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1.3.3.1. Assimilation et bio-amplification du Hg dans les 1

ers

niveaux trophiques

Les organismes unicellulaires (bactéries, micro-algues, protozoaires) sont supposés être la principale voie d’entrée du MMHg dans la chaine trophique (Douglas et al., 2012). Cette entrée se fait probablement par les organismes hétérotrophes lorsqu’ils ingèrent soit les micro-organismes responsables de la formation du MMHg, soit les algues (ou phytoplancton) ayant concentré du MMHg dissous dans la colonne d’eau. Une étude portant sur les diatomées a montré que l’ingestion de MMHg et Hg inorganique se faisait par diffusion passive sous une forme non-chargée, complexée et liposoluble (Mason et al., 1996). Alors que l’ingestion des deux composés liposolubles se fait de façon égale, la prédominance du MMHg chez les poissons est le fait d’une meilleure efficacité lors du transfert trophique du MMHg par rapport au Hg inorganique. Par exemple, le MMHg dans le plancton, qui s’accumule dans le cytoplasme de la cellule est assimilé par le zooplancton avec une efficacité quatre fois supérieure au Hginorganique qui s’accumule plutôt au niveau de la membrane cellulaire. Cette sélectivité permet d’expliquer comment on retrouve entre 20 et 50% de MMHg dans le phytoplancton, puis MMHg>75% à partir du deuxième niveau trophique (zooplancton), pour atteindre des valeurs proches de 90-100% dans le muscle des prédateurs terminaux (Figure 8). En Arctique, les populations bactériennes ont développé des assemblages particuliers de lipides dans leurs membranes pour s’adapter aux températures froides (Methé et al., 2005). Il est possible que cette adaptation modifie les taux d’«uptake» des différentes espèces de Hg comparés aux autres environnements (Douglas et al., 2012).

Figure 8 : Biomagnification du méthylmercure dans la chaine trophique Arctique (Douglas et al., 2012)

29 En plus de cette discrimination des espèces du Hg le long de la chaine trophique, on observe aussi une augmentation des concentrations en HgT (donc MMHg) à chaque niveau trophique. Ce phénomène aussi appelé bio-amplification existe si la concentration dans un prédateur est supérieure à la concentration moyenne de ses proies. Il est le plus important au premier niveau trophique où le facteur d’enrichissement entre l’eau est le phytoplancton est le plus fort (104

à 105,5 entre l’eau et le phytoplancton et 106,5 entre l’eau et le poisson, (Mason et al., 1995a)). Une explication possible pourrait être liée au fait que le transfert du MMHg chez les niveaux trophiques élevés se fait quasi- uniquement par transfert trophique alors qu’un processus de bioconcentration est plutôt à l’œuvre au niveau du phytoplancton. Contrairement au MMHg, le Hg inorganique est peu bio-amplifié (Watras et al., 1998). Dans la chaine trophique Arctique on retrouve les mêmes processus de bio-amplification avec des concentrations en HgT qui augmentent avec les niveaux trophiques estimés par des mesures de δ15N (Figure 9). Cette relation est loin d’être parfaite due notamment aux différentes capacités métaboliques observées chez les prédateurs terminaux leur permettant de limiter leur exposition au MMHg (voir partie 1.3.3.2.) ou du fait de différentes valeurs de ligne de base en δ15N entre écosystèmes.

Figure 9 : a) Traceurs de niveau trophique (δ15N) vs THg dans le foie (ou le corps entier pour les invertébrés ou poissons) pour une chaine trophique Arctique (en grande partie Alaska). La régression linéaire donne les facteurs de bioamplification. D’après (Dehn et al., 2006). b) δ15N vs THg

dans le muscle (ou le corps entier pour les invertébrés ou poissons) pour une chaine trophique Arctique (Mer de Beaufort). D’après (Kirk et al., 2012).

b) a)

30 En conclusion, les processus d’entrée et de transfert du MMHg dans la chaine trophique sont encore peu connus et pas suffisamment décris, mais il est évident que la concentration en MMHg dans les niveaux trophiques est fortement influencée par la capacité de méthylation de l’environnement à la base de l’écosystème. Une grande partie des variations spatiales observées dans les concentrations en mercure chez certaines espèces de poissons peuvent être attribuées à des variations affectant la production bactérienne locale de MMHg (Harris et al., 2010).

1.3.3.2. Bioaccumulation et métabolisme du Hg chez les prédateurs terminaux

Bioaccumulation

De par un faible taux d’excrétion du MMHg comparé à son assimilation, on observe en général une augmentation de la concentration en MMHg dans les tissus biologiques au cours de la vie d’un individu (estimée par l’âge ou la taille). Par exemple, les concentrations en Hg de 566 baleines beluga de l’Arctique de l’est et de l’ouest ont été compilées par Lockhart et al. (2005) et confrontées à l’âge des individus (Figure 10, (Lockhart et al., 2005)).

Figure 10 : Concentration en Hg dans les foies de 566 baleines beluga de différents âges. D’après (Lockhart et al., 2005).

Si l’on prend en compte chaque collection séparément (n=32), toutes sauf deux ont des pentes positives et les deux tiers ont un r2>0,50. Dans ce cas, une correction de l’âge est possible pour comparer les différents individus (Lockhart et al., 2005). Cette tendance peut être cependant légèrement biaisée par le fait qu’un individu âgé plus expérimenté peut adapter sa stratégie de fourragement vers des proies de niveaux trophiques plus élevés.

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Métabolisme/Hg dans le foie

Lors de cette thèse de doctorat, les foies de 53 phoques annelés, 54 baleines belugas et 15 ours polaires ont été étudiés. Comment interpréter le niveau de concentration de Hg mesuré dans le foie ?

Alors que l’exposition au Hg par les mammifères marins se fait principalement par transfert trophique sous sa forme méthylé MMHg (Bloom, 1992), le foie présente la particularité (avec les reins et le cerveau) d’accumuler le Hg majoritairement sous sa forme inorganique (Itano et al., 1984; Nigro, 1994; Wagemann et al., 2000). En 1973, Koeman et al. ont montré la première forte corrélation entre le HgT et le sélénium dans les foies de mammifères marins de la mer du Nord avec un ratio d’environ 1:1 (Koeman et al., 1973). Un phénomène similaire a été observé chez deux mammifères marins de la mer Méditerranée (Arago, 1980) : chez des dauphins capturés dans l’Océan Pacifique (Itano et al., 1984) et chez des phoques de l’Arctique (Wagemann et al., 1996). Basée sur des extractions successives physico-chimiques, une étude de Wagemann et al. (2000) a permis d’identifier et de quantifier différentes formes de Hg dans le foie de phoques annelés de l’Arctique Canadien (Figure 11, (Wagemann et al., 2000)). On y retrouve majoritairement du Hg inorganique (95%) lié au sélénium (HgSe, 53%) ou non (Hg inorganique, 42%). En moyenne seulement 6% du Hg est sous forme organique avec seulement 2% de MMHg.

Figure 11 : Estimation des pourcentages des différents composés du Hg observés dans le foie de 45 phoques annelés de l’Arctique Canadien. D’après (Wagemann et al., 2000)

Présentant les plus hautes concentrations en HgT et une forte correlation avec Se (figure 12a), le foie a rapidement été considéré comme un organe clé vis-à-vis de l’activité métabolique liée au Hg. Une réaction de déméthylation du MMHg in-vivo est fortement suspectée pour expliquer les différences de proportion de MMHg entre la proie (MMHg≈90-100%) et le foie du prédateur (MMHg≈0-20%) (Bloom, 1992; Wagemann et al., 2000). L’analyse systématique de la spéciation du Hg a montré une faible proportion de MMHg ainsi que sa décroissance rapide en fonction de la concentration en HgT (Figure 12b) suggérant aussi une possible fonction de déméthylation du Hg dans le foie (Becker et al., 2000). L’implication du foie dans ce mécanisme est suggérée du fait de son rôle connu d’organe de détoxification pour d’autres contaminants (Ikemoto et al., 2004).

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Figure 12 : a) Relation Hg vs Se observée dans les différents organes du beluga, d’après a) (Lockhart et al., 2005). b) Décroissance du %MMHg avec la concentration en HgT chez le beluga,

d’après (Becker et al., 2000)

Un mécanisme simplifié a été proposé par Wagemann et al. (1998) impliquant une enzyme (démethylase) permettant de déméthyler le MMHg arrivant par la voie sanguine dans le foie (Figure 13, (Wagemann et al., 1998)). Le Hg inorganique ainsi formé se complexerait avec Se pour former des nanoparticules insolubles et inertes (HgSe). Une équipe de chercheurs japonais a montré des preuves que le MMHg peut être converti en Hg inorganique par des cellules phagocytaires prélevées dans le sang de rats (Suda et al., 1992). Suda et al. (1992) ont aussi montré que les microsomes du foie sont aussi capables de déméthyler le MMHg, via l’action de la NADPH-cytochrome P-450 reductase responsable de la production de radicaux hydroxyles (Suda and Hirayama, 1992). D’après ces études expérimentales et la spéciation particulière du Hg observée, le foie réaffirme sa fonction d’organe de régulation et de dégradation du MMHg ingéré.

Figure 13 : Mécanisme hypothétique de déméthylation du MMHg et la formation de complexe HgSe inertes dans le foie. D’après (Wagemann et al.,

1998).

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