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La perception du timbre

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CHAPITRE 1 : L’AUDITION, LES SONS ET LA VOIX

2.2 Timbre

2.2.3 La perception du timbre

Nous avons vu que la sensation de timbre dépend de plusieurs paramètres acoustiques, et nous avons vu aussi qu’il n'est pas possible de relier le percept de timbre à une seule caractéristique de l'onde sonore. Il semble donc évident que le timbre est bien aussi un concept cognitif basé sur l’analyse de plusieurs composants spectro-temporels du son. D’un point de vue perceptif, le timbre, reste difficile à qualifier. Par exemple, un son peut être décrit comme fort ou faible du point de vue de son amplitude perçue, ou encore comme aigu ou grave, du point de vue de sa hauteur tonale perçue (fréquence fondamentale et uniquement pour les sons périodiques). En revanche le timbre d’un son reste difficile à décrire et les quelques descriptions qui en sont faites sont difficiles à corréler à des paramètres physiques. En 1930, Helmholtz a essayé d’associer certaines variables physiques avec des perceptions acoustiques (Helmholtz, 1930). Il concluait que la qualité du son dépend des fréquences qui composent ce même son. Par exemple, selon lui, les sons purs sont perçus comme doux, plaisant, et « lisse », tandis que les sons complexes dont les partiels au-delà de la 6ème harmonique sont prédominants, c’est-à-dire ayant les plus fortes amplitudes, sont perçus comme « cinglant », brut et pénétrant. En 1988, Gelder à développé un outil descriptif de 18 items, chacun mesuré sur une échelle en 8 points, pour décrire des voix (M.P. Gelfer, 1988). Les items proposés étaient par exemple : « haut ou bas », « fort ou faible », « doux ou rêche », « plaisant ou déplaisant », « mélodieux ou grinçant », « animé ou monotone », etc. Les deux premiers exemples servent donc davantage à décrire respectivement la hauteur et l’intensité. Les autres qualificatifs proposés pour décrire la voix font appel soit à des sensations tactiles (« doux-rêche »), des émotions « plaisant- déplaisant », etc. La description des sons reste donc pauvre en qualificatifs auditifs, et est réduite à sa hauteur et son intensité. Avec cet outil, Andrews et Schmidt en 1997 avaient demandé à des sujets de décrire des voix prononcées par des hommes (Andrews & Schmidt, 1997). Ces derniers devaient lire un texte soit avec leur voix masculine normale, soit en version féminine. De façon générale, les

qualificatifs qui revenaient le plus souvent pour les voix féminines par rapport aux voix masculines étaient « aéré », et « animé » (par opposition à monotone).

Le timbre semble donc être un attribut sonore très difficile à qualifier d’un point de vue perceptif, tant il n'existe pas de vocabulaire spécifique à sa description. Cette difficulté à le qualifier et la multiplicité des paramètres physiques participant à ce phénomène, rend l’étude de sa perception d’autant plus compliquée. Toutefois certaines études, et notamment les études de dissemblance de timbre, ont pu mettre en corrélation des indices acoustiques avec des sensations de timbre. Les méthodes d'analyse multidimensionnelle (MDS) ont été largement appliquées aux jugements de dissemblance sur des paires de timbres. Le postulat de ces études est que la MDS permet de mettre en évidence un petit nombre de dimensions qui distinguent les timbres les uns des autres, ces dimensions étant, de par la méthode même, les plus saillantes dans l'ensemble des stimuli utilisés. Ces études de jugements de dissemblance ont été réalisées avec des sons enregistrés, ou des sons de synthèse généralement conçus pour imiter des instruments réels. La majorité des études ont montré que des espaces à deux ou trois dimensions rendaient bien compte des données. Ces dimensions, qui résultent uniquement des jugements des sujets, sont appelées dimensions perceptives. L'espace perceptif représentant les relations entre les différents timbres est appelé espace de timbre. Plusieurs auteurs ont réussi à définir 3 dimensions perceptives correspondant à 3 paramètres acoustiques. En effet, une série d'expériences avec des sons de synthèse imitant des instruments naturels a été conduite avec les sons d'un synthétiseur. Dans une première étude, des sujets musiciens ont jugé les dissemblances dans un ensemble de 21 sons synthétiques imitant des instruments de l'orchestre ou des hybrides de ces instruments (Krumhansl, 1989). Un modèle d’espace de timbre à trois dimensions rendait bien compte des données. Qualitativement selon Krumhansl, les trois dimensions communes seraient respectivement : la rapidité de l'attaque, la brillance, le flux spectral. Une autre étude a ensuite conduit des analyses acoustiques des sons de cette première expérience, afin de proposer des descripteurs acoustiques qui rendent bien compte des axes de l'espace de timbre (Krimphoff, McAdams, & Winsberg, 1994). La dimension perceptive appelée "rapidité d'attaque" semblait être liée aux aspects temporels des sons et le logarithme du temps d'attaque semblait bien en rendre compte. La brillance était corrélée avec le centre de gravité spectral, c’est-à-dire la fréquence qui comportait autant d’énergie en amplitude en-deçà qu’au-dessus d’elle (voir Figure 2.14).

Figure 2.14 : Exemple de deux spectres moyens. Le premier est pour le timbre du trombone (gauche) et le second pour celui d’un hautbois (droite). Leur centre de gravité spectral respectif est indiqué par un triangle rouge. Extrait de Krimphoff

et al. (1994)

Enfin ce que Krumhansl a appelé le flux spectral correspondait à l'irrégularité du spectre (ou structure fine du spectre), qui reflétait l'écart du spectre réel à un spectre lissé, où les amplitudes d'harmoniques voisines sont peu différentes (voir Figure 2.15). Les corrélations entre les dimensions perceptives et ces trois descripteurs acoustiques étaient élevées (r(19) = 0; 94 ; r(19) = 0; 94 et r(19) = 0; 85 respectivement, p < 0; 01 dans les trois cas (Krimphoff et al., 1994). Ces résultats confirment l'interprétation qualitative de Krumhansl (1989) pour les deux premières dimensions, et proposent une troisième dimension de nature spectrale plutôt que spectro-temporelle.

Figure 2.15 : Spectres de raies d’un son de clarinette (gauche) et d’un son de trompette (droite). La ligne continue en gris représente une enveloppe, calculée en prenant la moyenne de trois raies adjacentes. Le paramètre IRR représente le logarithme de la somme des différences entre le spectre de raies et l'enveloppe. Extrait de Krimphoff et al. (1994).

Une étude de McAdams et al. (1995) a utilisé 18 de ces 21 sons de synthèse de Krumhansl, toujours avec un protocole de jugements de dissemblance (McAdams, Winsberg, Donnadieu, De Soete, & Krimphoff, 1995). Les résultats étaient en faveur d'un espace perceptif tridimensionnel, dont les deux premières étaient les mêmes que celle de Krimphoff et la troisième différait un peu. Pour McAdams, la troisième dimension de flux spectral était corrélée avec un paramètre acoustique du même nom qui correspondait à la variation du spectre au cours du temps. Dans cet espace, on a donc une dimension temporelle, une dimension spectrale et une dimension spectro-temporelle, ainsi que d’autre spécificités que nous ne détaillerons pas ici. De façon intéressante, la répartition des sujets dans les différentes classes latentes n'était pas liée au degré d'expertise musicale des auditeurs. Néanmoins, l'expertise musicale réduisait la variabilité des données.

L'ensemble des études avec des jugements de dissemblance rapportées dans les paragraphes précédents montrent qu'un espace de timbre avec deux ou trois dimensions et éventuellement des spécificités permet de bien modéliser les réponses des sujets. Mais ces études montrent également que la perception du timbre s’appuie sur plusieurs indices acoustiques. Il est, à l’heure actuelle, difficile de dire si ces différents espaces de timbre rendent comptent de tous les indices participant à la sensation de timbre. Toutefois, on peut noter qu’il n’y a pas de mots spécifiques à la description du timbre, et que les termes pour le décrire se rapportent souvent à d’autres sens, tels que la vision ou le toucher. S’il est difficile de le décrire, il est donc aussi difficile d’en étudier sa perception. Le fait que la manipulation de divers paramètres acoustiques fasse varier la sensation de timbre chez des sujets (voir paragraphes « Caractéristiques physiques du timbre », p52) nous laisse penser que le timbre est bien perçu. En revanche il n’est que très peu verbalisé.

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