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Le patrimoine écrit en Nord –

Dans le document 56 : Nord-Pas-de-Calais (Page 42-45)

Pas-de-Calais :

l’espoir d’un

chantier collectif

U

NPATRIMOINEPARTAGÉ Densément peuplé, précocement urbanisé et industrialisé, le Nord – Pas-de-Calais est une région où la circulation des médias sous toutes leurs formes (manuscrits, imprimés, presse, ephemera, images…) est intense depuis plus de dix siècles. Les six bibliothèques classées du Nord – Pas-de-Calais – chiffre record en France – n’y ont jamais eu le monopole d’un patrimoine qui déborde largement sur l’ensemble des bibliothèques municipales et universitaires (publiques ou pri- vées), les archives ou les musées 1.

M

ARIE

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IERRE

D

ION Bibliothèque municipale de Valenciennes

I

SABELLE

D

UQUENNE Bibliothèque municipale de Lille

Extension du domaine

de la lutte

Le patrimoine en région

Le prestigieux héritage

patrimonial du Nord –

Pas-de-Calais se trouve

en décalage avec l’image

de la région façonnée par

les secousses les plus

récentes de l’histoire. Lui

restituer son sens et faire

rayonner pleinement

la richesse de ce legs

sous-tend une politique

ambitieuse et

collaborative propre à

contrecarrer bien des

clichés.

lieux mené dans le cadre de la mise en place du Plan d’action pour le patrimoine écrit en 2005 : www.eulalie.fr.

2. L’exposition Psaumes (2010) mettait pour la première fois en commun les col- lections patrimoniales de la Bibliothèque municipale de Lille, de l’Institut catho- lique de Lille et de l’Université Charles de Gaulle-Lille 3. Son catalogue a fait l’objet d’une note de lecture dans Bibliothèque(s), n° 53/54, déc. 2010, p. 112. 1. Cf. le guide consacré au Nord et à la Picardie

dans la collection Patrimoine des biblio- thèques de France lancée en 1995 et l’état des

Valinciennes : journal patois, littéraire et humoristique, n° 45, 3 janvier 1902 (BM Valenciennes). © B M de V alenciennes

DOSSIER

MARIE-PIERRE DION et ISABELLE DUQUENNE Extension du domaine de la lutte. Le patrimoine en région 41

aussi les plus reproduits – lourde charge, car entre les tra- vaux de restauration et l’évolution des techniques de photo- graphie, le travail est souvent à reprendre. La tradition artis- tique s’est perpétuée à travers les siècles et les ressources iconographiques vont bien au-delà des cartes postales déjà numérisées en nombre. Elle vaut aux bibliothèques une association fréquente aux projets des musées du Nord : les plaques autochromes de Georges Maroniez conservées à la Médiathèque de Cambrai ou les estampes japonaises d’an- ciens collectionneurs valenciennois ont ainsi été présentées ces dernières années à des publics élargis 3. Les bibliothèques

se distinguent encore par la conservation d’importants fonds musicaux déjà bien répertoriés, tandis que les traces d’arts éphémères comme celui de la fête restent un champ majeur

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ESCOLLECTIONSSIGNIFICATIVES

Si la litanie des destructions pèse depuis le haut Moyen-Âge sur une région frontière comme le Nord – Pas-de-Calais, le patrimoine des bibliothèques bénéficie en revanche de la situation de la région, au carrefour de grands courants d’échange commercial, intellectuel ou artistique, ce qui lui confère des traits originaux et favorise la valorisation.

La perméabilité à la novation se manifeste d’emblée par le nombre d’incunables, la précocité de la presse périodique ou l’adoption de la photographie dès les origines. Les fonds reflètent aussi une attention à l’actualité multiforme : libelles révolutionnaires, tracts et programmes électoraux, presse politique et populaire, ou encore propagande étrangère en terre occupée y ont été amassés avec un soin attentif. Quant à l’ouverture au monde, elle est partout, dans les fonds militants des jésuites, dans les bibliothèques héritées des Lumières, dans les fonds légués par les élites politiques, économiques ou militaires, sans oublier les collections ras- semblées par des savants, égyptologues, orientalistes ou espérantistes.

Autre particularité du Nord – Pas-de-Calais – mutualisation forcée, faute de moyens, ou fierté urbaine très vivace ? –, de nombreuses bibliothèques, petites ou grandes, abritent non seulement des « fonds locaux » mais aussi des dizaines de kilomètres d’archives municipales, notariales ou hospitalières remontant au XIIe siècle. Cela fait de certaines d’entre elles de

petits centres de recherche actifs, nourrissant des liens privi- légiés avec les sociétés savantes ou les universités. Les dona- tions d’érudits restent une tradition bien ancrée, comme celles des hommes politiques, la dernière en date étant l’important versement des papiers du sénateur-maire André Diligent à la Médiathèque de Roubaix. L’ensemble de ces fonds contribue à éclairer, au-delà du passé de chaque ville, la riche problé- matique de l’histoire urbaine des pays du Nord de l’Europe et constitue une mine pour l’histoire des bouleversements politiques, religieux ou socio-économiques.

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ESMANUSCRITSCAROLINGIENSAUX

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H

TIS

Dans une région de civilisation brillante où les musées sont déjà légion, la richesse artistique des bibliothèques est une autre caractéristique frappante. Dès le IXe siècle, les puis-

santes communautés bénédictines du Nord, favorisées par la proximité des Îles britanniques et des palais impériaux, ont transmis le goût des textes et de la décoration des livres. Carolingiens, romans, gothiques ou bourguignons, les manus- crits du Nord sont parmi les plus exposés, les plus nombreux de la base Enluminures du ministère de la Culture ; ils sont

Étiquette chromolithographiée de boîte de fil, XIXe siècle (Méd. Roubaix).

© Médiathèque de R

oubaix

3. Les opérations « 160 ans de photographie en Nord – Pas-de-Calais » et « Feuille à feuille : estampes et images imprimées du Nord – Pas-de-Calais », regroupant chacune six expositions, ont été coordonnées en 2001 et 2007 par l’Association des conservateurs des musées du Nord – Pas-de-Calais.

comme celle de Roubaix. Cependant, grâce au soutien ancien et affirmé de la Drac, d’importantes campagnes de signa- lement, de conversion rétrospective ou catalogage, et de numérisation ont pu être menées ces dernières années de Bergues à Condé-sur-l’Escaut en passant par Lille, Tourcoing, Roubaix, Douai, Valenciennes. Ces travaux constituent le ter- reau sur lequel de solides projets collectifs peuvent désormais se développer, en lien avec les outils nationaux que sont le dépôt légal, le CCFr et Gallica. Ceux-ci garantissent déjà une meilleure accessibilité des fonds (après la bibliothèque de Douai en 2010, celle de Valenciennes entrera dans le CCFr en 2011), une couverture accrue (l’archivage numérique de sites électoraux est expérimenté à la Bibliothèque de Lille depuis 2007) et un rayonnement plus large (la Bibliothèque numé- rique de Roubaix est entrée dans Gallica et les manuscrits carolingiens de l’ancienne abbaye royale de Saint-Amand, conservés à Valenciennes, seront mis en ligne par la BnF sur Europeana fin 2011).

Influencée par une tradition de coopération trop informelle et ponctuelle mais ancienne, ainsi que par l’évolution des pra- tiques et thèmes de recherche, la vision du patrimoine régional tend à dépasser le cadre institutionnel et à se détacher d’un régionalisme trop étroit. Au-delà de la conservation partagée des périodiques qui se met actuellement en place, la réflexion porte sur l’extension de la conservation à de nouveaux champs disciplinaires. Le secteur de la littérature Jeunesse, où les bibliothèques ont pu mesurer l’importance de la mise en com- mun à l’occasion de l’exposition « Enfance en Nord » de Liévin en 2001, pourrait ainsi se développer en lien avec le centre de recherche Robinson rattaché à l’Université d’Arras 4.

Il y a encore un long travail à fournir avant que les docu- ments ne soient tous signalés à travers un portail facile d’ac- cès et il faut faire face aux urgences comme la numérisation de la presse régionale, mais les bibliothèques du Nord, toujours dépourvues de Frab, sont d’une certaine manière habituées aux difficultés. Assiettes décorées ou boîtes de bêtises imprimées à Cambrai, marionnettes à Roubaix, dentelles à Valenciennes nourrissent l’envie ou la compassion selon le point de vue d’où l’on se place (valorisation ou conservation) ! Faut-il voir dans ces ensembles singuliers une curiosité anecdotique, ou bien y lire la marque d’une culture créative, productrice d’une richesse sans cesse renouvelée ? La revendication d’un chantier patrimo- nial collectif et multiforme est un enjeu de taille au moment où les bibliothèques espèrent voir leur travail enfin conforté par des structures pérennes de coopération.

Marie-Pierre DION

à explorer (les villes du Nord rivalisent depuis toujours en matière d’organisation de tournois, entrées de souverains, défilés historicisants ou cortèges de géants).

La politique d’enrichissement des fonds patrimoniaux a longtemps été axée sur l’histoire ou la littérature, dans le cadre de fonds régionaux classiques, ouverts à la bibliophilie contemporaine. Les auteurs « locaux » dominent ces fonds : Fénelon à Cambrai, Marceline Desbordes-Valmore à Douai, Marguerite Yourcenar ou Pierre Dhainaut à Lille… Les grands noms ont cependant depuis longtemps laissé une place aux genres nouveaux, comme la bande dessinée, ou considérés comme mineurs, comme la chanson ou la littérature patoi- sante. Alexandre Desrousseaux, le créateur du P’tit Quinquin, ou Jules Mousseron, le père de Cafougnette, ont des fonds dédiés, avec en miroir de nombreux travaux de linguistes ou d’ardents continuateurs dont l’intérêt contraste avec l’image sympathique mais réductrice diffusée par la mode ch’ti.

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ESFONDSREVIVIFIÉS

Longtemps, le poids d’un tel patrimoine a freiné toute volonté de signalement et de mise en valeur, voire même le dévelop- pement de la lecture publique. Ce n’est pas un hasard si de nouveaux fonds, consacrés par exemple aux phonogrammes, ont pu se développer dans des bibliothèques plus récentes

4. Marie-Laure Fréchet, « Centre Robinson... », Eulalie la revue, n° 6 (janvier 2011), pp. 26-27.

Raban Maur, Louanges à la Sainte Croix, XIIe siècle (BM Douai).

© I R HT -CN RS / B M de Douai

DOSSIER

MARIE-PIERRE DION et ISABELLE DUQUENNE Extension du domaine de la lutte. Le patrimoine en région 43

du CCFr de plus de 2 000 notices, mettant particulièrement en valeur les partitions du fonds de la Société du concert de Lille.

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ÉCRINÀL

ÉCRAN

Ces dernières années, la bibliothèque a en outre accompli un effort significatif de valorisation muséale comme édito- riale en renouant avec une politique de grandes expositions et de publications : « La Reliure, Patrimoine artistique » et « Livres d’artistes » en 2004, « Le Blondel » en 2005 5, « La Grèce des Modernes » en partenariat avec le Musée d’art moderne en 2007, « Nord’ » avec la Société de littérature du Nord en 2008, « Psaumes » en 2010 avec les bibliothèques universitaires de Lille 3 et de l’Institut catholique.

Soucieuse de développer sa visibilité sur le web, elle s’est engagée en parallèle dans une politique de mise en valeur du patrimoine adossée au développement des technologies. En 2007, la bibliothèque numérique s’est élaborée sur des logiciels libres en collaboration étroite avec le service informa-

Patrimoine en bibliothèque :

Dans le document 56 : Nord-Pas-de-Calais (Page 42-45)