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2. Habiletés associées à la réussite en lecture

2.2. Mémoire à court terme phonologique

La mémoire à court terme phonologique a pour fonction de maintenir temporairement les éléments phonémiques en mémoire, pendant 1 à 2 secondes, puis de les fusionner (Baddeley, 1986, Geers, 2003). Selon le modèle décrit par Baddeley (2003), la mémoire à court terme phonologique est un composant de la mémoire de travail, appelé boucle phonologique. La boucle phonologique peut être divisée en deux composants : le système de stockage temporaire de l’information (le stock phonologique) qui garde les informations en mémoire durant quelques secondes ; la boucle de récapitulation articulatoire qui décompose et rafraîchit les informations pendant les quelques secondes où elles sont mémorisées par le stock phonologique (Figure 2).

Figure 2. Composants de la boucle phonologique selon le modèle de Baddeley (2003)

Le stock phonologique est un composant passif de stockage qui reçoit directement l’information verbale présentée auditivement. Il encode cette information sous forme d’un code phonologique, mais ne peut maintenir cette information en mémoire que pendant une durée très brève, de 1 à 2 secondes. L’information peut être réintroduite et maintenue dans le stock phonologique grâce à la boucle de récapitulation articulatoire. Son rôle est de réaliser un

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11 maintien actif de l’information dans le stock grâce au processus de récapitulation articulatoire qui fonctionne sur la base du code phonologique. Par conséquent, lorsque les sujets doivent rappeler des séquences de mots, il ont davantage de difficultés à retenir des mots dont les noms sont phonologiquement similaires, tels que man, cat, map, cab, plutôt que pit, day, cow, sup, pen (Baddeley, 1966a). Les participants obtiennent moins de 20% de réponses correctes pour les mots phonologiquement similaires, mais plus de 80% de réponses correctes pour un rappel de mots dissimilaires. Cette étude présente un argument empirique de la présence de la boucle phonologique, l’effet de similarité phonologique. Plus la similarité phonologique entre stimuli est élevée, plus on a de difficultés à les différencier et à les restituer. Un autre argument empirique de la présence d’une boucle phonologique est l’effet de longueur de mots. Cet effet met en évidence que le rappel sériel immédiat d’une liste de mots courts tels que pain, jupe, sac, est meilleur que celui d’une liste de mots longs, tels que bibliothèque, médicament, anniversaire. Les performances de mémorisation pour une séquence de cinq mots sont supérieures à 90% lorsque les mots sont monosyllabiques mais diminuent jusqu’à 50% lorsque les mots sont plurisyllabiques (Baddeley, Thomson, & Buchanan, 1975). Cet effet est lié au processus de récapitulation articulatoire. Plus les mots sont longs, plus le temps de récapitulation articulatoire est long. La conséquence est que la boucle articulatoire ne parvient pas à empêcher l’effacement de la trace mnésique des mots précédents contenus dans le stock. La répétition de pseudo-mots est également une tâche habituellement utilisée pour mettre en évidence le recours aux compétences de mémoire à court terme phonologique.

Les chercheurs du laboratoire Haskins (Liberman, Mann, Shankweiler, Werfelman, 1982 ; Mann et Liberman, 1984, Brady, 1986 ; Rapala et Brady, 1990 ; voir aussi McDougall, Hulme, Ellis, Monk, 1994 ; Spenger-Charolles, Colé, Lacert et Serniclaes, 2000 ; Ramus, 2003) ont été les premiers à établir que la mémoire à court terme phonologique est impliquée dans l’acquisition de la lecture. Mann et Liberman (1984), Mann (1984) et Chiappe et al.

(2002) ont étudié les relations entre les compétences de mémoire à court terme phonologique d’enfants de maternelle et les compétences en lecture d’enfants de CP (grade 1). En Mai de l’année de grande section de maternelle, 62 enfants réalisent une tâche de répétition de mots phonologiquement similaires ou phonologiquement dissemblables (Mann et Liberman, 1984.

Un an après, les enfants réalisent les tests « word recognition2 » et « word attack3 » du

« Woodcock Reading Mastery Test » (Woodcock, 1987). Les résultats indiquent que les corrélations simples entre les compétences de lecture au CP et de mémoire en maternelle sont

2 Tâche de lecture de mots à haute voix dans laquelle le temps de réponse est limité.

3 Tâche de lecture de pseudo-mots à haute voix dans laquelle le temps de réponse est limité.

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de .39 (p < .01) pour les mots phonologiquement dissemblables, et de .26 (p < .05) pour les mots phonologiquement similaires. Chiappe et al. (2002) ont confirmé ces résultats : les enfants réalisent les mêmes tâches de lecture que dans l’étude de Mann et Liberman (1984) ainsi qu’une tâche de répétition de pseudo-mots dont la complexité augmente. Les premiers pseudo-mots sont composés de syllabes VC (ab et id) alors que les derniers pseudo-mots sont polysyllabiques (depnoniel et bafmotbem). Les résultats indiquent une corrélation positive entre la tâche de répétition de pseudo-mots et la tâche de reconnaissance de mots (r = .36) et de pseudo-mots (r = .40). Par conséquent, ces résultats indiquent que la mémoire à court terme phonologique est reliée à la réussite en lecture.

Néanmoins, un important débat de la littérature porte sur la part de la réussite en lecture justifiée par les compétences de mémoire à court terme phonologique. En effet, certaines recherches indiquent que la mémoire à court terme phonologique ne justifie pas la réussite en lecture indépendamment des compétences en conscience phonémique. La mémoire à court terme phonologique serait alors une compétence nécessaire à la conscience phonémique mais n’aurait pas de relation directe avec la lecture. Les résultats de plusieurs études longitudinales indiquent que l’impact de la mémoire sur l’apprentissage de la lecture est moins important que celui de la conscience phonémique (Lecocq, 1991 ; Parrila et al., 2004 ; Wagner, Torgesen, et Rashotte, 1994 ; Wagner, Torgesen, Rashotte, Hecht, Barker, Burgess et al., 1997). Plaza et Cohen (2003) confirment ces résultats puisqu’ils indiquent que les scores de répétition de mots non familiers corrèlent avec ceux de suppression du premier phonème (r =.36) et avec ceux des tâches de lecture (reconnaissance de mots, de pseudo-mots et compréhension en lecture) (r = .28) mais cette relation est minime par rapport à la corrélation entre les tâches de lecture et la tâche de suppression du premier phonème (r =.76).

D’autres recherches ne mettent pas en évidence de lien entre la mémoire à court terme phonologique et la lecture et indique que seule la conscience phonémique justifie la lecture (McBride-Chang, 1995 ; Bradley & Bryant, 1985 ; Wagner, Torgesen, Laughon, Simmons, et Rashotte, 1993 ; Gathercole, Alloway, Willis, et Adams, 2006). Catts, Fey, Zhang, et Tomblin (1999) observent une absence de corrélation entre la répétition de pseudo-mots et la lecture au CE1 (grade 2) : la répétition de pseudo-mots justifie 2.2% de la variance des compétences de reconnaissance des mots écrits.

Par conséquent, la mémoire à court terme phonologique serait liée à l’apprentissage de la lecture mais le développement de cette compétence ne constitue pas une condition sine qua non à la réussite en lecture. Quelles que soient les spécificités des relations entre mémoire à court terme phonologique et conscience phonémique, et entre mémoire à court terme

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13 phonologique et lecture, la conscience phonémique et la mémoire à court terme phonologique participent à l’acquisition de la lecture. Le développement de ces habiletés sera donc étudié chez les enfants munis d’un implant cochléaire dans les chapitres expérimentaux de cette thèse.