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TABLEAU DE CONCORDANCE LIVRES 57 ET 58

4. LA TRADITION DU TEXTE DES LIVRES 57 ET 58

4.2 LA TRADITION INDIRECTE

4.2.2 Les épitomés

- Jean Xiphilin, neveu du patriarche de Constantinople, composa, dans la deuxième moitié du XIe siècle, un abrégé des livres 35 à 80 de l'Histoire romaine. L'édition de référence aujourd'hui encore reste celle d' U. Ph. Boissevain, Cassii Dionis

447 Petrova, D., 2006 : Das Lexicon « Über die Syntax » : Untersuchung und kritische Ausgabe des Lexikons im

Codex Paris. Coisl. gr. 345 (Serta Graeca).

448 Cf. Suidae Lexicon, éd. A. Adler, Teubner, Leipzig, 1928-1938 (Munich, Saur, 2001), IV p. 545, 23—546, 3. 449 Fr. 159.1, 1—4, p. 278 éd. U. Roberto.

Historiarum Romanarum quae supersunt III (Berlin, 1901, p. 479—730), qui conserve la

pagination et la numérotation des lignes de Dindorf. Elle s'appuie principalement sur trois manuscrits datés du XVe siècle, le Vaticanus graecus 145 (sigle V), le

Coislinianus 320 (sigle K) ainsi que le Laurentianus plut. 70. 10 (A), qui représente,

pour les passages où le copiste a suppléé les lacunes du texte dionien à l'aide de l'épitomé, une troisième branche de la tradition manuscrite. À côté de ces trois témoins, nous avons également collationné un manuscrit du XVIe siècle, le

Vesontinus 847 (auquel nous avons affecté le sigle U), classé par Boissevain parmi les

apographes de K, mais qui contient ponctuellement des leçons innovantes par rapport à V et K, comme l'a montré V. Fromentin dans sa préface à l'édition des livres 45-46 de l'Histoire romaine450. Cela se vérifie en plusieurs occasions dans nos livres : Fautes de U contre V, K et A : 57. 18. 5.5 ἔπη VKA : ἔτη U 57. 19. 1.8 ἀγρίως VKA : ἀρτίως U 57. 24. 3.4 κακὸν VKA : καλλὸν U 58. 5. 1.2 συνελόντι VKA : συνελθόντι U

Bien que ces leçons isolées soient rarement meilleures que celles des autres manuscrits, il nous a paru pertinent néanmoins de les faire figurer dans l'apparat critique au même titre que celles de V, K et A, afin de donner une image plus complète de la tradition manuscrite.

Pour les sections où l'on peut comparer son texte avec celui de Dion Cassius, on constate que Xiphilin a opéré une sélection plutôt que rédigé un véritable abrégé ; il reste très proche du texte original, dont il reproduit de larges morceaux littéralement451, quitte à usurper parfois la voix auctoriale de l'historien (comme par exemple en 57, 23, 1 : πολλὰ δ ´ ἂν καὶ ἄλλα τοιουτότροπα γράφειν ἔχοιμι, εἰ πάντα ἐπεξίοιμι. τοῦτό τε οὖν ἐν κεφαλαίῳ εἰρήσθω ὅτι κ.τ.λ.). Cette œuvre, qui atteste de traditions manuscrites aujourd'hui perdues, est donc susceptible de nous

450Dion Cassius, Histoire romaine livres 45 et 46, C.U.F., Paris, 2008, p. LXXXVII— LXXXVIII. 451Par exemple, pour le livre 57, les chapitres 2,10, 12 et 18 sont donnés quasi in extenso.

fournir sporadiquement de meilleures leçons que celles de M et de ses apographes : ainsi en 57. 1. 3.2—3, le potentiel ἂν λαμβάνοντες, présent dans les mss. U, V et K, paraît plus satisfaisant que la forme ἀναλαμβάνοντες donnée par M, qui semble provenir d'une mélecture. De même, en 57. 11. 3.3, l'optatif κομίζοιτο exprimant un fait répété dans le passé, attesté par V et K, est préférable à l'indicatif imparfait ἐκομίζετο qui figure dans les manuscrits de Dion.

Toutefois, bien que respectant généralement l'ordre de la narration dionienne452, Xiphilin en saute certains passages, selon un mode opératoire assez proche de celui que nous avons décrit pour les excerpteurs constantiniens. Le texte original est ainsi expurgé de tous les éléments circonstanciels, précisions et nuances jugés peu essentiels à la compréhension des faits évoqués, comme on peut le voir dans l'exemple qui suit (je souligne les parties de la phrase dionienne qui n'ont pas été retenues par l'abréviateur) :

- H.R. 57, 5, 1 : Καὶ οὗτοι μὲν οὕτως ἡσύχασαν, οἱ δὲ ἐν τῇ Γερμανίᾳ, καὶ πολλοὶ διὰ τὸν πόλεμον ἠθροισμένοι καὶ τὸν Γερμανικὸν καὶ Καίσαρα καὶ πολὺ τοῦ Τιβερίου κρείττω ὁρῶντες ὄντα, οὐδὲν ἐμετρίαζον ἀλλὰ τὰ αὐτὰ προτεινόμενοι τόν τε Τιβέριον ἐκακηγόρησαν καὶ τὸν Γερμανικὸν αὐτοκράτορα ἐπεκάλεσαν. - Xiphilin : οἱ δὲ ἐν τῇ Γερμανίᾳ στρατιται τὴν Γερμανικὴν καὶ Καίσαρα καὶ πολὺ τοῦ Τιβερίου κρείττω ὁρῶντες ὄντα, τόν τε Τιβέριον ἐκακηγόρησαν.

Ces ellipses s'étendent parfois même à des chapitres entiers, dont l'épitomateur ne garde pas la moindre trace dans son texte453: ainsi du livre 57, 4, et, pour le livre

452 On peut cependant relever quelques entorses à ce principe, l'épitomateur ne s'interdisant pas à l'occasion, par souci d'économie verbale ou pour renforcer certains effets, de déplacer des membres de phrases voire des phrases entières : ainsi dans le passage relatif aux événements narrés par Dion au chapitre 57, 11, les éléments empruntés à 57, 11, 4 viennent après un fragment correspondant au texte de 57, 11, 7. Le même phénomène se retrouve dans les parties relatives aux chapitres 57, 15 et 58, 21.

453 Selon une estimation de Brunt, Xiphilin aurait réduit le texte de Dion à moins d'un quart pour l'époque impériale, et le coefficient de réduction est plus élevé encore pour la période républicaine. L'exemple le plus frappant reste celui de la section de l'épitomé consacrée à Pompée, qui « résume » en 5 050 mots environ (soit une dizaine de pages dans l'édition de Boissevain) le contenu des livres 37–42.3 de l'Histoire romaine, représentant à l'origine quelques 69 300 mots et occupant 231 pages dans l'édition de Boissevain. [cf. Brunt, P. A., 1980, pp. 489–490.]

58, des chapitres 8, 13, 15–18, 20 et 25–26. Pour donner néanmoins le sentiment d'un récit continu, Xiphilin est alors amené à « suturer » les différents fragments prélevés chez Dion à l'aide de formules de son cru. Cela entraîne inévitablement une altération du texte dionien, comme on peut le vérifier pour les passages qui nous ont été transmis par la tradition directe. Ainsi, pour faire la jonction entre 57, 5, 2 (« tentative de suicide » de Germanicus, acclamé empereur par ses soldats) et 57, 5, 6 (prise en otage de Caligula par les légionnaires de son père) après avoir supprimé une péripétie intermédiaire liée à une ruse de Germanicus pour faire taire les revendications des mutins, l'abréviateur byzantin introduit une phrase de transition sans équivalent chez Dion : ὅμως δ' οὖν σὺν χρόνῳ καὶ μόλις ἠδυνήθη σφᾶς καταστῆσαι.

De plus, les différentes sections de l'épitomé ne suivent pas la division en livres adoptée par Dion, mais Xiphilin recompose le matériau annalistique de l'Histoire

romaine en une série de vingt-cinq récits biographiques centrés sur la figure

dominante de l'« empereur », de Pompée à Sévère Alexandre. Fondant en une seule section consacrée à Tibère le contenu des livres 57 et 58, l'épitomateur byzantin nous prive donc en même temps d'indices précieux permettant de retracer la démarcation entre les deux livres de Dion.

Plus gênant encore, on relève par endroits des erreurs susceptibles de modifier le sens du texte en profondeur :

57. 2. 1.2 Νώλης M : Ῥώμης UVK. 57. 18. 10.2 Πίσων V : νηίσων UK 58. 2. 5.4 μήτε ἀκούειν μήτε αἰσθάνεσθαι προσποιουμένη Bs. cum Zon. : ἐπὶ δώματα... μήτις εἰσθανέσθω παραποιουμένη UK ἐπὶ δώματα... μήτε αἰσθάνεσθαι προσποιουμένη V μήτε διώκουσα μήτ' αἰσθάνεσθαι προσποιουμένη A 58. 3. 3.9 ἀπάξοντα P : ἄξοντα VAB αὔξοντες UK 58. 19. 1.2 Λουκίου Καισιανοῦ Bs. : κασιανοῦ λουκίου τε σιανοῦ UVK 58. 22. 2.1 Μάριος M : Μάρκος UK Μάλιος V

Tout cela nous incite à traiter avec d'autant plus de prudence le témoignage de Xiphilin. Ce dernier n'en demeure pas moins essentiel à l'édition des parties de notre texte qui n'ont pas été transmises par la tradition directe. Si l'épitomateur, conformément à ses habitudes de rédaction454, se montre peu intéressé par le détail des opérations militaires conduites en Gaule et en Germanie par Germanicus (cf. 57, 18, 1), il accorde en revanche le plus grand intérêt aux événements impliquant Tibère et illustrant son changement d'attitude après la mort de son fils adoptif. De plus, la fidélité de l'épitomé au texte original peut être en partie vérifiée et les risques d'erreurs minimisés dans la mesure où il est parfois possible de le croiser avec d'autres témoins tels que les extraits constantiniens ou bien l'épitomé de Zonaras (cf.

infra). Quand le cas se présente455, nous avons opté pour une présentation synoptique en colonnes des différents témoins, afin de faciliter leur mise en parallèle ; nous n'avons cependant pas souhaité nous lancer dans une reconstitution à nos yeux nécessairement hasardeuse de ce qu'a pu être le texte perdu de Dion, même si nous reconnaissons à notre prédécesseur Boissevain le mérite de s'y être essayé.

- Le moine Jean Zonaras a écrit, au début du XIIe siècle, un Abrégé d'histoire (ἐπιτομή ἱστοριῶν) en dix-huit livres, depuis la Création jusqu'en 1118 (année de la mort d'Alexis Comnène). L'ouvrage dut avoir un vif succès car nous en avons conservé quarante-quatre manuscrits, dont vingt-deux sont complets456. Les livres 7 à 12 sont consacrés à l'histoire de Rome, et le règne de Tibère occupe les trois premiers chapitres du livre 11. Pour la partie qui va jusqu'au règne de Nerva, Zonaras s'est servi du texte de Dion Cassius (mais il n'en résume que les livres 1 à 21 puis 44 à 68) en le combinant avec des éléments qui proviennent de Flavius Josèphe, Plutarque, Appien et Eusèbe, ce qui en fait un témoin moins fiable que son prédécesseur Xiphilin. En effet, outre les modifications attendues (transformation du début de

454 Cf. Mall, Ch., 2013, p. 610-644 (en particulier p. 632).

455Cf. 57. 18. 2 ; 18. 5 ; 19. 1 ; 19. 2−4 ; 20. 1 ; 22. 1−2 et 58.1. 3 ; 2. 1−3 ; 3. 1−3.

456 Pour le texte de Zonaras, nous avons utilisé l’édition de Pinder-Büttner-Wobst, Ioannis Zonarae Annales, parue dans le Corpus Scriptorium Historiae Byzantinae, vol. II, 1844.

phrase, omission de coordinations et de connecteurs logiques, suppression de certains membres de phrases, reformulation à l'aide de synonymes...), on constate que les passages des livres 57 et 58 de l'Histoire romaine abrégés par Zonaras s'écartent parfois considérablement du texte-source, ce qui est manifeste dès le début de notre récit : H.R., 57, 1, 1 : Τιβέριος δὲ εὐπατρίδης μὲν ἦν καὶ ἐπεπαίδευτο, φύσει δὲ ἰδιωτάτῃ ἐκέχρητο. οὔτε γὰρ ὧν ἐπεθύμει προσεποιεῖτό τι, καὶ ὧν ἔλεγεν οὐδὲν ὡς εἰπεῖν ἐβούλετο, ἀλλ´ ἐναντιωτάτους τῇ προαιρέσει τοὺς λόγους ποιούμενος πᾶν τε ὃ ἐπόθει ἠρνεῖτο καὶ πᾶν ὃ ἐμίσει προετείνετο· Zonaras, XI, I : ὃς εὐπατρίδης μὲν ἦν καὶ πεπαίδευτο, τὴν δὲ γνώμην ἦν ποικιλώτατος, ἐναντίους τῇ προαιρέσει τοὺς λόγους ποιούμενος. ὧν γὰρ ἐβούλετο τἀναντία ἔλεγεν, ἄλλα μὲν κεύθων ἐνί φρεσίν ἄλλα δὲ λέγων·

Tout en empruntant ici à la phrase dionienne un grand nombre de mots et tournures (signalés en gras) qu'il modifie parfois très légèrement, l'épitomateur n'hésite pas à introduire à la fin de la séquence une réminiscence d'Homère (que nous avons soulignée), créant une rupture de ton inattendue.

Mais cette coquetterie d'érudit est loin d'être le seul exemple d'infidélité que l'on peut relever :

H.R., 57, 13, 1 : Ὁ δὲ δὴ Τιβέριος αὐτὸς μὲν τραχύτερον τοὺς αἰτιαζομένους τι μετεχειρίζετο, τῷ δὲ δὴ Δρούσῳ τῷ υἱεῖ καὶ ἀσελγεστάτῳ καὶ ὠμοτάτῳ, ὥστε καὶ τὰ ὀξύτατα τῶν ξιφῶν Δρουσιανὰ ἀπ´ αὐτοῦ κληθῆναι, ὄντι καὶ ἤχθετο καὶ ἐπετίμα καὶ ἰδίᾳ καὶ δημοσίᾳ πολλάκις. Zonaras., XI, I : σωφρονέστατα τε χρόνον τινὰ διῆγε, καὶ ἄλλους δ' ἐκολαζεν ἀσελγαίνοντας, καὶ τῷ Δρούσῳ δὲ τῷ υἱῷ, ὃν ἐξ Ἀγριππίνης τῆς προτέρας αὐτοῦ γυναικὸς ἔσχηκε, καὶ ἀσελγεῖ τυγχάνοντι καί ὠμῷ, ἐπετίμα καὶ ἤχθετο.

constate ici que l'abréviateur a délibérément omis la proposition consécutive pour ne conserver que l'idée principale : la débauche et la cruauté de Drusus ; en revanche, il introduit une proposition relative précisant la filiation de ce dernier, sans doute pour permettre au lecteur byzantin de mieux situer le personnage dans la famille julio-claudienne ; enfin, il reprend, mais en l'inversant, la séquence ἤχθετο καὶ ἐπετίμα, expurgée des adverbes qui l'accompagnaient.

Dans la mesure où il n'offre que très rarament des citations littérales du texte dionien, l'épitomé de Zonaras constitue donc un témoin moins fidèle que celui de Xiphilin. Néanmoins, même si la plus grande prudence s'impose, il permet à la marge de corriger certaines leçons de M qui ne sont pas satisfaisantes :

57. 10. 3.1 ἑαυτὸν Xiph. Zon. : αὐτὸν M

De plus, il est parfois l'unique témoin de certains passages perdus qui n'ont pas retenu l'attention de Xiphilin ni celle des excerpteurs. C'est notamment le cas en 57, 18, 1a (mort de Julie, épouse de Tibère), en 57, 18, 11 (prise de la toge virile par Nero), en 57, 22, 4a (réactions de Tibère à la mort de Drusus), en 58, 2, 3a (refus de Tibère d'acquitter le legs de Livie au peuple) et en 58, 3, 9 (allusion à l'union de Séjan avec Julia, la fille de Drusus).

Enfin, pour les passages où on peut le confronter à Xiphilin (cf. 57, 18, 2 ; 18, 6– 10 ; 19, 1 ; 19, 2–4 ; 20, 1 ; 22, 1–2, et 58, 1, 3 ; 2, 1–3), la comparaison des deux épitomés permet de faire apparaître, à travers les similitudes de construction et de vocabulaire, le noyau proprement dionien du texte (en gras) :

57. 20. 1. Ἐπεὶ δὲ ὁ Τιβέριος τὴν ὕπατον ἀρχὴν ἦρξε μετὰ τοῦ Δρούσου, εὐθὺς οἱ ἄνθρωποι τὸν ὄλεθρον τῷ Δρούσῳ ἐξ αὐτοῦ τούτου προεμαντεύσαντο· οὐ γὰρ ἔστιν ὅστις τῶν ὑπατευσάντων ποτὲ μετ´ αὐτοῦ οὐ βιαίως ἀπέθανεν, — XIPH. 137, 17—22 (p. 554, 41—555, 2 Boiss.). εἶτα μετὰ τοῦ Δρούσου ὑπάτευσεν ὁ Τιβέριος, ὅθεν πολλοί τὸν ὄλεθρον ἐκ τούτου τοῦ Δρούσου προεμαντεύσαντο· οὐ γὰρ ἔστιν ὅστις τῶν συνυπατευσάντων αὐτῷ οὐ βιαίως ἀπέθανεν, — ZON. XI, 2 p. 439, 20—440, 2 B. (p. 6, 31—7, 3 D.).