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Chapitre 2. Les isotopes stables du Hg

2.2. Fractionnements isotopiques dans l’environnement

2.2.3. Etudes chez les organismes aquatiques

2.2.3.1. Fractionnement isotopique dans les chaines trophiques

Jusqu’à présent toutes les études visant à approcher la signature isotopique du Hg dans l’eau ont été réalisées sur des échantillons biologiques afin d’utiliser la bio-amplification trophique du Hg comme système de préconcentration naturel. Cette méthode a d’ailleurs été suivie dans cette thèse avec l’utilisation de mammifères marins positionnés en bout de chaine alimentaire. En attendant des techniques de mesures isotopiques permettant des mesures à faible concentration, la principale question est celle du fractionnement isotopique potentiel entre l’eau et l’espèce bio-indicatrice considérée. « Est-il judicieux d’utiliser un bioindicateur pour approcher la signature isotopique du Hg dans l’eau ? » ou « Peut-on observer un fractionnement isotopique in-vivo ? ».

En terme de MDF, étant sensible à de nombreuses réactions biotiques et abiotiques, il est très probable d’en observer in-vivo. De nombreuses études ont détecté sa présence le long de différentes chaines trophiques aquatiques (Perrot et al., 2010; Senn et al., 2010) mais aussi entre le prédateur et sa proie (Laffont et al., 2009). Ces observations dans la nature n’ont pas été confirmées par l’étude récente de Kwon et al. en laboratoire montrant l’absence de MDF entre le muscle/foie d’un poisson (perchaude, Perca flavescens) et sa nourriture (flocons du commerce) (Kwon et al., 2012). Cette dernière étude a été cependant menée en laboratoire sur des poissons de faibles tailles (« turnover » probablement élevé) et ne reflète pas les conditions naturelles ni les activités métaboliques observées chez les mammifères.

Plusieurs hypothèses apparaissent pour expliquer le MDF observé dans la nature le long de chaines trophiques, dû au fait du métabolisme interne de détoxification et de redistribution vers différents organes. En effet la déméthylation in-vivo du MMHg précédemment incorporé via la nourriture a été démontrée dans de nombreuses études (Eagles-Smith et al., 2009; Wagemann et al., 2000). Du fait de la forte sensibilité du MDF observée pour de nombreuses réactions abiotiques ou biotiques on peut s’attendre à ce que les processus métaboliques internes de transfert et transformation du mercure produisent du MDF. Ce phénomène est probablement à l’origine du MDF observé entre le muscle de poisson et les cheveux des populations étudiées par Laffont et al. (Laffont et al., 2009). Ce fractionnement isotopique in-vivo a particulièrement été étudié dans cette thèse dans les chapitres 4 et 6. Basée sur une analyse isotopique spécifique des différentes espèces du Hg présentes dans différents organes chez les phoques, notre étude apporte une preuve sérieuse de l’existence de MDF in-vivo.

Tout comme le MDF, il a été montré dans une étude de chaine trophique d’un lac d’eau douce en Floride que les signatures en Δ199Hg étaient corrélées au δ15N, suggérant une augmentation du MIF avec le niveau trophique (Das et al., 2009). Dans cette étude, les auteurs suggèrent que les poissons

59 situés en bas de la chaine trophique sont plus aptes pour approcher la signature isotopique de l’eau. Au contraire, les espèces en haut de la chaine trophique, bio-accumulent et bio-amplifient le MMHg ce qui peut entrainer du MIF via les réactions biochimiques ou métaboliques. Cette hypothèse a été cependant largement mise en doute par l’absence de MIF significatif (>1‰) observée dans les réactions biotiques ou abiotiques non photochimiques (Table 5) et dans d’autres études de chaines trophiques naturelles (Laffont et al., 2009; Perrot et al., 2010). De plus, l’étude expérimentale de Kwon et al. (2012) montre l’absence de MIF lors du transfert trophique entre la nourriture et le poisson en aquarium (Kwon et al., 2012). Ces observations sont confirmées dans cette thèse où aucune observation de MIF associé à des processus in-vivo n’a été observée (Chapitre 4 et 6).

2.2.3.2. Observations d’un découplage entre habitat côtier et océanique

Il est fort probable que les observations de Das et al. (2009) ou de Jackson et al. (2008) soient l’effet de différentes sources de MMHg (Das et al., 2009; Jackson et al., 2008). En effet, plusieurs études ont montré de forts gradients isotopiques δ13C et δ15N entre les chaines trophiques côtières/benthiques et pélagiques/océaniques. Gantner et al. (2009) ont étudié la chaine trophique présente dans les lacs Arctiques (Gantner et al., 2009). Ils ont trouvé que le zooplancton pélagique qui accumule du MMHg provenant directement de la colonne d’eau avait une signature isotopique en Δ199Hg positive allant jusqu’à 3.4‰. Au contraire, les chironomids benthiques affichent des anomalies

plus faibles allant uniquement jusqu’à 1.3‰ (Gantner et al., 2009). Cette différence a été attribuée par la plus forte proportion de Hg inorganique provenant des sédiments (dont le MIF est supposé plus faible) dans les organismes benthiques de bas de chaine trophique. De la même façon, Senn et al. (2010) ont comparé le MIF d’espèces de poissons côtières (Δ201Hg≈0.4‰) et pélagiques (Δ201Hg≈1.5‰) du Golfe du Mexique (Senn et al., 2010). Dans ce cas, l’hypothèse avancée est que le

MMHg océanique a probablement subi une photo-dégradation plus intense avant d’entrer dans la chaine alimentaire. Dernier exemple, Day et al. (2012) ont observé récemment en Alaska un gradient entre des œufs d’oiseaux prélevés dans un système côtier (Δ201Hg≈0.6‰) et ceux prélevés dans un système océanique (Δ201Hg≈0.8‰) (Day et al., 2012). Bien que la différence soit faible, une origine

géogénique de Hg apporté par le « Yukon River » est suspectée en regardant en parallèle les isotopes stables du carbone (δ13C). En effet, la signature en δ13C atteint de −23.3‰ à −20.0‰ pour les colonies sous influence de la Yukon River contre −20.9‰ à −18.7‰ pour celles sous influence plutôt océanique. Le mélange entre du mercure d’origine continentale et océanique est supposé pour expliquer un gradient local de MIF, bien que la gamme de variation soit relativement faible (0.2‰).

Les principaux résultats des études majeures portant sur l’utilisation des isotopes du Hg dans les échantillons biologiques sont détaillés dans la Table 6. Pour résumer, ces études montrent une forte variabilité locale des signatures isotopiques en Hg (MDF, MIF) avec le plus souvent un découplage entre les systèmes côtiers vs océaniques ou profonds vs eaux de surface. Ces observations sur le

60 terrain (δ13C vs Δ201Hg, (Day et al., 2012)) associées à l’influence du DOC sur plusieurs réactions impliquant le Hg (Table 5, photoréduction/déméthylation) suggèrent un possible lien étroit entre le cycle du Hg et le cycle du carbone. D’autre part, les signatures isotopiques du Hg sont déterminées systématiquement sur la fraction totale du Hg et ne tiennent pas compte de la spéciation du Hg potentiellement variable dans les échantillons analysés (Partie 1.3.3). Cette étude bibliographique suggère que des observations plus résolutives doivent être mises en œuvre, notamment en mesurant les signatures isotopiques du Hg (δ202HgMMHg, Δ

199

HgMMHg) et du carbone (δ 13

CMMHg) à l’échelle

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Table 6 : Principales études sur les isotopes du Hg dans les échantillons biologiques par ordre de parution.

Etude

Région

Espèce/Tissue

Milieu de vie

Principaux résultatsImplications

(Bergquist and Blum, 2007)

Lac Michigan

(USA) Barbot (poisson)/Muscle Eau douce

-Pente Δ199Hg vs Δ199Hg=1.28 proche de la pente de la photo-déméthylation (1.36)  Traçage du mécanisme à l’origine du MIF (photoréduction vs photodéméthylation)

Utilisation du MIF pour quantifier des flux de Hg (Jackson et al.,

2008)

Lacs Arctiques

(Canada)

Truite/Muscle Eau douce -Différence de MIF entre le Hg inorganique et MMHg chez les poissons  MIF durant la méthylation microbienne

(Laffont et al., 2009) Rivière Beni/Itenez (Bolivie) Espèces diverses de

poissons/Muscle Eau douce

-Décalage de δ202Hg=2.0±0.2‰ entre les poissons et les cheveux de leurs consommateurs  1 niveau trophique MDF≈2‰ (Gantner et al., 2009) Lacs Arctiques (Canada) Zooplancton, chironomids,

Arctic char/Muscle Eau douce

-MIF plus faible dans les chironomids benthiques comparé au zooplancton de la colonne d’eau  Gradient de MIF benthique/colonne d’eau

(Das et al., 2009)

Lac Jackson, Floride (USA)

Zooplancton et poisson Eau douce -MIF augmente avec le niveau trophique  MIF durant transfert trophique

(Senn et al., 2010) Golfe du Mexique

Espèces diverses de

poissons/Muscle Eau de mer

-Les thons océaniques ont une signature isotopique significativement plus lourde (δ202Hg=0.2-0.5‰ et Δ199Hg≈1.5‰) comparé aux poissons côtiers (δ202Hg≈0 à -1‰ et Δ199Hg≈0.4‰)

 MIF≠ entre espèces côtières et océaniques Différentes sources de MMHg (Perrot et al., 2010) Lac Baïkal

(Russie) Perche, Gardon/Muscle Eau douce

-δ202Hg augmente avec le niveau trophique mais pas Δ199Hg Utilisation du MIF pour traçage de source de Hg anthropogénique

(Point et al., 2011)

Différentes mers d’Alaska

(USA)

Œufs de guillemots Eau de mer

-Fort gradient latitudinal entre les œufs d’oiseaux récolté au nord (Mer de Chukchi, Δ201Hg=0.48±0.08‰) et ceux récoltés au sud de l’Alaska (Golfe d’Alaska, Δ201Hg=0.92±0.12‰)

 Influence de la couverture de glace sur la photo-déméthylation (Laffont et al.,

2011) Bolivie Cheveux -

-Corrélation Hg inorganique et δ202

Hg chez les mineurs  Traçage de l’exposition en Hg inorganique des mineurs (or)

(Day et al., 2012)

Mer de Béring, Alaska (USA)

Œufs de guillemots Eau de mer

-Fort gradient entre les œufs d’oiseaux prélevés dans un système côtier (Δ201Hg≈0.6‰) et ceux prélevés dans un système océanique (Δ201Hg≈0.8‰)

Influence des apport géogéniques des rivières sur la signature isotopique du Hg

(Kwon et al., 2012) Aquarium Perchaude/Muscle Eau douce

-Pas de variation de MIF entre la nourriture et le muscle ou foie du poisson Rejet de la thèse du fractionnement isotopique durant le transfert trophique

Utilisation des isotopes du Hg dans les poissons pour tracer les sources de Hg dans les écosystèmes aquatiques

(Blum et al., 2013a)

Gyre du Pacifique central/Nord

Espèces diverses de

poissons /Muscle Eau de mer

-Variation du MIF avec la profondeur de vie des espèces

 Utilisation des isotopes du Hg pour comprendre les lieux de méthylation dans la colonne d’eau.

(Li et al., 2014)

Iles Féroé et Golfe du Mexique

Cheveux/Globicephala/espè

ces diverses de poissons Eau de mer

-Décalage de δ202Hg=1.75‰ entre les Globicephala et les cheveux de leurs consommateurs  Utilisation de la combinaison δ202Hg vs Δ199

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