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caractère sexuel qui touchent majoritairement les filles

9 CH désigne la chercheuse et le

2.1.1. Perceptions des élèves

Les entretiens collectifs ont donné à voir une dramatisa- tion spontanée par les élèves des enjeux liés à la cyber- violence. On le constate notamment dans la fréquence de l’évocation du suicide dans les entretiens collectifs, alors même que le suicide n’était abordé, ni de près ni de loin, par aucun des chercheur-e-s menant les entre-

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tiens. La thématique du suicide a ainsi été discutée de front dans neuf des entretiens collectifs.

Les élèves évoquent spontanément le désespoir suscep- tible d’être engendré chez leurs pairs, surtout chez les filles, dans des situations, principalement à caractère sexuel, où leur réputation en viendrait à être entachée de façon grave. On retrouve ici l’inversion de culpabi- lité déjà signalée par ailleurs dans les enquêtes auprès d’adolescent-e-s (Clair, 2008; Ceméa, 2015).

« On va dire que la fille [qui a vécu un attouchement sexuel], c’est une fille facile. Si elle est jolie, les gens vont être fiers [de l’avoir touchée]. Ou si quelqu’un passe ça sur les réseaux sociaux, la fille, sa réputation, elle baisse et elle se suicide. »

(Angel, 4e)

Plusieurs interprétations peuvent être données à cette omniprésence du « suicide » dans les discours des jeunes sur les cyberviolences. Tout d’abord, plusieurs cas de cyberviolences ont été médiatisés suite au suicide des victimes, souvent des filles. Lorsqu’ils ou elles évoquent de telles conséquences dramatiques, les élèves identi- fient volontiers la télévision comme source d’informa- tion. On peut présumer que c’est le traitement média- tique de quelques faits qui concoure à la construction de perceptions et de représentations dramatiques des conséquences des cyberviolences chez les jeunes. Cette représentation juvénile pourrait provenir de la marque qu’impriment les récits de suicides engendrés par les conséquences particulièrement graves de cyberviolence

et par leur large retentissement, combiné à la tendance à une certaine absence de nuance dans les discours des adolescent-e-s pouvant s’envisager comme nourri par une opposition à la banalisation de ces faits par les adultes. L’extrait d’entretien suivant est particulièrement éloquent à cet égard :

CH : « Si vous avez un ami ou une amie qui a été justement filmé à son insu, dont la vidéo circule, et qui vient vous voir pour vous demander de l’aide, comment vous réagissez ?

- Adrien : Déjà, je lui dis : “Ne te suicide même pas”. Premier truc que je vais lui dire.

- CH : Pourquoi vous dites : “Ne te suicide même pas” ?

- Adrien : Parce que les jeunes, ils peuvent trop se suicider.

- Romane : Ouais, il y a une fille, elle s’est suici- dée pour ça.

- CH : Que vous connaissez ? - Adrien : Non, c’est passé à la télé.

- Romane : C’est passé partout, je crois. Moi je l’avais vu sur Twitter.

- CH : Et vous comprenez ça ? Vous comprenez que quelqu’un puisse être très mal et puisse penser à des choses négatives ?

- Romane : Moi je ne comprends pas pourquoi. Au point de se suicider, non, moi je ne pourrais pas.

Tableau 51

Penses-tu que ton usage d’internet puisse te mettre en danger ?

Jamais Un PeU beaUCOUP tOUt le temPs

Nb % Nb % Nb % Nb %

Filles 229 44,50% 255 49,50% 18 3,50% 13 2,50%

GARçons 316 61,00% 178 34,40% 13 2,50% 11 2,10%

Taux de réponse : 91,66% Les éléments sur ou sousreprésentés sont surlignés

Tableau 50

dirais-tu que tu utilises ton téléphone portable …

Jamais Un PeU beaUCOUP tOUt le temPs

Nb % Nb % Nb % Nb %

Filles 31 5,80% 81 15,30% 175 33% 243 45,80%

GARçons 82 15,40% 108 20,30% 187 35,10% 156 29,30%

Taux de réponse : 94,32% Les éléments sur ou sousreprésentés sont surlignés

Tableau 49

quand tu utilises les applis, les réseaux sociaux ou internet, tu dirais que tu es (savoir faire technique) ?

bOn Pas bOn

Nb % Nb %

Filles 475 91,70% 43 8,30%

GARçons 477 91,70% 43 8,30%

Taux de réponse : 92,10% Les éléments sur ou sousreprésentés sont surlignés

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- Margot : Si moi, on me fait un viol ou je ne sais pas quoi, je vais être traumatisée donc je me suicide.

- Romane : Moi je me suicide, c’est clair. - Alex : Moi je le poursuis en justice. Je gagne du cash.

- Margot : Ben, moi, je me suicide. - CH : Pourquoi ?

- Margot : Parce qu’après, tous les gens vont parler de moi.

- Matthis : Le garçon, il a mis la vidéo sur Face- book. Tout le monde l’a vue, tout le monde. La fille, elle ne savait pas qu’elle était filmée. - Romane : Ouais, c’était ça, l’histoire. La fille avait peur parce que la vidéo avait tourné par- tout. C’était arrivé chez sa famille. Elle avait peur que son frère lui crie dessus et la tape, donc elle s’est suicidée. »

(Élèves de seconde)

Si certains cas médiatiques impriment l’imaginaire des jeunes, la dramatisation des situations de cyberviolences à travers l’évocation systématique du suicide est aussi le résultat des conséquences perçues par les jeunes de ces formes de violences et surtout de l’absence d’échap- patoire envisageable si ils ou elles venaient à y être confronté-e-s. Les jeunes ont en effet des difficultés à imaginer d’autres solutions pour s’en sortir : en dehors du suicide, certains jeunes évoquent le déménagement, ou le changement de nom…

On retrouve cela dans le faible recours aux adultes (pa- rents, adultes de l’établissement). En effet, en dépit de cette perception aigüe des conséquences des expé- riences négatives en ligne, les élèves rapportent que la tendance est de ne pas aller parler à des adultes lorsqu’il leur arrive de faire face à de tels épisodes de violence, ou lorsqu’ils ou elles en sont témoins. Plusieurs des rai- sons évoquées par les adolescent-e-s pour ne pas avoir recours aux adultes sont classiques (manque de confiance en la confidentialité assurée par l’adulte, faible croyance en sa capacité d’action, crainte de proje- ter une mauvaise image de soi, peur des répercussions auprès des pairs, etc.) et ont été recensées par d’autres enquêtes sur les violences scolaires. d’autres raisons, propres au cyberespace, nous éclairent sur la ma- nière dont les jeunes peuvent se représenter les cyberviolences. Trois types de motifs ont été identi- fiés : perception d’une capacité d’action adulte réduite sur des problèmes cyber, souvent vus comme irrémé- diables et relevant d’un certain fatalisme ; manque d’empathie et de compréhension des adultes quant aux expériences vécues dans la sphère cyber ; et enfin crainte de se faire retirer l’accès à des réseaux sociaux ou confisquer son téléphone portable.

« Moi je pense que, dans tous les cas, la photo, elle ne va pas partir. Même si on prévient les adultes, il y aura toujours une trace de ce qui s’est passé. »

(Simone, élève de 3e)

« C’est plutôt un truc, on va dire, pour les jeunes. Ils ne vont peut-être pas comprendre ce qu’on raconte et ce qu’on ressent. »

(Erica, élève de 4e)

« [Les adultes] nous disent de désinstaller notre compte. C’est énervant. Donc du coup, je ne le dis à personne ! (…) Nous, on est devenu accros à ces réseaux sociaux. On ne peut pas vivre sans une journée ! »

(Isabelle, élève de 4e)

Bien entendu, des élèves ont également parlé des adultes auxquels ils ou elles faisaient confiance et ont laissé entendre qu’ils et elles s’en remettraient à un-e adulte si la situation était « grave ». Ceci dit, leurs per- ceptions semblent néanmoins prêter aux adultes une in- compréhension générale quant à la sphère cyber et aux violences pouvant y prendre forme. Ils semblent ainsi participer à l’élaboration des cyberviolences comme des réalités « de jeunes », dont seuls ces derniers sont sus- ceptibles de comprendre les tenants et les aboutissants.