῳ τε Ῥηγούλῳ τότε ὑπατεύοντι (ὁ γὰρ συνάρχων αὐτοῦ τὰ τοῦ Σεϊανοῦ ἐφρόνει) - 58, 17 : τῷ ἑξῆς ἔτει, ᾧ Γναῖος Δομίτιος καὶ Κάμιλλος Σκριβωνιανὸς ὑπάτευσαν, - 58, 20 : τῶν δ´ οὖν ὑπάτων ὁ μὲν Δομίτιος δι´ ἔτους ἦρξε et τῷ γοῦν ἐπιόντι ἔτει, ἐν ᾧ ὅ τε Γάλβας ὁ Σέρουιος ὁ μετὰ ταῦτα αὐταρχήσας καὶ Λούκιος Κορνήλιος τὸ τῶν ὑπάτων ὄνομα ἔσχον - 58, 24 : οἱ δ´ ὕπατοι Λούκιός τε Οὐιτέλλιος καὶ Φάβιος Περσικὸς τὴν δεκετηρίδα τὴν δευτέραν ἑώρτασαν - 58, 25 : ἐκ δὲ τούτου Γάιος μὲν Γάλλος καὶ Μᾶρκος Σερουίλιος ὑπάτευσαν - 58, 26 : Σέξτου δὲ δὴ Παπινίου μετὰ Κυίντου Πλαυτίου

ὑπατεύσαντος

- 58, 27 : τῷ δ´ ἐπιόντι ἦρι ἐκεῖνος ἐπί 〈τε〉 Γναίου Πρόκλου καὶ ἐπὶ Ποντίου Νιγρίνου ὑπάτων ἐτελεύτησεν.

Il faut cependant ajouter que l’habitude prise par Tibère de créer, en cours d’année consulaire, des consuls suffects147 vient parfois perturber ce système de référence – quoique les premiers consuls nommés demeurent éponymes.

Du reste, certains regroupements d’événements aussi bien domi que militiae, sans liens apparents les uns avec les autres, ne semblent s’expliquer que par ce principe d’écriture annalistique148 : par exemple, le chapitre 14 du livre 57 rassemble des faits aussi différents que l’acquittement des sommes léguées au peuple par Auguste, le changement du mode d’administration de la Crète, l’obligation faite aux gouverneurs récemment nommés de se rendre dans les provinces dès les calendes de juin, la mort du fils de Drusus, la création d’une curatelle des rives du Tibre consécutive à des inondations, et, enfin, une révolte des acteurs contre Tibère, soit autant d’événements indépendants les uns des autres qui n’ont en commun que le fait de survenir la même année et d’impliquer, de manière plus ou moins directe, Tibère. De même, le chapitre 24 associe la fête des dix années de règne, la mort de Crémutius Cordus et la destruction de ses œuvres à l’instigation de Séjan, le spectacle de l’entraînement des prétoriens imposé aux Sénateurs, la sanction des habitants de Cyzique, le procès d’un homme qui a vendu, en même temps que sa maison, une statue de l’empereur, et pour finir l’accusation de conspiration lancée contre le sénateur Lentulus. On y retrouve également le style lapidaire et dépouillé des chroniques et annales républicaines épousant le rythme des événements de la vie publique romaine, ainsi que l’alternance entre sections consacrées aux affaires de l’Vrbs et celles dévolues aux affaires extérieures. Quelquefois même, Dion rappelle,

147 Cf. la remarque faite par Dion en 58, 20 : τῶν δ´ οὖν ὑπάτων ὁ μὲν Δομίτιος δι´ ἔτους ἦρξε, οἱ δ´ ἄλλοι ὥς που τῷ Τιβερίῳ ἔδοξε. τοὺς μὲν γὰρ ἐπὶ μακρότερον τοὺς δὲ ἐπὶ βραχύτερον ἂν ᾑρεῖτο, καὶ τοὺς μὲν ἔτι καὶ θᾶσσον τοῦ τεταγμένου ἀπήλλασσε, τοῖς δὲ καὶ ἐπὶ πλεῖον ἄρχειν ἐδίδου. ἤδη δὲ καὶ ἐς ὅλον τὸν ἐνιαυτὸν ἀποδείξας ἄν τινα ἐκεῖνον μὲν κατέλυεν, ἕτερον δὲ καὶ αὖθις ἕτερον ἀντικαθίστη· (« Quant aux consuls, Domitius exerça sa charge jusqu'à la fin de l'année [...] ; les autres, le temps qu'il plut à Tibère. En effet, il choisissait les uns pour une période plus longue et les autres pour une plus brève ; il y en avait aussi qu'il faisait sortir de charge avant le terme légal, et d'autres qu'il prorogeait au-delà de ce terme. »).

juste avant de changer d’année consulaire, le nom des magistrats décédés au cours de la période et celui de leurs successeurs : les sections 58, 19 et 25, en particulier, s’achèvent par des notices nécrologiques, selon un principe hérité là encore de l’annalistique149.

Cependant, afin de conjurer le risque, inhérent à l’écriture annalistique, d’un émiettement du matériau historique, Dion tâche parfois de réunir les éléments disparates composant le tissu événementiel d’une année autour d’un thème englobant. En 57, 15 par exemple, c’est paradoxalement le thème de l’inconstance de Tibère et l’incohérence de ses décisions politiques qui vient redonner une cohérence

a posteriori aux différents événements de l’année 16 p. C. : ainsi, le refus de Tibère

d’employer un mot grec dans un édit, l’épisode du centurion contraint de déposer en latin devant le Sénat, l’affaire de Scribonius Libo, tardivement poursuivi bien qu’étant gravement malade, l’impunité de Vibius Rufus malgré ses provocations répétées à l’égard du pouvoir impérial, tous ces faits isolés deviennent autant d’exemples d’inconséquence de l’empereur, de manque de suite dans les idées : τοῦτο ... οὐχ ὁμολογούμενον ἔπραξε.

Enfin, force est de constater que même au sein des chapitres dont l’organisation s’inspire, plus ou moins librement, de l’annalistique, les indications temporelles demeurent généralement assez floues et relatives. On relève ainsi beaucoup d’adverbes du type πρῶτον, πρότερον, ὕστερον, ποτε, τότε, ἤδη, παραχρῆμα, αὐτίκα, ou de locutions comme μετὰ ταῦτα/τοῦτο, ἔστι δ´ ὅτε, προϊόντος δὲ τοῦ χρόνου, mais fort peu de dates très précises, en dehors des références aux calendes de janvier : ἐν τῇ πρώτῃ τοῦ ἔτους ἡμέρᾳ, τὴν νουμηνίαν (57, 8), ἐν αὐτῇ τῇ νουμηνίᾳ (57, 18) ou de juin : τῆς τοῦ Ἰουνίου νουμηνίας (57, 14), à l’anniversaire d’Auguste (ἐν τῇ τῶν τοῦ Αὐγούστου γενεσίων ἱπποδρομίᾳ, 57, 14) et à la mort de Tibère : τῇ ἕκτῃ καὶ εἰκοστῇ τοῦ Μαρτίου ἡμέρᾳ (58, 28). Dion se contente le plus souvent de signaler la simultanéité des événements : αὐθημερὸν, ἐν γὰρ τῇ αὐτῇ ἡμέρᾳ, ἐν δὲ τῷ αὐτῷ τούτῳ χρόνῳ, τῷ αὐτῷ ἔτει, ἅμα…, leur

149 Ainsi que le souligne Swan, qui compare la fin des notices de Dion avec l’organisation du récit livien [cf. Swan, P. M., 2004, p. 17-21].

antériorité/postériorité : πρότερον, πρόσθεν, πρόπαλαι, ὕστερον, ἔπειτα, τέλος, ὀψὲ, μετὰ ταῦτα…, leur rapport de causalité : 58, 8, ἔκ τε οὖν τούτων, 58, 16, ὅθεν […] ἔμαθον… ou bien leur fréquence : πολλάκις, ἀεὶ, ὁπότε…, plus qu’il ne cherche à les dater précisément et objectivement. Il en va de même pour les indications de durée, généralement vagues et subjectives : ἐκ πλείονος χρόνου, χρόνον τινὰ, ἐπὶ πολλὰ ἔτη, οὐ πολλῷ ὕστερον, συχνὸν ἤδη χρόνον, ὀλίγον, οὐ μέντοι ἐπὶ πολὺ... Ne sont exactement quantifiés que certaines mandatures (en 57, 24, l’anniversaire des dix ans de principat de Tibère : ἡ δεκαετηρὶς, auquel fait écho en 58, 24 la célébration de la vingtième année de règne : εἰκοστοῦ ἔτους τῆς ἀρχῆς ; en 58, 4, le consulat décerné pour cinq ans, διὰ πέντε ἐτῶν, à Tibère et Séjan ; en 58, 23 : la prorogation pour trois ou six ans des gouverneurs de provinces : ἐπὶ τρία τοὺς δ´ ὑπατευκότας ἐπὶ ἓξ ἔτη τὰς ἡγεμονίας τῶν ἐθνῶν), la durée des prêts sans intérêts mis en place pour combattre l’usure (58, 21 : ἐς τρία ἔτη), ainsi que l’âge de Tibère lors de son avènement (ἓξ γὰρ καὶ πεντήκοντα ἔτη ἐγεγόνει, 57, 2) et de sa mort (ἐβίω δὲ ἑπτὰ καὶ ἑβδομήκοντα ἔτη καὶ μῆνας τέσσαρας καὶ ἡμέρας ἐννέα, ἀφ´ ὧν ἔτη μὲν δύο καὶ εἴκοσι μῆνας δὲ ἑπτὰ καὶ ἡμέρας ἑπτὰ ἐμονάρχησε, 58, 28), et celui de sa mère Livie au moment de son décès : ἓξ καὶ ὀγδοήκοντα ἔτη ζήσασα (58, 2). En fait, la durée des magistratures n’est bien souvent précisée que lorsqu’elle contrevient aux usages politiques établis – elle devient alors un signe de la dégradation des institutions républicaines : ainsi, lorsque Tibère s’abstient de demander le renouvellement de sa charge au bout de dix ans comme l’avait fait Auguste, quand le consulat est décerné pour cinq ans à Séjan et Tibère (qui le refuse), ou bien quand les gouverneurs des provinces sont maintenus en poste au-delà du terme fixé par la loi, ou encore lorsque Caius accède à la questure cinq ans avant l’âge légal (πέντε ἔτεσι θᾶσσον, 58, 23).

La prévalence de l’écriture annalistique dans la « zone médiane » - située entre la section préliminaire et le bilan du règne, soit, dans le cas du principat tibérien, de 57, 14 à 58, 27 - n’empêche cependant pas certains écarts par rapport à la chronologie, témoignant d’un travail de composition de la part de l’historien.