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La perception des réseaux sociaux numériques au début des années 2000

6. DISCUSSION

6.1 La perception des réseaux sociaux numériques au début des années 2000

Au fil des années, la popularité des RSN a introduit les médias dans le processus du développement des relations interpersonnelles. Désormais, ils permettent, surtout aux jeunes générations, d’explorer leur culture, leur relation et même leur propre personne (Barnes, 2006). En centralisant et coordonnant les échanges interpersonnels, les RSN se sont vu concéder le statut de mine d’or d’informations personnelles. Étant devenus une source d’information importante, ils ont commencé à susciter des craintes : la peur du vol d’identité, de l’utilisation commerciale des données, des prédateurs sexuels, etc. (Barnes, 2006). Cette inquiétude, à propos de la divulgation de la vie privée, est alimentée par la presse populaire, mais aussi par différents articles scientifiques parus au début des années 2000 (Pluchette et Karl, 2008, cité dans Christofides et al.,, 2009). Leur constat : en ligne, les adolescents révèlent trop d'informations sur eux-mêmes (Bahrampour et Aratani, 2006; Downes, 2006; Komblum, 2005; Sullivan, 2005; Viser, 2005, cité dans Barnes, 2006). Des renseignements tels que le nom, l’adresse, la date de naissance, la ville de résidence, les contacts et relations, ainsi que les adresses courriel sont particulièrement pointées du doigt (Huffaker et Calvert, 2005, cité dans Barnes, 2006). La méconnaissance, voir

souvent même l’ignorance des utilisateurs, quant à la collecte et l’utilisation de ce type de données, est source d’inquiétude pour de nombreuses études qui mettent de l’avant la sous- estimation de l’audience et le manque de contrôle quant aux informations rendues publiques (Barnes, 2006; Christofides et al., 2009; Stutzman, Gross et Acquist, 2013; Bernstein et al., 2013). Des auteurs, tels que Susan B. Barnes (2006), s’inquiètent particulièrement du fait que les étudiants veulent garder leurs informations privées, mais « ne semblent pas se rendre compte que Facebook est un espace public » (Barnes, 2006, s.p.). Que les informations qu’ils partagent sont accessibles à leurs parents, à leurs futurs employeurs et aux responsables d’une foule d’institutions. Barnes nomme ce phénomène le Privacy Paradox, qui suggère même qu’en dépit du niveau élevé de préoccupation du partage des données, les utilisateurs continuent de divulguer leurs renseignements personnels sur les sites de RSN. Elle lie cette source de diffusion d’information à la collecte de données que font aussi les grandes industries (à des fins légales ou commerciales) pour annoncer la fin de la vie privée. Les nombreuses études qui ont suivi, et menées depuis, ont souvent partagé cette prémisse voulant que les RSN annoncent la fin de la vie privée.

6.1.1 Vers une gestion de la divulgation

Les premières études sur l'utilisation de RSN ont effectivement fourni des preuves empiriques sur les pratiques de divulgation de soi des étudiants (Gross et Acquisti, 2005, cité dans Stutzman et al., 2013). Des informations telles que les opinions politiques et l'orientation sexuelle étaient généralement partagées sur ces plateformes. Néanmoins, comme nous l’avons nous-même observé, ce type de divulgation semble diminuer avec le temps. Les informations souvent données en exemple dans les études de la décennie 2000 se concentrent sur les renseignements qu’il est possible de retrouver dans la section À propos du site Facebook. Cette section, toujours accessible, n’est plus source d’intérêt selon nos résultats. Elle est considérée comme trop intrusive de nos jours et les utilisatrices n’y mettent plus leurs informations. Certaines coordonnées qui y sont réclamées sont jugées comme étant les informations les plus confidentielles qui soient et elles n’ont, selon les utilisateurs, plus leur place sur Facebook. Stutzman et al. (2013) avaient déjà observé cette tendance dans leur étude longitudinale effectuée de 2005 à 2011. Malgré leurs données observées de 2009 et 2010 – induisant un accroissement du partage d’informations, engendré par les modifications de politique et d’interface du site – les

utilisateurs de Facebook ont tendance à devenir plus prudents, et cherchent désormais à protéger leurs informations personnelles ces dernières années. Tout comme pour cette constatation de Stutzman, au fil du temps nos participantes présentent un comportement plus protecteur de leurs données et limitent de plus en plus l’accès de leur compte aux étrangers, par peur de conséquences négatives. Tout ce qui est jugé personnel et confidentiel est contrôlé et protégé grâce à une sévère gestion des paramètres de sécurité. Les informations de contacts (adresse, courriels, numéro de téléphone, etc.) ne se retrouvent plus sur leurs profils. Il s’agit d’une stratégie de gestion de vie privée qui a aussi été observée par Young et Quan-Haase (2013) pour négocier le désire d’intimité et le besoin de partager. Seules les informations considérées générales, sans potentiel nuisible et pouvant permettre des affiliations désirées sont toujours divulguées : nom, ville d’origine, école secondaire, université, lieu de travail. Ces mêmes observations, sur l’ouverture à la divulgation, ont aussi été constatées par Day (2013).

En réaction aux multiples changements apportés à l’interface de Facebook – modifiant la sélection par défaut des paramètres de vie privée – nos participantes ont aussi accru leur sécurité et elles vérifient plus souvent l’accessibilité à leur compte. Elles se questionnent aussi beaucoup avant de publier sur la plateforme. Selon elles, il faut qu’il y ait une bonne justification pour partager du contenu personnel. Elles s’assurent de ne pas nuire à leurs relations, de ne pas être incomprises et surtout de ne pas perdre de l’intérêt aux yeux des autres. Les publications ne sont pas faites impulsivement sans penser aux conséquences; elles sont gérées et faites avec stratégies (Day, 2013; Zlatolas et al., 2015).

Comme l’a observé Stutzman et al. (2013), le vent semble tourner depuis quelques années et les chercheurs ont dû adopter et corriger leurs conclusions. Certains auteurs ont ainsi revisité le

Privacy Paradox, tels que Young et Quan-Haase (2013), Taddicken (2013) et Utz et Krämer

(2009), en expliquant davantage la gestion de l’accès à l’information et l’importance du sentiment de contrôle, tout en nuançant les anciennes observations. Ils mettent en lumière une gestion de la vie privée qui est spécifique aux utilisateurs des RSN. Notre étude se situe plus particulièrement dans ce nouveau courant. Nos résultats démontrent une grande préoccupation, chez les usagers, envers la protection de données, mais aussi l’importance de la compréhension du fonctionnement des publications sur Facebook.