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Être une fille, être un garçon en ligne : présentation de so

51L’espace cyber peut influencer l’incorporation des

10 Voir partie 1, les deux scénarios

2.3.2. Être une fille, être un garçon en ligne : présentation de so

Les filles et les garçons sont donc conscients des attentes de genre dont ils font l’objet lorsqu’ils fréquentent l’es- pace cyber, et particulièrement lorsqu’ils et elles dé- cident de mettre en ligne une photographie person- nelle. Ici encore, il ne semble pas exister des règles qui vaillent en-dehors de toute lecture contextuelle, mais bien des lignes directrices sur lesquelles les jeunes rap- portent se baser afin de minimiser les risques de moque-

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Estelle : Ça change parce que ce ne sera pas les mêmes commentaires. Ce ne sera pas la même gravité. Ce qu’on peut dire à un garçon, c’est vulgaire, mais à une fille, on peut lui dire plus.

CH : On ne peut pas dire à un garçon : “T’es vulgaire” ?

Estelle : Si, mais il ne peut pas montrer trop son corps.

Carla : Les filles, c’est plus grave, elles doivent se protéger. Et il y a plus de femmes qui sont humiliées que d’hommes. Les filles, c’est plus facile de les atteindre.

(…)

CH : À partir de quand ce serait vulgaire, pour un garçon ?

Brenda : Si un garçon montre ses parties géni- tales et qu’il envoie la photo à une fille, ils ne vont pas trop parler. Ils vont dire : “Ouais, ce n’est pas grave”. Mais quand c’est les filles, ils vont dire : “Putain, t’es dégueulasse ! T’es une salope, tu te montres !”. Quand c’est les gar- çons, ils vont dire : “Ouais, t’es un pédophile”, mais ils ne vont pas aggraver la situation. »

(Élèves de 5e)

Adel : « Si une fille envoie une photo avec une bretelle baissée, de nos jours, les gens, ils ne vont rien dire !

Arjun : Si, il y aurait des commentaires ! Ils vont dire “t’es belle” !

Houmidou : T’es attirante !

Yanis : Si elle montre ses seins, on va la traiter de “pute” !

Adel : Un garçon s’il est torse nu, ils ne vont pas lui dire ça ! Mais s’il fait des poses bizarres, qu’il baisse son t-shirt bizarrement [sur l’épaule], ils vont dire qu’il est bizarre !

Yanis : s’il montre son pénis !

Plusieurs élèves : “C’est un malade mental !” ; “Il est gay !”  »

(Élèves de 4ème )

Les garçons qui se prêtent à des comportements qu’on peut considérer comme inadéquats (par exemple, montrer leur sexe sur une photo) sont susceptibles de se faire traiter de « pédé ». Notons ici que les deux injures (pédé et pédophile) semblent utilisées indistinctement pour désigner un garçon qui ne renvoie pas une image masculine. Si l’on comprend qu’il s’agit de deux figures repoussoirs (Clair, 2012; Ducharme, 2009), il est difficile d’établir hors de tout doute si ce qui « joue » est la confusion entre homosexualité et pédophilie ou l’incarnation, par la figure du pédophile, d’une menace à l’ordre public. L’image d’eux qu’entretiennent les garçons dans la sphère cyber peut donc leur échapper de différentes manières, qui interrogent spécifiquement le maintien d’une masculinité dominante. Ces résul- tats seront plus amplement présentés dans la section suivante.

Wendyam : Les garçons, ils n’interviennent pas dans la sexualité, alors que les seins, si ! Jonas : Chez les garçons, le haut, ce n’est pas une partie intime, mais pour une fille, ça le devient !

Wakim : Les pectoraux peuvent être attirants pour les filles !

CH : Absolument. (…) Mais il n’y a pas de carac- tère sexuel pour les garçons ?

[Plusieurs élèves : “Non !“]

Jonas : La fille qui enlève la bretelle, c’est juste pour réveiller le cojone [ndlr : emprunt de l’espa- gnol, désigne les testicules]. »

(Élèves de 4e)

Les filles comme les garçons semblent accorder un grand niveau de gravité à la mise en ligne par des filles de photographies jugées non conformes aux attentes de genre. Les intentions des filles sont lues au prisme de cette séduction hétérosexuelle dont elles sont censées connaitre et maîtriser les codes. Les filles impliquées dans certains épisodes de cybersexisme sont dès lors doublement blâmées. Elles sont d’abord tenues respon- sables de leur comportement, dès lors qu’il témoigne d’une mauvaise maîtrise, d’une compréhension erronée ou d’une indifférence aux normes de genre dominantes. Une fille sensée « devrait » savoir qu’elle ne peut pas se comporter comme elle l’a fait; elle « devrait » s’attendre à recevoir des commentaires négatifs ou à hériter d’une mauvaise réputation. Ce blâme initial lié au non-res- pect des attentes genrées parait doublé d’un second blâme, engendré par une méconnaissance présumée des usages sur les réseaux sociaux. En d’autres termes, pour reprendre l’exemple, la fille devrait également s’at- tendre à ce qu’une photographie intime déposée en ligne vienne à circuler plus largement. Dans ce contexte, avoir une photo de soi qui circule, c’est « faire exprès ». Les règles de présentation de soi qui s’imposent aux gar- çons ont été moins verbalisées dans les entretiens. Est- ce à dire pour autant que les manières dont les garçons se mettent en scène dans la sphère cyber sont moins scrutées? Rien n’est moins sûr. Certes, le double stan- dard genré qui s’érige au détriment des filles semble laisser un certain champ de liberté aux garçons. Si ces derniers décident de dévoiler leur corps en ligne, les élèves suggèrent que la pire chose à laquelle ils s’ex- posent, c’est de se faire traiter de « pédé » ou encore de « pédophile ». En d’autres termes, « les garçons ne peuvent pas montrer trop leur corps ».

CH : « On met de côté Manon [scénario d’une jeune fille qui met des photos dénudées d’elle en ligne]. Si Arthur fait une chose équivalente à ce qu’a fait Manon, ça change les choses ou ça ne change rien ?

Francesca : Je ne sais pas. Si une fille montre son corps, c’est grave, non ? Si c’est un garçon aussi, mais ils peuvent plus facilement truquer le corps de la fille. Je ne sais pas.

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ainsi que ce qu’elle a fait n’est pas bien : elle aurait de mauvaises intentions (sexuelles) en s’habillant sans res- pecter les normes (sociales, d’âge, de classe), en portant « trop » de maquillage, en sollicitant « trop » le contact avec les garçons, en sortant sans but précis, etc. Si une fille transgresse, elle a une réputation, ce qui la caté- gorise implicitement du côté des femmes à la sexualité débridée, celui des « putes » et des « salopes ». Ces mécanismes de la réputation semblent connaitre une certaine exacerbation en ligne, en raison de l’im- pression d’anonymat qui se dégage des usages numé- riques et de la large dissémination que ces outils per- mettent, mais aussi parce que les réseaux sociaux en particulier contribuent par leur fonctionnement même à la performance du genre. Les propos tenus dans l’extrait suivant peuvent être considérés comme génériques, dans la mesure où ils se retrouvent à différents degrés dans la grande majorité des entretiens.

« [Les élèves discutent d’une situation où une jeune fille aurait envoyé une photographie suggestive d’elle à un garçon, qui l’a ensuite diffusée contre son gré]

CH : Un garçon diffuse, et votre réaction, ce n’est pas de dire : “Ce garçon n’est pas un gars bien”, c’est de dire : “Cette fille, ce n’est pas croyable, c’est une pute”, etc.

Homa : Ben, elle a accepté.

Bérangère : S’il l’avait forcée, on aurait dit : “Regardez, le pédophile, il l’a forcée à envoyer ses photos de parties intimes”, mais non, il lui a demandé. Elle n’a pas hésité à lui envoyer. CH : Donc c’est plus sa faute à elle qu’à lui ? Céline : Je dirais que c’est la faute des deux, mais plus à la fille, parce que tu ne fais pas ça. Tu as des valeurs, tu ne fais pas ça.

CH : C’est quoi les valeurs ?

Céline : Ben, tu te respectes… Elle ne se respec- tait pas, et elle n’a pas hésité une seconde. Bérangère : Elle a sali l’image de la femme. »

(Élèves de 5e)

L’extrait précédent est particulièrement évocateur de la menace de réputation susceptible de peser sur les adolescentes qui se prêtent à l’envoi ou à l’échange de photographies dénudées d’elles. Lorsque ces photogra- phies viennent à être diffusées plus largement sans leur accord (un cas de figure évoqué directement ou indirec- tement dans tous les groupes de discussion), les jeunes filles qui sont sur les photos ou vidéo sont conséquem- ment blâmées du fait d’avoir fait preuve d’un manque de jugement genré (on parle du phénomène de slut

shaming : littéralement, faire honte aux salopes) par le

seul fait d’avoir accepté de réaliser de telles images. On retrouve de phénomène opérant par exemple dans les extraits : « tu as des valeurs », « tu te respectes », « elle a sali l’image de la femme »

La réputation d’une fille peut également être ternie en raison de la proximité qu’elle entretient avec une autre fille ayant acquis une mauvaise réputation. Dans ces cir-

2.3.3. Être une fille, être un garçon en ligne :