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Chapitre 2. Percevoir les sons de parole et développer des représentations phonémiques

1. Percevoir la parole : description phonétique

La parole est un signal complexe. Faire la différence entre les mots « bar », « par », « dard » et « tard » implique de savoir identifier précisément les phonèmes ‘b’, ‘p’, ‘d’ et ‘t’, et de les discriminer entre eux. Les linguistes, et notamment les structuralistes, ont postulé l'existence d'unités telles que les traits et les phonèmes (Jakobson, Fant & Halle, 1952). Dans cette approche, le trait distinctif correspond à une combinaison d’indices acoustiques et le phonème à un ensemble de traits. Les traits distinctifs sont des classes d’oppositions phonétiques minimales entre phonèmes. Si, dans une approche linguistique, le trait se concrétise lorsqu’il a une valeur distinctive dans une langue, sa réalité psychologique reste une hypothèse (Fromkin, 1979) qui n'a reçu que des confirmations partielles (Morais &

Kolinsky, 1994). Le concept de trait est cependant au centre de nombreux travaux sur la perception et la production de la parole qui ont notamment cherché à comprendre comment le sujet isole les traits qui ont une valeur distinctive dans sa langue ou encore à comprendre comment on passe d’une multiplicité d’indices acoustiques à un nombre limité de traits.

1.1. Traits phonologiques des consonnes

Le français comporte 16 consonnes (p, b, m, t, d, n, k, g, f, v, s, z, ȓ, j, l, r) qu’il est possible de décrire selon quatre traits phonologiques : le voisement, le mode d’articulation, le lieu d’articulation et la nasalité.

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Le trait de voisement. Le trait de voisement est défini comme la présence/absence de vibrations laryngées durant la production de la consonne (Jakobson et al., 1952). Les consonnes sont donc voisées (en français : /b/, /d/, /g/, /m/, /n/, /v/, /z/, /j/, /l/, /r/) ou non voisées (en français : /p/, /t/, /k/, /ȓ/, /s/, /f/). La production du trait de voisement repose dans la majorité des langues sur la relation temporelle entre le début des vibrations laryngées et le relâchement de l’occlusion (explosion), ou timing laryngé, dont le corrélat acoustique le plus direct est le délai d’établissement du voisement (VOT, Voice Onset Time, Lisker &

Abramson, 1964).

Le trait de mode d’articulation. La plupart des consonnes du français se caractérisent soit par un bruit de frottement (les consonnes fricatives), soit par des transitions rapides (les consonnes occlusives). Le bruit de frottement est obtenu par un resserrement du passage de l’air en un endroit quelconque du conduit buccal (en français : /v/, /f/, /z/, /s/, /j/, /ȓ/). Toutes les consonnes qui se caractérisent entre autres par un bruit de frottement sont appelées consonnes fricatives. Les transitions rapides résultent d’un relâchement brusque d’une occlusion du conduit buccal (en français : /b/, /p/, /m/, /t/, /d/, /n/, /k/, /g/). Toutes les consonnes qui se caractérisent entre autres par des transitions rapides sont appelées consonnes occlusives car, dans un premier temps, il est pratiqué une occlusion (c'est-à-dire une

"fermeture") du conduit buccal.

Le trait de lieu d’articulation. On distingue le mode d’articulation du lieu d’articulation. Les consonnes occlusive ou fricative ne sont pas toujours produites dans le même endroit de la cavité buccale. Les consonnes réalisées par une occlusion avec le concours des deux lèvres sont appelées consonnes bilabiales (en français : /b/, /p/, /m/). Les consonnes réalisées par une constriction du canal oral avec la lèvre inférieure et les dents du haut sont appelées consonnes labio-dentales (en français : /f/, /v/). Les consonnes réalisées avec une occlusion ou une constriction avec la pointe de la langue (apex) dans la région des alvéoles, des dents ou du début du palais dur sont appelées consonnes apicales (en français : /t/, /d/, /n/, /s/, /z/). Les consonnes réalisées par une friction entre le dos de la langue et le palais dur sont appelées consonnes palatales (en français : /ȓ/, /j/). Les consonnes réalisées par une occlusion entre le voile du palais et le dos de la langue sont appelées consonnes vélaires (ou, éventuellement, consonnes dorso-vélaires ; en français : /g/, /k/).

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29 Le trait de nasalité. Les traits de mode d’articulation, de lieu d’articulation et de voisement ne permettent pas de classer tous les phonèmes. En français, les consonnes /d/ et /n/

sont occlusives, apicales et voisées, et /b/ et /m/ sont occlusives, bilabiales et voisées. Ainsi /d/ et /n/, d’une part, et /b/ et /m/, d’autre part, reçoivent pour l’instant une même définition. Il est nécessaire, pour décrire chaque consonne du français, de recourir à un quatrième (et dernier) critère, celui de la résonance dans les cavités nasales. Le voile du palais est mobile et peut venir fermer le passage de l’air entre le pharynx et les cavités nasales. Les consonnes /n/

et /d/, d’une part, ainsi que /m/ et /b/, d’autre part, ne se distinguent l’un de l’autre que par ce seul critère, la résonance ou la non-résonance dans les fosses nasales. Ce critère s’appelle la nasalité et les consonnes comme /n/ et /m/ qui présentent ce trait sont appelées consonnes nasales, par opposition à la plupart des autres consonnes qui sont seulement orales.

Les quatre traits qui viennent d’être présentés permettent de caractériser chaque consonne du français. En effet, ils suffisent à individualiser chaque phonème indépendamment de tous les autres, comme le montre ce tableau récapitulatif (Tableau 1).

Mode Occlusives Fricatives

Voisement Voisées Non voisées Voisées Non voisées

Nasalité

Lieu Orales Nasales Orales Orales Orales

Bilabiales b m p

Labiodentales v f

Alvéolaires d n t z s

Palatales Ȃ* j ȓ

Vélaires g k

Tableau 1. Classement des consonnes en fonction des quatre traits phonologiques (*l’occlusive nasale vélaire Ȃ -comme dans vigne- n’a pratiquement plus de fonction distinctive).

1.2. Traits phonologiques des voyelles

Le français comporte 15 voyelles (i, y, u, e, ø, o, ǩ, ǫ, œ, Ǥ, a, ǡ, ǡɶ, Ǥɶ, ǫɶ) qui se réduit à 10 voyelles lorsque l’on ne tient compte que des voyelles distinctives dans l’ensemble des dialectes (système minimal décrit par Malmberg, 1954, Vaissière, 2006). Il est possible de décrire ces voyelles selon trois traits phonologiques : l’aperture, l’antériorité et la nasalité.

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Le trait d’aperture. La position de la langue (et de la mâchoire) sur un axe vertical détermine l'ouverture de la cavité orale et donc l’aperture de la voyelle. En français, on distingue 4 degrés d’aperture : voyelles fermées (exemple : /i/, /u/, /y/), semi-fermées (exemple : /e/, /ø/, /o/, /ə/), semi-ouvertes (exemple : /ǫ/, /œ/, /כ/, /Ǥɶ/, /ǫɶ/), et ouvertes (exemple : /a/, /ǡ/, /ǡɶ/).

Le trait d’antériorité. La position de la langue sur un axe antérieur/postérieur caractérise l’antériorité-postériorité de la voyelle : voyelles antérieures (/i/, /e/, /ǫ/, /ǫɶ/, et /a/), centrales (/y/, /ə/, /œ/, et /ø/) et postérieures (/u/, /o/, /ǡ/, /כ/, /Ǥɶ/, et /ǡɶ/).

Le trait de nasalité. La position du velum (et donc l’ouverture ou non du passage velopharyngé) détermine la nasalité de la voyelle : voyelles orales (voile du palais relevé ; /i/, /u/, /y/, /e/, /o/, /ø/, /ə/, /ǫ/, /œ/, /כ/, /a/, /ǡ/) et nasales (voile du palais abaissé ; /Ǥɶ/, /ǡɶ/, /ǫɶ/).

L’ensemble de ces informations est représenté dans le Tableau 2.

Aperture Antérieures Centrales Postérieures

Nasalité

Antériorité Orales Nasales Orales Nasales Orales Nasales

Fermées i y u

Semi-Fermées e Ø o

Semi-ouvertes Ű ǫɶ œ œ̃ Ǥ Ǥɶ

Ouvertes a ǡ ǡɶ

Tableau 2. Les 15 voyelles du français regroupées selon leurs caractéristiques articulatoires.