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Chapitre 2. Les isotopes stables du Hg

2.2. Fractionnements isotopiques dans l’environnement

2.2.2. Etudes environnementales des isotopes du Hg

Avec une variation totale d’environ 10‰ en δ202

Hg observée jusqu’à présent dans la nature (Figure 27), le fractionnement dépendant de la masse du Hg laisse entrevoir la possibilité de tracer et d’identifier différentes sources de Hg ainsi que ces mécanismes de transfert.

Figure 27 : Amplitude du fractionnement isotopique dépendant de la masse (δ202Hg) observé dans les différentes matrices. D’après Yin et al (Yin et al., 2010).

Avec ses nombreuses réactions redox, sa tendance à former des liaisons covalentes, son cycle biologique et ses changements de phases dû à sa forme volatile, le Hg est constamment soumis à des effets cinétiques ou d’équilibres isotopiques. Les premières études environnementales des isotopes du Hg se sont rapidement retrouvées confrontées à de larges variabilités isotopiques. Par exemple, la signature isotopique des systèmes hydrothermaux varie de -4‰ à 3‰ pour δ202Hg (Sherman et al., 2009; Smith et al., 2008; Smith et al., 2005)). Alors que Sherman et al. (2009) ont conclu que de nombreux processus pouvaient engendrer des fractionnements isotopiques dans de tels systèmes (Sherman et al., 2009), Smith et al. ont identifiés que l’étape d’évaporation des fluides hydrothermaux, leur oxydation à la surface et la formation de minéraux (dont le cinabre, HgS) étaient d’importants processus de fractionnements isotopiques (Smith et al., 2005). Les isotopes légers sont préférentiellement émis dans la phase vapeur et remontent à la surface alors que les isotopes lourds restent dans la phase magmatique en profondeur. C’est ainsi qu’il a été observé des signatures isotopiques très variables dans les fluides hydrothermaux (-3.5±0.1‰ à 2.1±0.1‰, (Smith et al., 2005)) comparés aux roches de la croute terrestre (-0.6±0.2‰, (Bergquist and Blum, 2009; Smith et

55 al., 2008)). Une autre étude pionnière réalisée par Zambardi et al. (2009) a montré un fractionnement isotopique favorisant les isotopes lourds lors de l’oxydation de Hg0 en Hg2+ sur les particules et aérosols dans les fumées volcaniques (Zambardi et al., 2009).

Biswas et al. (2008) ont montré des signatures isotopiques δ202Hg allant de -2.8 à 0‰ dans les dépôts de charbon de différents pays (Biswas et al., 2008). Récemment Sun et al. ont estimé à ≈-0.4‰ la signature isotopique δ202Hg des émissions de la centrale à charbon de Huainan City (Chine) pour un charbon d’origine disposant d’une signature δ202

Hg≈-0.7‰ (Sun et al., 2013). Les lichens et mousses qui représentent de bons intégrateurs du Hg atmosphérique, ont mis en évidence des valeurs de δ202Hg très négatives allant jusqu’à -2‰ (Bergquist and Blum, 2009; Carignan et al., 2009). Les sols, sédiments et tourbes sont globalement plus négatifs avec un δ202Hg allant jusqu’à -4‰ mais présentent aussi des valeurs positives allant jusqu’à 1‰ (Biswas et al., 2008; Foucher and Hintelmann, 2006; Ghosh et al., 2008). Les chaines trophiques aquatiques, quant à elles, présentent des valeurs de δ202Hg variant de -3‰ à 2‰ (Bergquist and Blum, 2007; Gantner et al., 2009; Laffont et al., 2009). Ces valeurs de δ202

Hg dans différents maillons d’une même chaine alimentaire indiquent clairement un MDF lors de la bioaccumulation du MMHg entre 2 niveaux trophiques avec un enrichissement en isotopes lourds, le δ202Hg augmentant de 1 à 2‰ entre la proie et le prédateur (Jackson et al., 2008; Laffont et al., 2009). Par exemple, une étude menée par Laffont et al. (2009) a consisté en l’analyse des isotopes du Hg dans les cheveux d’une population et dans les poissons constituant leur principale voie d’exposition (Laffont et al., 2009). L’anomalie Δ199Hg (MIF) étant la même en moyenne que celle des poissons, Laffont et al. concluent en montrant qu’entre le poisson ingéré et l’être humain il n’y a pas de MIF mais un MDF d’environ 2 ‰ pour le δ202

Hg (Figure 28, (Laffont, 2009)).

Figure 28 : Evidence d’un fractionnement isotopique de δ202Hg=2.0±0.2‰ entre la signature isotopique d’échantillons de poissons (proies) et de cheveux (prédateurs). D’après (Laffont et al.,

2009).

L’étude de Laffont et al. (2009) est l’une des plus spectaculaires concernant l’utilisation du fractionnement dépendant de la masse du Hg. L’enrichissement en isotopes lourds correspondrait à des

56 processus liés au métabolisme de Hg dans le corps humain et apportés par la consommation de poissons. L’association des isotopes du Hg avec des traceurs écologiques comme les isotopes du carbone et de l’azote se sont révélés comme des outils très complémentaires pour étudier les sources de transfert du Hg au sein des chaines trophiques (Gantner et al., 2009; Perrot et al., 2010; Senn et al., 2010).

Malgré l’étude de Laffont et al. (2009), on peut constater que l’utilisation de la signature δ202

Hg pour faire du traçage de sources du Hg est délicate du fait du nombre de transformations et de réactions engendrant du MDF. Cette contrainte est accentuée par l’absence ou le faible nombre de mesures isotopiques dans les matrices environnementales peu concentrées en Hg (air, eau) obligeant à utiliser des proxys (lichens, mousses Hg atmosphérique, poissons) pour décrire la composition isotopique de ces compartiments. Seules quelques études très contraintes dans le nombre de réactions potentielles entre deux compartiments (exemple : proies-prédateurs ou différents organes, Chapitre 6) ont permis pour l’instant d’utiliser cette signature isotopique comme traceur de source ou de réactions métaboliques.

2.2.2.2. MIF

Pour le MIF, la variation de MIF naturelle observée jusqu’à présent est ≈10‰ (Figure 29) entre certains échantillons de neige très négatifs (≈-5‰, Alaska (Sherman et al., 2010)) et des échantillons dans certaines chaines trophiques aquatiques montrent des valeurs très positives (≈5 ‰, Lac Baïkal (Perrot et al., 2012)).

Figure 29 : Amplitude du fractionnement isotopique indépendant de la masse (Δ199Hg) observé dans différentes matrices/compartiments. D’après (Sonke, 2011).

57 Les anomalies observées chez les organismes aquatiques ont été rapidement expliquées comme étant le résultat de la réaction de la réduction/déméthylation photochimique de Hg2+ ou MMHg en Hg0 en présence de DOM dans les eaux naturelles (Bergquist and Blum, 2007; Zheng and Hintelmann, 2009). Sauf cas particuliers à la surface de la neige et en présence de groupements soufrés dans l’eau, cette réaction favorise les isotopes pairs laissant dans le compartiment aquatique un pool de Hg enrichi en isotopes impairs (voir partie 2.1.3.3.). Inversement, la photoréduction du Hg est supposée être largement responsable de la signature du Hg atmosphérique. Le Hg0 produit dans la colonne d’eau par photoréduction de Hginorganique(ou MMHg) est appauvri en 199Hg et 201Hg dû au (+)MIE (ici le symbole ‘+’ signifie l’enrichissement du MMHg ou Hg inorganique résiduel en isotopes impairs). Il porte donc une anomalie négative en Δ199Hg et Δ201Hg. Un appauvrissement en isotopes impairs (Δ199Hg allant jusqu’à -1‰) a été observé dans des bio-moniteurs de Hg atmosphériques, comme les lichens, sols, mousses ou tourbes (Carignan and Sonke, 2010; Estrade et al., 2010; Sonke, 2011). Plus récemment, des mesures de précipitations atmosphériques dans la région des Grands Lacs (USA) ont confirmé ces tendances avec des valeurs plutôt négatives allant de Δ199Hg=-0.21 à 0.06‰ (Gratz et al., 2010). Ces données sont complémentaires de celles observées dans le compartiment aquatique et suggèrent que la réduction ou déméthylation photochimique du Hg est le principal mécanisme à l’origine de l’enrichissement ou l’appauvrissement en isotopes impairs observé dans l’environnement (Sonke, 2011). Contrairement au MDF, le MIF ne semble pas affecté lors de l’assimilation/bioaccumulation/bioamplification du Hg (MMHg essentiellement) dans la chaine trophique (Kwon et al., 2012; Laffont et al., 2009). Cela permet l’utilisation de proxys biologiques (ou bio-moniteurs) pour approcher la signature isotopique du Hg dans la colonne d’eau en attendant l’émergence de techniques de préconcentrations ou analytiques précises pour l’analyse d’échantillons présentant des niveaux de concentrations ultratraces. Ces caractéristiques font du MIF un outil très robuste comme traceur de sources de Hg (Blum et al., 2013a; Senn et al., 2010). La première étude a été menée par Bergquist et Blum en 2007 conjointement à l’expérience de photo-réduction du Hg2+ et photo-déméthylation du MMHg résumée plus tôt (Bergquist and Blum, 2007). Ils ont observés dans des poissons du lac Michigan des anomalies positives Δ199Hg allant jusqu’à ≈5‰. Ces résultats sont en accord avec la photo-déméthylation du MMHg (Δ199Hg/Δ201Hg=1.28±0.03) permettant par des modèles de distillation de Rayleigh de déterminer la fraction de MMHg photo-déméthylée dans l’eau (68 ± 8%, 1SD) avant son incorporation dans la chaine trophique. Même si ce calcul représente une première approximation il représente une des premières applications montrant comment l’utilisation des isotopes du Hg permet de quantifier des flux.

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