Chapitre I. Synthèse bibliographique
3. Sècheresse et stress oxydatif chez les plantes
3.3. Mécanisme du stress oxydatif dans la plante
3.3.1. Perception du stress et signalisation cellulaire par les ROS
Il existe un équilibre fragile entre la production des ROS et le système antioxydant qui définit le niveau normal intracellulaire des ROS et le maintient à l'état d'équilibre. En conditions de stress hydrique, cet équilibre va être perturbé par l’augmentation excessive des ROS, en raison de la fermeture des stomates et la limitation concomitante de la fixation du CO2. Au lieu d'avoir un effet délétère immédiat, cette augmentation de la production des ROS est susceptible d'être bénéfique pour la plante si elle reste néanmoins sous contrôle strict. En effet, l’augmentation de la production des ROS est perçue par la plante comme un signal d'alarme qui déclenche des voies de défense et des réponses acclimatées, permettant à la plante de s'adapter à l'environnement changeant. De nombreux rapports mettent en évidence le rôle des ROS dans la signalisation cellulaire en situation de stress (Dat et al., 2000 ; Mittler, 2002 ; Vranová et al., 2002 ; Verslues et Zhu, 2005). D’après Wang et al., (2003), les ROS interviennent dans les cascades de signalisation responsables de l’induction et de la régulation de nombreux gènes de défenses (protéines chaperonnes : HSP, enzymes antioxydantes : APX, SOD, GSH, les aquaporines, les sucres simples, etc.) (Figure 10).
3.3.1.1. L’H2O2 comme second messager
Le candidat ROS le plus susceptible d'agir comme un messager secondaire dans une voie de transduction du signal en réponse à un stress est l’H2O2. Il est non seulement le ROS le plus stable avec une capacité de diffuser facilement d'un compartiment cellulaire à un autre, mais il peut aussi être facilement métabolisé par un système antioxydant cellulaire efficace (Gill et Tuteja, 2010).
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Figure 10 : Schéma général de la réponse des plantes aux stress abiotiques (Adapté de Wang et al., 2003). La sécheresse, la salinité et le froid induisent un stress osmotique et un stress oxydatif qui entraînent un déséquilibre de l’homéostasie et une fragilisation des membranes et des protéines. La perception puis la transduction du signal aboutissent à l’expression de gènes régulateurs qui eux-mêmes contrôlent les gènes effecteurs permettant la mise en place des mécanismes de tolérance aux stress. ROS = Reactive Oxygen Species, CDPK = Calcium Dependent Protein Kinase. PP = Phosphatase Protein. CBF = Crepeat Binding Factor. DREB = DRE Binding factor. ABF = ABRE Binding Factor. LEA = Late Embryogenesis-Abundant. HSP = Heat Shock Protein. SOD = Superoxyde Dismutase. POX = peroxydase. CAT = Catalase
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Comme il est produit à des taux élevés sous conditions de stress hydrique, une diminution de sa concentration par l'action du système antioxydant permet l'activation et la désactivation rapide du signal, une condition essentielle pour qu'un messager secondaire soit efficace. D'autre part, cette espèce active d'oxygène a une grande affinité avec les groupements thiol protéiques, ce qui suggère son rôle possible en tant que modulateur de la conformation des protéines et/ou des activités biochimiques. En outre, le statut thiol intracellulaire est considéré comme l'un des mécanismes qui permettent la détection des ROS (Foyer et Noctor, 2005).
La spécificité de la signalisation cellulaire de l’H2O2 peut être déterminée par son site de production, de contrôle et de transduction (Foyer et Noctor, 2003). Par conséquent, les différents compartiments cellulaires végétaux vont influencer différemment le réglage de la signalisation redox cellulaire sous conditions de stress hydrique. Bien que le taux de production de l’H2O2 soit plus rapide dans les peroxysomes et les chloroplastes, les mitochondries sont les organites les plus vulnérables aux dommages oxydatifs (Bartoli et al., 2004). Ceci peut s'expliquer par une quantité d’antioxydants inférieure dans les mitochondries par rapport aux autres organites. Dans ce sens, les mitochondries jouent un rôle crucial dans la mise en place de l'état redox cellulaire et l'initiation des cascades de transduction du signal en conditions de déficit hydrique.
L’H2O2 module la mobilisation du Ca2+, la phosphorylation des protéines et l’expression des gènes (Figure 11, Neill et al., 2002). Des changements dans le taux de calcium libre cytosolique ont été rapportés dans de nombreuses voies de transduction du signal biotiques et abiotiques (Sanders et al., 2002). Il a été montré que les ROS induisent une augmentation du Ca2+ cytosolique par l’activation des canaux hyperpolarisés perméables aux ions Ca2+ dans la membrane plasmique des cellules de garde d'Arabidopsis (Pei et al., 2000). D'un autre côté, plusieurs rapports ont montré que l’H2O2 induit l’activation des MAPK (Mitogen-activated protein kinases ou les MAP kinases), qui sont à leur tour impliqués dans plusieurs cascades de transduction des signaux qui modulent l'expression des gènes de réponse au stress (Desikan et
al., 1999 ; Samuel et al., 2000). La voie de signalisation de l’H2O2 en réponse au stress
hydrique favorise également l'accumulation de plusieurs protecteurs cellulaires qui peuvent agir directement ou indirectement dans la régulation de l'état redox cellulaire comme les antioxydants enzymatiques (Cruz de Carvalho, 2008). Elle est aussi à l’origine de l’induction des gènes impliqués dans les mécanismes de réparation et de protection de la cellule
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(protéines réparatrices de l'ADN et les protéines LEA) ou dans la voie de transduction du signal en réponse au stress oxydatif (sérine / thréonine protéine kinase).
Figure 11 : Schéma général illustrant comment les ROS et le Ca2+ peuvent moduler les activités nucléaires en contrôlant les activités et/ou la localisation des protéines cibles (Adapté de Mazars et al., 2010).
3.3.1.2. Signalisation cellulaire de l’ABA et des ROS
Il semble y avoir une relation assez complexe entre l'hormone ABA et les ROS. En conditions de stress hydrique, la plante accumule l’ABA ce qui va déclencher en aval une série de réponses qui vont lui permettre de s’adapter à la situation de stress, comme la fermeture des stomates (Shinozaki et Yamaguchi-Shinozaki, 1997). Cependant, plusieurs études ont montré que la réponse au stress hydrique ABA-dépendante ne peut être élicitée par l'ABA seul (Verslues et Zhu, 2005 ; Verslues et Bray, 2006). En effet, le stress hydrique induit de nombreux changements physiologiques et biochimiques qui altèrent le statut métabolique de la plante, ce qui pourrait influencer la susceptibilité cellulaire à l'accumulation de l’ABA. Un de ces changements importants est la modification du statut redox de la plante
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par une augmentation de la production des ROS (Foyer et Noctor, 2005) qui ont été suggérés comme étant le lien entre le statut métabolique de la plante et la voie de signalisation dépendante et qui agissent en aval de l’ABA modulant la voie de transduction du signal ABA-dépendante (Figure 12). En outre, la voie de signalisation des ROS en cas de stress hydrique, agit non seulement en aval de la fermeture des stomates, mais aussi en amont dans le réseau de signalisation de l’ABA.
Figure 12 : Un modèle proposé pour le rôle des ROS dans la voie de signalisation de l'ABA (Adapté de Zhang et al., 2009)
L'ABA stimule l'activité de la PLDα1 probablement par l'intermédiaire d'un récepteur de l’ABA. Le PA, messager lipidique produit par l'activation de la PLDα1 se lie à la NADPH oxydase dans la région cytosolique de l'extrémité N-terminale. L'activation de la NADPH oxydase par la liaison PA entraîne la production des ROS (y
compris l’H2O2). L'interaction PA-ABI1 altère l'inhibition ABI1 de la signalisation l’H2O2 et la NO. ABA =
Acide abscissique. PLDα1 = Phospholipase Dα1. PA = Acide phosphatidique. PC = phosphatidylcholine. ABI = Protéine phosphatase 2C. NADPH = Nicotinamide adénine dinucléotide phosphate déshydrogénase. NO = oxyde nitrique.
3.3.1.3. Les sucres et la signalisation cellulaire des ROS
Les sucres, et plus précisément les sucres solubles tels que le glucose et le saccharose, semblent jouer un double rôle en favorisant la production des ROS ou en participant indirectement aux mécanismes d’élimination des ROS par les voies génératrices de NADPH, telles que la voie oxydative pentose-phosphate. L'activité de photosynthèse conduit à
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l'accumulation des ROS par la réaction de Mehler mais aussi des sucres (Cruz de Carvalho, 2008). De plus, il a été montré que les sucres sont impliqués dans la régulation de l'expression de plusieurs gènes liés à la photosynthèse, ainsi que dans certains gènes liés aux ROS tels que la superoxyde dismutase (Couée et al., 2006 ; Sulmon et al., 2006). Par conséquent, il a été suggéré que les sucres solubles pourraient fonctionner comme des signaux utiles pour la plante dans la détection et le contrôle non seulement de l'activité photosynthétique, mais aussi de l'équilibre redox cellulaire (Couée et al., 2006). La connexion entre le mécanisme des sucres et la signalisation des ROS est cependant extrêmement complexe et semble impliquer également la signalisation de l’ABA, au moins dans certaines voies spécifiques.