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II. Ce qui ressort des résultats

2. La perception par le médecin généraliste de ses limites dans la prise en charge de la

évaluation de la demande du patient, en un dépistage du retentissement de la souffrance, en une orientation vers la médecine du travail ou d’autres spécialistes, l’objectif étant de réduire le nombre et la durée des arrêts de travail. En effet, ils observent que les patients sont amenés à les consulter pour obtenir un arrêt de travail, ce qui leur pose problème. Ils y voient un intérêt initialement, grâce à l’éloignement du facteur prédisposant, pour permettre du repos favorisant la réflexion, et mettre en place des thérapeutiques. Mais, ils trouvent que les arrêts de travail n’aident pas à résoudre le problème au travail de leurs patients, qu’ils induisent un ressassement non bénéfique, et qu’ils aggravent le risque de désinsertion socioprofessionnelle. Ils tentent donc de réduire ce risque en réévaluant fréquemment le patient, mais se retrouvent toujours confrontés à des arrêts de travail longs, sans perspective de reprise du travail. Ils constatent aussi que les récidives sont fréquentes. Cette vision est partagée par les psychiatres libéraux (38). En France, les indemnités journalières en cas d’arrêt de travail sont limitées à une durée de 360 jours par période de trois ans consécutifs, que ce soit pour un ou plusieurs arrêts maladie. Cette durée est augmentée à trois ans pour les patients atteints d’Affections Longue Durée(ALD).(40) Pour éviter des arrêts de travail prolongés débouchant sur des invalidités, les services de médecine du travail (comme l’a souligné le MG9) ainsi que la Sécurité Sociale proposent déjà des interventions dédiées à la remise au travail des patients par le biais de formations et de reprises progressives. Cette prise en charge étant essentielle pour éviter une désinsertion socioprofessionnelle, les médecins généralistes émettent l’idée de recommandations établies par la Haute Autorité de Santé pour encadrer la prise en charge de cette pathologie, et donc limiter un retard de coordination des soins.

2. La perception par le médecin généraliste de ses limites dans la prise en charge de la souffrance au travail

Les résultats montrent que les médecins généralistes se sentent dépassés par le versant non médical qu’entraîne cette pathologie. La prise en charge implique des compétences administratives et juridiques pointues en raison de l’intervention de l’inspection du travail, des avocats, du tribunal des prud’hommes.

100 a. Les rôles du patient et de l’employeur

On retrouve dans la thèse du Dr MICHAUT-VACHER Hélène, soutenue en 2015, que « Deux écoles s’affrontent actuellement. Celle menée par C.DEJOURS et la sociologie du travail, qui fait porter la responsabilité principale de la souffrance au travail au mode de management. Et en face une explication plus psychologisante centrée sur la responsabilité de l’individu. La cause principale de la souffrance est à chercher dans le parcours personnel du salarié, il faut alors développer sa capacité à s’adapter aux nouveaux enjeux du travail. C’est bien une explication collective qui s’oppose à une explication individuelle. Dans un cas c'est l’entreprise, la structure et ou le système qui doivent évoluer, dans l’autre c’est l’individu. » (36). Ce que confirme les résultats de cette étude.

Les médecins généralistes mettent en avant leur position de « chef d’entreprise » pour justifier une vision de la souffrance au travail d’un point de vue de l’employeur. Ils pensent que celui-ci n’est pas le seul responsable de la souffrance au travail ni le seul acteur dans la résolution du problème. Ils veulent faire comprendre au patient son rôle essentiel dans le processus de prise en charge.

Le patient est vu par le médecin comme un acteur de sa guérison. Il va donc essayer de lui en faire prendre conscience. Il peut le conseiller, l’orienter, lui proposer un suivi psychologique, des arrêts de travail, des traitements, afin que le patient soit en état d’affronter la situation. Mais il ne peut pas faire les démarches administratives à sa place ni résoudre les conflits. Sans la coopération du patient, le médecin se retrouve impuissant. Mais les médecins peuvent être confrontés à la réticence de certains de leurs patients qui rejettent la prise en charge. De même, ils ne pourront pas agir en cas d’inadéquation entre les qualifications des patients et le poste de travail qu’ils occupent.

Face au patient qui se trouve dans une impasse, le médecin généraliste n’a pas beaucoup de solutions à apporter. Il n’a pas le pied dans le monde de l’entreprise. La réinsertion socioprofessionnelle ne peut donc pas se faire sans l’implication de l’employeur. Conformément à la législation, ces derniers ont pour rôle de déclarer les accidents de travail, de prévenir les risques psychosociaux, d’adapter les postes de travail. Lorsque l’employeur est responsable du problème interne à l’entreprise, le médecin généraliste peut difficilement l’associer au processus de prise en charge du patient. Certains médecins ont même souligné que l’employeur peut devenir un « adversaire », en remettant en question les arrêts de travail et en ne respectant pas les préconisations du médecin de travail. L’absence de soutien des employeurs représente donc

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un frein à la prise en charge de la souffrance au travail. La seule solution qui s’offre alors au patient est l’éloignement définitif de la situation au travail qui cause sa souffrance, donc le licenciement, la démission, ou la rupture conventionnelle. La rupture conventionnelle concerne les salariés en contrat à durée indéterminée (CDI). Elle se fait d’un commun accord entre l’employeur et le salarié. L’employeur doit verser une indemnité au salarié, qui varie en fonction de l'ancienneté et de la rémunération. La rupture conventionnelle permet de conserver pour le salarié le droit aux allocations chômage. (41) Le licenciement pour motif personnel ou économique donne droit à une indemnité financière à tout salarié en CDI, sauf dans le cas d’une faute grave ou lourde. Le salarié licencié doit justifier d'au moins huit mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur. Quelle que soit la cause du licenciement, le droit aux indemnités chômage est conservé pour les salariés.(42) La démission correspond à la rupture d’un contrat à l’initiative du salarié. Un préavis peut être demandé par l’employeur qui n’a pas d’indemnité à verser. Le droit aux allocations chômage peut être conservé pour certains motifs de démission et sous condition.(43) Mais le médecin généraliste est conscient que si le patient le consulte, c’est que sa situation ne lui permet pas de bénéficier de ces options. Le patient n’a alors d’autre choix que de s’engager dans d’autres procédures, entraînant avec lui son médecin généraliste sur un terrain qui n’est pas de son ressort.

b. Où s’arrête le rôle du médecin généraliste ?

Les médecins généralistes sont habitués à apporter des solutions immédiates aux patients. Mais dans la souffrance au travail, les thérapeutiques médicamenteuses sont peu instaurées en première intention, les psychothérapies ont un coût, les arrêts de travail ne peuvent pas être prolongés indéfiniment. Ils savent que délivrer des certificats médicaux engage leur responsabilité car ils peuvent être utilisés à des fins procédurales par les employeurs et les avocats. Devant la souffrance des patients, peut naître de la compassion qui les amène à proposer de telles solutions, quitte à prendre le risque d’être instrumentalisés. En intervenant de la sorte, les médecins ont l’impression de faire de la prévention tertiaire et de permettre à leurs patients d’obtenir une réparation financière. Mais ils s’interrogent sur les limites qu’ils ne doivent pas franchir. Sont-ils vraiment libres de délivrer toutes sortes de certificats comme pourraient le croire les patients qui viennent les solliciter ? Les certificats médicaux sont encadrés par l’Article R. 4127-76 du code de la santé publique : "L’exercice de la médecine comporte normalement l’établissement par le médecin, conformément aux constatations médicales qu’il est en mesure de faire, des certificats, attestations et documents dont la production est prescrite

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par les textes législatifs et règlementaires. ". Les médecins se doivent donc de refuser les certificats qui reposent sur une demande abusive ou illicite ou ceux qui sont demandés par un tiers, sauf exception prévue par un texte législatif. Le Conseil de l’Ordre souligne que beaucoup de certificats médicaux demandés au médecin ne reposent sur aucun fondement juridique ou ne comportent aucun contenu médical. Il appartient alors au médecin d’apprécier s’il y a lieu ou non de délivrer le certificat demandé.(44) Le Conseil de l’Ordre note que plus de 20% des plaintes enregistrées auprès des chambres disciplinaires de première instance concernent des certificats médicaux. En cas de condamnation, la sanction peut être un avertissement, un blâme, une interdiction d’exercice avec ou sans sursis de la médecine pouvant aller jusqu’à trois ans, ou la radiation du Tableau de l’Ordre. Le médecin sous-estime souvent les risques d’un certificat non conforme.

Le médecin généraliste ne doit pas oublier qu’il a avant tout un rôle de soignant, et qu’il ne doit pas se retrouver dans des situations inconfortables qui le dépassent. Il lui appartient de se protéger en refusant au patient ce qu’il ne considère pas comme relevant de ses fonctions.