Chapitre 3 : La genèse du dispositif
III. Perceptions des usages de l’ENT et de son cahier de textes par le personnel de
personnel de direction
III.1. Intérêt de l’étude
C’est au chef d’établissement que revient la charge d’animer, d’orienter et de diriger la vie
d’un établissement (MEN, 2011b). Ainsi, la manière dont il conçoit l’usage de l’ENT, de
même que sa politique quant à l’intégration de celui-ci dans son établissement, n’est pas sans
conséquences pour la communauté éducative qu’il est chargé d’encadrer. La disponibilité et la
facilité d’accès aux outils informatiques, mais également la manière dont le personnel de la
vie scolaire, les enseignants, les élèves voire les parents vont se l’approprier, est en partie
imprégnée des considérations qu’il porte à l’égard de l’implantation de ces technologies.
L’avis du chef d’établissement quant aux usages d’un ENT est donc à prendre en
considération. Malgré la forte incitation du Rectorat il peut décider de ne pas adopter la
plateforme, de ce fait c’est sur lui que repose la tâche d’encourager ou au contraire de freiner
le déploiement de ces outils dans son lycée ou collège. Afin de mieux cerner le cadre
contextuel des établissements utilisateurs de l’ENT PLACE, nous avons donc décidé de
consacrer une partie de notre étude aux discours de cet acteur. Cependant, comme ce travail
répondait également à la commande d’un article axé sur le cahier de textes numérique
(Cherqui-Houot, Trestini & Schneewele, 2011), nous avons centré notre attention sur les
usages attendus de cette fonctionnalité.
III.2. Hypothèses de résultats
Le projet PLACE étant construit et piloté par la Région, la représentation de celle-ci, bien que
médiée par le Rectorat en charge de la communication et de l’accompagnement des usagers,
devrait se répercuter sur celle que partagent les chefs d’établissement qui ont décidé d’adopter
l’ENT PLACE. En nous basant sur les conclusions de nos enquêtes précédentes, ainsi que sur
l’entretien réalisé auprès du responsable de l’ENT à la Région, nous émettons l’hypothèse que
le personnel de direction d’un établissement devrait percevoir le cahier de textes de l’ENT
comme un outil de communication avec pour vocation de satisfaire trois préoccupations :
améliorer la visibilité du fonctionnement pédagogique, faciliter l’accès aux services et
ressources numériques et assurer une continuité pédagogique au domicile de l’élève. Au
moment de ce travail, l’ENT est en plein déploiement et encore peu connu, voire inconnu
pour certains établissements. Notre attention s’est alors tournée vers les établissements
utilisateurs. Cette sélection a été rendue possible grâce à un outil de mesure d’audience mis en
place par la CDC sur lequel nous reviendrons plus en détails au cours du chapitre suivant (cf. :
p. 101).
III.3. Méthodologie : l’entretien semi directif
La méthodologie employée est celle de l’entretien semi directif. Ce choix se justifie d’une part
car nous sommes dans une phase exploratoire, d’autre part en raison de la difficulté à
approcher les chefs d’établissements. Souvent très occupés, nous avons dû élargir nos
entretiens aux proviseurs adjoints. Notre population s’est, de ce fait, limitée à un chef
d’établissement d’un lycée général et technologique comprenant plus de 1 000 élèves dans
une zone industriellement sinistrée, l’adjointe d’un lycée général et technologique qui
comporte plus de 800 lycéens dans une zone plutôt rurale, ainsi qu’une seconde adjointe d’un
lycée d’enseignement polyvalent, situé dans une grande ville, qui rassemble plus de 1 200
lycéens (général/technologique/professionnel). En raison du faible nombre de personnes
interrogées, la représentativité de cet échantillon reste discutable. Des conclusions peuvent
néanmoins être émises puisqu’il s’agit d’établissements qui connaissent et utilisent l’ENT
PLACE.
Un guide d’entretien a été construit sur la base de nos centres d’intérêts qui s’articulaient
autour des thématiques suivantes :
1. Considérations générales sur l’ENT
2. L’accueil de l’ENT et de son cahier de textes numérique
3. La politique d’accompagnement de l’établissement
4. Les changements pour les parents
5. Les changements pour les enseignants
6. Les changements pour les élèves
Au moment de cette enquête, nous construisions de nouvelles hypothèses de modélisation des
usages, ce qui nous a amené à poser des questions supplémentaires :
9. Les élèves l’utilisent-ils différemment de la version papier ?
10.Correspond-il à un réel besoin ?
11.La version papier est-elle vouée à disparaître ?
III.4. Les données recueillies
Les trois entretiens ont été réalisés au mois de mars 2011, sur une durée qui variait entre une
demi-heure et une heure (cf. : annexes, p. 362). Afin de faciliter la lecture des résultats, nous
avons procédé à la construction de tableaux reprenant mots pour mot les réponses les plus
significatives.
A) Le contexte d’accueil de l’ENT
La manière dont l’ENT est accepté par le personnel de direction est mise en valeur dans un
premier tableau (tableau 2). Celui-ci regroupe les trois premiers thèmes de notre grille
d’entretien. Celui-ci permet de voir qu’il est perçu comme un « outil extrêmement positif » et
même « indispensable », ceci malgré des problèmes techniques, l’absence de formation et le
passage par un « changement radical d’habitudes ». Toutefois, il ressort des entretiens une
politique de ces chefs d’établissement fortement incitative aux usages. Ce qui explique que les
compteurs XiTi enregistrent des fréquences d’utilisation importantes dans ces établissements.
Tableau 2: Contexte de mise en place de l’ENT
Lycée général et
technologique (Chef
d’établissement)
Lycée polyvalent
(Adjoint)
Lycée général et
technologique
(Adjoint)
Considérations
générales sur
l’ENT
Un bon outil de travail, qui gagnerait à s'étendre.
Plus intéressant pour faire un suivi de l’élève.
Il sert à l’élève absent. Utilisé par les enseignants pour faire passer des cours, des exercices voire pour du travail supplémentaire.
Un outil extrêmement positif.
Enormément d’avantages parce que ça facilite quand même la communication et la diffusion de l'information. Peut améliorer les relations avec les parents.
C'est extraordinaire aussi pour les élèves absents, les élèves qui seraient hospitalisés.
Nous on le conçoit comme un outil de communication interne qui est tout à fait complémentaire au site de l’établissement.
C'est indispensable de faire vivre cet outil là.
Bénéficier de l’ENT était une demande de notre part.
Difficultés de mise
en œuvre
C’est une bonne expérimentation.
Il y a encore des petits soucis, de connexion, de lenteur. Le problème rencontré est qu'il faut que tous les enseignants s'y mettent et là c'est plus difficile.
Cela sous-entend aussi énormément de travail, un changement radical d'habitudes, que les professeurs s'y mettent, ajoutent les fichiers joints. Demande un gros travail, et de notre part, de l'équipe de direction, et de la part des professeurs.
On a du mal à apprendre, certaines fonctionnalités, un petit peu lourdes.
On cherche des solutions, on réfléchit, mettre un ordinateur dans chaque salle..., pour qu'à la fin de l'heure chacun puisse remplir comme il faut. Il faut réfléchir à un système qui peut permettre aux enseignants de s'en servir quotidiennement.
Si on pouvait améliorer tout simplement, faciliter la saisie, ça serait déjà un sujet de mécontentement levé.
Les difficultés que l'on rencontre, c'est l'absence de personnel informatique associé à ce système-là. On n'a pas de personnes pointues dans ce domaine.
Politique
d’accompagnement
de l’établissement
Ponctuellement, de petites séances de formation ont eu lieu en salle des profs. Du côté des élèves et des parents on n'a pas eu de demande du tout.
On a fait des portes ouvertes et des réunions pour l’ENT en début d’année.
On a fait une formation aux enseignants. C'est un professeur d'ici qui s'en est chargé. Il y avait une demande assez forte.
Nous on a fait une information aussi aux parents pour présenter un petit peu l'outil. On a eu très peu de succès.
B) Analyse des changements provoqués par la mise en place d’un cahier de
textes numérique
Qu’en est-il des changements que provoque la mise en place d’un cahier de textes
numériques ? Nous pouvons constater que le personnel de direction a une perception de l’outil
qui s’oriente vers une plus grande transparence, pour les parents des activités réalisées en
classe. Dorénavant, « la famille peut contrôler le travail fait », il s’agit de répondre « à un
besoin de clarté de l’information, de transparence » (tableau 3).
Tableau 3 : Perceptions de changements pour les parents
Lycée général et
technologique (Chef
d’établissement)
Lycée polyvalent
(Adjoint)
Lycée général et
technologique
(Adjoint)
Changements
pour les
parents
On n'a pas d’échos par rapport aux parents mais on sait qu'ils sont relativement contents, je dirais que c'est principalement le suivi des notes et des absences.
Les parents auront plus facilement accès et du coup je pense que ce sera beaucoup plus consulté ça c'est sûr.
La famille peut contrôler le travail fait. Parce que l'élève qui rentre chez lui en disant qu'il n'a rien à faire ce soir alors là le parent peut vérifier sur l'ENT. Et si l'enseignant n'a pas rempli... Ça demande une régularité.
Si on faisait une enquête auprès des parents, à mon avis ce sont les notes en premier, j'en suis convaincu.
Le cahier de textes répond à un besoin de clarté de l'information, de transparence. Le parent qui comme on le sait à l'adolescence n'a pas toujours des contacts très important avec son fils ou sa fille en termes scolaire, pourra lui aussi voir un petit peu ce que son enfant a à faire, quel est le programme suivi, comment se passe son cours, d'allemand, de français, de mathématiques.
On peut offrir à nos 900 parents de consulter notre cahier de textes et que c'est possible de la maison à partir d'Internet.
Du côté des enseignants, on peut constater qu’ils y voient un enrichissement du contenu du
cahier de textes (tableau 4). Il serait « plus complet en ligne » avec « davantage de documents
joints » ainsi que « plus à jour ». Cependant, il est également soulevé « une réticence » de la
part des enseignants, du fait qu’il est « contraignant » à utiliser et « s’ouvre à l’extérieur », ils
« ne sont pas tous habitués ».
Tableau 4 : Perceptions de changements pour les enseignants
Lycée général et
technologique (Chef
d’établissement)
Lycée polyvalent
(Adjoint)
Lycée général et
technologique
(Adjoint)
Changements
pour les
enseignants
Les enseignants peuvent déposer en pièces jointes les cours, les exercices je pense que c'est beaucoup plus complet en ligne qu’en version papier. Je dirais un meilleur suivi. Aussi de revenir plus à jour avec les cours. Parce qu'avec ça on fait passer aussi les exercices supplémentaires.
Le fait que l'on s'ouvre un peu sur l'extérieur, ça, ça peut gêner certains. Je crois que ça en gêne quelques-uns aussi. Et puis il y a les inspecteurs qui à tout moment peuvent aller voir. Je ne sais pas si tout le monde a bien compris.
Il y aura plus de sérieux chez certains qui ne notaient peut-être pas beaucoup
Il y a davantage de documents joints pour ceux qui utilisent, ça c'est quand même très intéressant et puis il y a une formalisation qui est moins, comment dirais-je,..., je crois qu'on retrouve sous forme électronique ce qui était déjà sous forme écrite.
Je ne crois pas que ça change radicalement les habitudes des enseignants.
Comme c'est assez contraignant ils ont quand même une réticence à l’utiliser
Un cahier de textes ça devrait se faire en principe à l'issue de la séance donc là-dessus je pense qu'on a une perte.
Le professeur sait que l'élève peut avoir accès dès le soir même au cahier de textes, et du coup il s'oblige à le renseigner plus vite pour que les absents puissent tout de suite avoir accès aux exercices posés. En tant que transmission de l'information je trouve que c'est bien.
Les professeurs ne sont pas tous habitués à scanner leurs documents donc ils ne pensent pas forcément à les joindre sur le cahier de textes. Ils se contentent de mettre le libellé du cours de manière assez restreinte et puis les exercices qui sont demandés aux élèves. Il manque peut-être certaines informations c'est possible.
L’avantage du cahier de textes numérique pour les élèves (tableau 5) apparaît unanimement
axé sur la facilité d’accès et donc de consultation du « contenu » pédagogique. Il est
consultable « de chez eux ». Il serait alors particulièrement utile en cas d’absence de l’élève.
Certains y voient un côté ludique, du fait que « l’informatique (..), ça plaît », d’autre y voient
un moyen de « rendre responsables » les élèves et les amener à « davantage d’autonomie »
car ils ne peuvent plus donner d’excuses du type : « je ne suis pas au courant » des devoirs à
faire.
Tableau 5 : Perceptions de changements pour les élèves
Lycée général et
technologique (Chef
d’établissement)
Lycée polyvalent
(Adjoint)
Lycée général et
technologique
(Adjoint)
Changements
pour les
élèves
Je pense qu'ils l’utilisent plus qu'avant. C'est plus accessible. Bon déjà il y a plus de contenu, je vous l'ai dit mais le fait que cela soit plus accessible, ils peuvent consulter de chez eux directement et puis un jeune à partir du moment où c'est sur informatique ou par Internet ça lui plaît.
Dans certains établissements le cahier de textes disparaissait tellement vite que c’était la prof qui l’avait. Donc après l'élève ne pouvait pas le consulter. Le cahier de textes-là, a un sens réel parce que l'élève peut de chez lui le consulter. Il faut vraiment que le professeur le renseigne.
L'accessibilité devenue plus facile, ça c'est sûr. Je pense que ça devrait changer la prise en charge de l'élève qui est amené à davantage d'autonomie. On ne pourra plus dire je ne sais pas, je ne sais plus, je n'étais pas au courant. (..). Ça c'est intéressant de pouvoir les rendre responsables. Ça nous permet de mieux préparer le lycéen aux études supérieures.
Si l'élève a eu une absence dans la journée, il doit savoir ce qu'il a à faire pour le lendemain ou le surlendemain sans avoir à demander à droite à gauche. Je pense qu'il faudra un moment donné interroger les élèves.