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Performance et adaptation du discours

L’interdépendance du fictionnel et du référentiel, les passages féconds de l’œuvre au paratexte (et vice versa), nourrissent singulièrement, on le constate, l’activité littéraire de Laferrière. Mais pour être « productifs », ou efficaces, ces passages nécessitent chez l’agent un savoir-faire performatif acéré : on ne passe pas d’un contexte discursif, d’une plateforme énonciatrice à une autre, sans une adaptation effective de son discours, tant dans son énoncé que dans son énonciation. Cette dimension performative, désormais consubstantielle du champ littéraire, est confrontée à un lot de « nouveaux problèmes » dont nous ne pourrions, dans ce mémoire, retracer avec fidélité même les contours. Penchons-nous néanmoins sur

205 Dany Laferrière, Le goût des jeunes filles, Montréal, VLB Éditeur, 1992, p. 32. 206 Soirée au ministère de la Culture en France.

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un problème particulier qui, en raison de sa forte médiatisation, se pose de manière aiguë, il nous semble, pour l’agent Dany Laferrière. Le « danger de la répétition » guette l’auteur qui multiplie les apparitions sur la scène publique pour y être interviewé ; danger puisque rôde alors le spectre de la banalité des propos et, partant, banalité de la figure de l’écrivain. S’il est vrai que la présence d’un (ou de plusieurs) interlocuteur, lors d’un entretien, puisse favoriser l’émergence de questionnements imprévus par l’auteur et ainsi le transporter sur des chemins qu’il n’a pas encore fréquentés, il demeure que « l’individu Laferrière » possède un bagage fini d’expériences, d’anecdotes, de citations retenues par cœur et d’images poétiques.

L’analyste qui se penche sur les différentes formes discursives chez Laferrière repère effectivement – et assez rapidement – d’inlassables répétitions. Outre les inévitables répétitions qui ont trait à la biographie de l’auteur, consubstantielles aux entretiens ainsi qu’aux romans autobiographiques (et dans une moins large part aux romans autofictifs), on remarque ainsi la récurrence de certaines figures poétiques. La comparaison entre la cuisine et l’écriture littéraire, par exemple, revient assez souvent – et dans une formulation souvent inaltérée (ou fort peu altérée) par le contexte d’énonciation. On la retrouve, pour circonscrire notre propos à trois occurrences, dans Je suis fatigué, dans L’énigme du retour ainsi que dans une causerie avec Nancy Huston :

Je me souviens d’avoir réfléchi longuement ce jour-là aux mystères de la cuisine : tous ces ingrédients si différents qui, une fois cuits ensemble, donnent ce goût si savoureux. Des années plus tard, quand j’ai commencé à écrire, je me suis souvent rappelé la recette magique de Da. Il faut jeter les idées et les émotions sur la page blanche, comme des légumes dans un chaudron d’eau bouillante.207

Pour écrire un roman, j’explique à mon neveu,/ avec un sourire en coin,/ qu’il faut surtout de bonnes fesses/ car c’est un métier/ comme celui de couturière/ où l’on reste assis longtemps./ Et qui exige aussi des talents de cuisinière./ Prenez une grande chaudière d’eau bouillante/ où vous jetez quelques légumes/ et un morceau de viande saignante./ On ajoutera plus tard le sel et les épices/ avant de baisser le feu./ Tous les goûts finissent par se fondre en un seul./ Le lecteur peut passer à table.208

Ce n’est pas par hasard que j’ai fait cette image de cuisine. J’ai toujours cru qu’il y a[vait] un lien très profond entre l’écriture et la cuisine et la cuisson. La

207 Dany Laferrière, Je suis fatigué, op. cit., p. 65. 208 Dany Laferrière, L’énigme du retour, op. cit., p. 104.

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cuisson, de plus en plus, nous savons qu’elle doit être lente si nous voulons que tous les sens soient satisfaits. Et c’est tout à fait cela l’idée, c’est de mettre des éléments variés dans une même chaudière et qu’à la fin tout soit complètement mêlé et que tous les goûts deviennent un goût, tout en ayant la saveur de chacun des aliments. Le fait de mettre des épices, c’est un peu ce qu’on pourrait appeler le style.209

Nous remarquons que la figure demeure assez stable ; notons tout de même que l’accentuation mise sur l’exemplarité du geste de sa grand-mère, dans Je suis fatigué, se trouve gommée dans les deux autres exemples, et que l’association directe entre les épices et le style se fait dans la causerie et non dans les romans. D’autres fois, en revanche, la malléabilité d’une figure ou d’une anecdote permet à l’écrivain d’atteindre un but stratégique, d’émouvoir et de fondre son propos dans les potentialités formelles propres aux différents contextes d’énonciation afin de le rendre plus efficace. Ainsi en est-il de ces deux exemples, tirés de L’énigme du retour et d’une entrevue à Tout le monde en parle (2006), dont le noyau sémantique réside dans la divergence qui existe désormais entre le narrateur, longtemps exilé au cœur du confort nord-américain, et la jeune population haïtienne :

Cela fait trois décennies que je fais gras à Montréal/ pendant qu’on continue/ à faire maigre à Port-au-Prince./ Mon métabolisme a changé./ Et je ne sais plus ce qui se passe/ dans la tête d’un adolescent d’aujourd’hui/ qui ne se souvient pas/ d’avoir mangé un seul jour/ à sa faim.210

Guy A. Lepage : La semaine dernière un nouveau président a été élu après une élection mouvementée, c’est René Préval, il est considéré comme le moins mauvais chef d’État qu’a connu Haïti selon de nombreux analystes haïtiens, est- ce que les résultats de cette élection sont une bonne nouvelle pour Haïti ? Dany Laferrière : On m’a beaucoup appelé au téléphone lors des élections, on m’a beaucoup demandé mon opinion. Et je n’ai pas donné mon opinion à aucun média là-dessus, pour une raison très simple.

Guy A. Lepage : Bien, là c’est le temps.

Dany Laferrière : Y’a quand même quelque chose qui s’appelle la vie. Je suis arrivé ici en 76, ça fait 30 ans. Il y a un temps quand même où il y arrive que tu dois arrêter de donner ton opinion parce que vous êtes hors du champ. Je pense qu’un jeune tigre, celui que j’ai été en 1976 à 23 ans en arrivant, affamé de tout, a beaucoup changé après 30 ans de quiétude montréalaise et de bonne chaire, et qu’il ne peut en aucun cas comprendre un jeune homme qui vit à Port-au-Prince et qui n’a pas bien mangé depuis très longtemps, et qui a été inquiété par toutes

209 « Soirée Temps composés » [Causerie devant public et filmé entre Dany Laferrière, Nancy Huston et

Jérôme Colin], dans le cadre du Passa Porta Festival, Bruxelles, 27 mars 2015, 26 minutes, URL : https://www.youtube.com/watch?v=hvoflquJOoM.

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sortes de choses… Je ne peux pas savoir ce qui se passe… J’ai été en Haïti, y’a un jeune homme qui m’a dit une fois : « nos métabolismes sont différents maintenant, quand vous avez passé 20 ans à jeter de la nourriture à la poubelle, à vous endormir sans jamais entendre un coup de feu, eh bien il s’est passé quelque chose à l’intérieur de votre biologie profonde, quelque chose a changé, et moi, quand j’ai passé 20 ans à ne pas manger et à entendre des coups de feu, quelque chose aussi a changé, nous ne sommes plus de la même espèce. »

À Tout le monde en parle, le noyau sémantique de cette courte histoire se déploie avec en arrière-plan l’injonction de donner son avis sur la situation politique haïtienne. L’écrivain garde le cap, refuse toujours d’obtempérer et, pour expliquer cette prise de position211, trace les portraits contrastés de ces deux figures. Ce qui est intéressant, c’est

qu’il délègue la parole à un jeune Haïtien en particulier : l’argument de la représentativité

politique (Laferrière ne serait plus apte à représenter politiquement les Haïtiens, ni à être

leur porte-parole) est alors d’autant plus fort qu’il est avancé par un locuteur légitime, qui vit au quotidien la difficile condition d’Haïtien. S’il refuse de prendre position, Laferrière fait néanmoins entendre la voix (ou une voix singulière) des Haïtiens, soulignant d’autant mieux, de cette manière, leur condition précaire. Mais surtout, le noyau sémantique se fond dans une trame narrative qui fait alterner les points de vue et qui rappelle, en creux, des « genres médiatiques » : le reportage (« Je suis allé à…et un jeune homme m’a dit ») et le micro-récit. À l’inverse, dans L’énigme du retour, le jeune homme rencontré et la trame narrative disparaissent pour laisser toute la place au sujet poétique, « votre métabolisme a changé » devient « mon métabolisme a changé ». Le noyau sémantique se déploie alors selon les modalités de la forme lyrique où l’expression de l’intériorité du sujet prime – la récurrence du « je » et la disposition du texte en vers ne sont, à cet égard, pas anodines.

Nous pourrions considérer l’extrait tiré de Tout le monde en parle à l’aune de ce que Stéphane Hirschi, Élisabeth Pillet et Alain Vaillant appellent « l’art de la parole vive » : en prenant acte de la mutation culturelle induite par l’entrée dans la civilisation de la presse, les auteurs notent que la prolifération de l’imprimé s’accompagne toutefois d’un intérêt renouvelé pour les différentes formes de paroles. C’est que « l’interprétation est devenue performance, et la parole œuvre. Celui qui parle (avec ou sans musique) a donc désormais

211 Prise de position qui est en adéquation avec une volonté prégnante dans les prises de parole de Laferrière :

parler d’abord de littérature, ou expliciter une vision du monde, et ne pas être amené sur le terrain de la (ou du) politique. Il s’agit en somme de performer une posture qui, à bien des égards, prend le contrepied de la figure de l’« écrivain engagé ».

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le sentiment que sa prise de parole constitue une œuvre, est inséparable de l’opération artistique elle-même : ce qui est dit ici du chanteur s’applique aussi bien au poète déclamant, à l’humoriste, voire au professeur ou à l’orateur politique.212 » Il y a dans ces

deux exemplifications d’un même noyau sémantique un savoir-faire évident – savoir-faire romanesque, mais aussi médiatique. Cette performance, qui consiste d’une part à faire le va-et-vient de manière cohérente et convaincante entre l’œuvre et le discours référentiel, et d’autre part à adapter efficacement son discours aux différentes plateformes d’énonciation, n’est pas sans rapport avec la position que Laferrière a su se forger dans le champ littéraire.

212 Stéphane Hirschi, Élisabeth Pillet, Alain Vaillant, « Présentation », dans L’art de la parole vive, PUV,

2006, p. 8. Les auteurs mentionnent également plus loin l’écrivain dans le contexte de l’émergence de l’interview dans le deuxième tiers du XIXe siècle.

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Conclusion

Le caractère éminemment collectif de la construction de la posture d’auteur de Laferrière constitue un aspect important à retenir de ce mémoire. L’ensemble des propos tenus sur l’écrivain (l’étiquette qui lui est accolée dans des manuels d’histoire littéraire, les critiques journalistiques et universitaires) forme non seulement une part importante de son image préalable, pour qui aborde ses ouvrages après avoir traversé ce discours d’escorte, mais agit comme un « tremplin métalittéraire » : c’est souvent à partir de ces éléments de discours que Laferrière tente de renégocier sa posture, commente la pertinence (ou l’absence de pertinence) de ces discours, qu’il revient sur ses œuvres et en propose des interprétations distinctes. Cette couche d’interventions extérieures à l’auteur dans le façonnement d’une posture est bien connue par les chercheurs. Toutefois, une seconde couche d’interventions extérieures s’est vue pour ainsi dire ignorée, la plupart du temps, par ces mêmes chercheurs. La mise en scène d’un entretien littéraire, les choix de réalisation d’une émission, les contraintes médiatiques, la constitution d’un plateau, l’insertion du discours de l’écrivain dans une série d’entrevues, les questions posées et le ton employé par l’intervieweur, encadrent la prise de parole de l’écrivain, la rendent possible et, à bien des égards, la conditionnent. Nous avons effectivement étudié certaines des modalités par lesquelles, dans un dispositif médiatique, on fait parler Laferrière. Ainsi les choix de réalisation de l’émission Contact et l’angle d’approche de Stéphan Bureau teintent singulièrement la posture de Laferrière : l’écrivain d’ordinaire drôle, ayant toujours le mot pour faire rire, se métamorphose en écrivain qui arpente son parcours avec gravité. À l’inverse, la présence à ses côtés de Normand Brathwaite à Tout le monde en parle accentue la propension de Laferrière à provoquer le rire. Nous n’avons qu’esquissé, dans le cadre de ce mémoire, certains de ces aspects ; une étude exhaustive de la mise en scène de la parole de l’écrivain québécois en contexte audiovisuel s’imposera sans doute dans les prochaines années213.

213 Avec des considérations similaires mais circonscrites au texte, à l’imprimé, Emmanuël Souchier a invité

les chercheurs à étudier « l’énonciation éditoriale » : « Il convient donc de considérer le texte à travers sa matérialité (couverture, format, papier…), sa mise en page, sa typographie ou son illustration, ses marques éditoriales variées (auteur, titre ou éditeur), sans parler des marques légales et marchandes (ISBN, prix ou copyright)…, bref à travers tous ces éléments observables qui, non contents d’accompagner le texte, le font exister. Ces marques visuelles qui permettent de décrire l’ouvrage ont été mises en œuvre par les acteurs de l’édition. Élaborées par des générations de praticiens dont le métier consistait à "donner à lire", elles sont la

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Nous avons vu que, comme le mentionnait Meizoz dans ses ouvrages fondateurs, la notion de posture d’auteur invite à questionner tout à la fois le texte et le hors-texte puisqu’elle prend en compte tout autant des discours que des conduites. L’exemple de la machine à écrire de Laferrière s’avère à cet égard frappant. Sous les couches successives de représentations (les romans mais aussi les photographies) et de discours d’escorte dans les entretiens littéraires, elle atteint une singularité propre, condense un récit qui fait d’elle « la légendaire » Remington 22. Surtout, elle fait office d’élément postural central chez Laferrière et favorise, par sa mise en scène, l’éclosion d’un cortège de représentations héritées de la tradition littéraire (par exemple, l’écrivain inspiré qui s’approche dangereusement de la folie).

Son remplacement dans le processus d’écriture de l’écrivain – de la machine à écrire, Laferrière est passé à l’ordinateur puis au carnet – nous révèle encore quelque chose de significatif. Comment ne pas analyser l’évolution du moyen scriptural (qui est aussi un élément postural puisque mis en scène) à l’aune des positions et postures occupées dans le champ littéraire par Laferrière ? L’effet de cohérence et de correspondance ne manque pas de surprendre – la machine et le carnet s’insèrent dans un ensemble faisant sens, historiquement situé dans la trajectoire de l’auteur et que nous avons nommé précédemment dans le cadre de ce travail, faute d’un meilleur terme, posture auxiliaire. Ainsi le jeune auteur irrévérencieux qui entre avec éclat en 1985 dans le champ littéraire écrit-il à la machine à écrire ; mieux encore, sur la page de garde de son premier roman il est représenté écrivant à la machine à écrire, sur un banc de parc, portant jeans et tee-shirt rayé, pieds nus, bouteille d’alcool à portée de main. Des années plus tard, l’académicien qui publie Tout ce

qu’on ne te dira pas Mongo écrit désormais sur un très chic carnet – carnet mis en scène

dans le roman, mais aussi sur la photographie placée en quatrième de couverture. La photographie ne nous montre plus un écrivain irrévérencieux, marginal, en porte-à-faux avec les normes sociales (la parenté avec Bukowski est nettement abandonnée), mais plutôt

trace historique de pratiques, règles et coutumes. » (Emmanuël Souchier, « L’image du texte. Pour une théorie de l’énonciation éditoriale », dans Cahiers de médiologie, n° 6, 1998, p. 139, cité dans Mélodie Simard- Houde, « Le Reporter, médiateur, écrivain et héros. Un répertoire culturel (1870-1939) », thèse de doctorat en études littéraires, Québec/Montpellier, Université Laval/Université Paul-Valéry (Montpellier III), 2015, f. 33. Sur cette question, voir aussi la thèse de Mélodie Simard-Houde citée ci-haut, et sur la question de l’importance du support, voir Marie-Ève Thérenty, « Pour une poétique historique du support », dans José- Luis Diaz et Alain Vaillant (dir.), dossier « Histoire culturelle / histoire littéraire », dans Romantisme, n° 143, 2009, p. 109-116.

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un homme respectable, avenant, habillé d’un élégant veston, tasse de café à portée de main. Nous avons désormais affaire à un sage qui, du haut de sa respectabilité sociale, de ses titres acquis et du succès conquis, prodigue des conseils sur la manière d’écrire (Journal

d’un écrivain en pyjama) mais aussi sur la manière de s’intégrer à une nouvelle société,

voire plus généralement, sur la manière de vivre sa vie (Tout ce qu’on ne te dira pas

Mongo). On voit donc ici encore comment la notion de posture d’auteur rend intelligible

une série de conduites, de discours au regard de la position occupée dans le champ littéraire. L’élection de Dany Laferrière à l’Académie française, avec son lot de discours d’accompagnement, devra d’ailleurs éventuellement être étudiée, tant elle est riche de questionnements – comment l’auteur s’est-il présenté sur la scène littéraire et médiatique française, a-t-il infléchi sa posture dans une direction singulière, inédite dans le contexte québécois, quels moments de sa biographie ont été privilégiés ?

Le cas de Laferrière nous a aussi intéressé dans la mesure où il témoignait, exemplairement et singulièrement, d’un processus à l’œuvre identifié par certains théoriciens : la médiatisation croissante du métier d’écrivain214. Si d’aucuns voient dans

l’époque contemporaine une exacerbation du caractère promotionnel de la littérature – la prolifération de nouveaux postes dans le monde de l’édition (agent littéraire, attaché de presse) agit en ce sens comme un indice objectif de ce phénomène –, le jeu médiatique et l’attitude récalcitrante de certains écrivains envers celui-ci, ne datent pas d’hier. Cette tension a d’ailleurs été magistralement mise en scène par Céline dans ses Entretiens avec le

professeur Y ; « jouer le jeu » médiatique signifie « "passer à la Radio… toutes affaires

cessantes !... d’aller y bafouiller ! tant pis ! n’importe quoi !... mais d’y faire bien épeler son nom cent fois", puis qu’il faut se faire filmer, interviewer et photographier, pour "que ça repasse dans cent journaux !...encore !... et encore !"215 » Ainsi, plus qu’une donnée

objective de l’état du champ littéraire, la médiatisation peut agir comme un matériel poétique, un moteur fictionnel et donner lieu à un ensemble de représentations travaillé par diverses attitudes possibles face à cette réalité. Comme le souligne Michel Lacroix, « le fil

214 Voir, entre autres, Jérôme Meizoz, Postures littéraires, op. cit. ; Charline Pluvinet, « "Suis-je Thomas

Mann ou Hemingway ?" L’apprenti écrivain en quête de posture dans Paris no se acaba nunca d’Enrique Vila-Matas », dans L’écrivain, un objet culturel, op. cit. ; Denis Saint-Amand et David Vrydaghs, « Retours sur la posture », dans COnTEXTES [En ligne], n° 8, 2011 [consulté le 10 octobre 2016], URL : http://contextes.revues.org/4712.

215 Michel Lacroix, « Le "galérien du style" et le "grand jeu" de "l’interviouwe". Écriture et médiatisation

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d’Ariane qui conduit, à travers bien des méandres et des contradictions, du "jeu" médiatique à l’exhibition de l’écriture, permet de voir comment Céline construit son image d’écrivain dans la confrontation hostile avec les personnages de l’éditeur, de l’intervieweur et, ultimement, du lecteur216 ».

Dans le contexte québécois, pensons à Réjean Ducharme qui, plutôt que de textualiser ce rapport problématique à la médiatisation, a préféré plus simplement ne pas se prêter à ce jeu. Pour cette raison, paradoxalement, sa figure en a été, pour un temps, d’autant plus médiatisée ; l’« affaire Ducharme » agit à cet égard comme un verre grossissant d’un moment historique important, l’entrée de l’écrivain dans un régime singulier, nouveau. La radio – présente dès les années 1930 (moins de 30% des ménages en 1931) et atteignant la presque totalité des foyers québécois dans les années 1960217 – et la

télévision s’affirment alors comme des vecteurs incontournables avec lesquels l’écrivain