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Tout d’abord, nous avons pu constater l’importance du lieu d’exposition concernant le discours muséal des œuvres spoliées et l’appropriation physique du lieu par la recréation du contexte historique. Pour la totalité de ces expositions qui se basaient sur ce procédé, surgissait une forte association entre la spoliation et les souffrances liées au traumatisme du génocide juif. Cette association, comme nous l’avons vu précédemment, est présente dès la fin des années 1990, mais va prendre une

ampleur nouvelle avec la notion de «fantôme», celui-ci se retrouvant en effet inséparable des biens auquel il est associé.

De plus, les expositions actuelles reflètent les efforts nationaux et internationaux effectués dans l’optique de rendre justice et de faire éclater vérité. Alors que la restitution et ses procédés juridiques permettent d’offrir une compensation monétaire légale tout en reconnaissant les souffrances liées à la Seconde Guerre mondiale, les expositions d’œuvres spoliées, par l’exactitude et la valeur des informations présentées concernant les méthodes de pillage nazies se voient par là même en tant que garantes d’une vérité historique. Ces valeurs ainsi défendues prennent une ampleur exponentielle au sein des expositions tandis que ces dernières exposent des cas majeurs de restitutions accomplies et ayant pu « faire l’événement ». Ceux-ci devenant ainsi des cas d’études au sein même de l’exposition comme à Vienne, Berlin et Francfort avec l’exemple de Scène de rue à Berlin de Kirchner ou dans le cadre d’une restitution majeure, comme celle de la collection de Jacques Goudstikker. Il s’agit également « d’exposer » au grand public les efforts des méthodes de recherche de provenance, alors que les propriétaires restent inconnus, comme dans le cas de la Hollande, du Luxembourg, ou de l’exposition des œuvres MNR à Jérusalem puis à Paris.

Ces expositions agissent en tant qu’intermédiaire entre la spoliation et la restitution et ne sont que le reflet d’un travail nécessaire et indispensable qui conduit non seulement à la réparation, mais à une meilleure compréhension du conflit qui oppose musée et héritier face à une opinion publique mitigée et souvent hostile à la restitution, nouvellement qualifiée de « Holocaust Industry 223».

Ainsi, alors que le portrait d’Adèle Bloch Bauer de Klimt quittait le musée du Belvédère à Vienne pour être restitué à l’héritière Maria Altmann, exposé puis vendu à Christie’s 224

, toute une nation semblait protester face au départ d’une œuvre quittant un 223

EIZENSTAT, Stuart E, Imperfect Justice. Looted Assets, Slave Labor, and the Unfinished Business of

World War II, New York, Public Affairs, 2003, p.339: «Critics, even in the Jewish community, charged that

the emphasis on material restitution overshadowed the human tragedy of Holocaust. Others railed against what they saw as a insidious “Holocaust industry” of lawyers and Jewish organizations profiting at the expense of victims».

224

Le portait d’Adèle Bloch-Bauer fut exposé conjointement à quatre autres œuvres de Gustave Klimt également restituées par le gouvernement autrichien à l’héritière. Il y eut une exposition intitulée Gustave

musée représentatif de la richesse de la culture viennoise. Daniel Vander Gucht, docteur en sciences sociales et enseignant à l’Université libre de Bruxelles, souligne cette récente « patrimonialisation du monde » :

De familial, le patrimoine a été progressivement élargi à ce qui appartient de droit et est transmis héréditairement à la communauté, puis à la nation, et à présent il en vient même à désigner le bien commun de l’humanité toute entière, puisque l’on parle aujourd’hui de patrimoine écologique aussi bien que de patrimoine bâti ou patrimoine génétique … 225

.

On constate ainsi que la notion de bien spolié privé tend à devenir une notion de bien public, comme le souligne également Élise Dubuc à ce sujet. Selon elle, il existe de nombreuses différences entre les notions de propriété individuelle dans le monde occidental au sein duquel les restitutions des biens juifs spoliés s’inscrivent, et les notions de propriété collective, tel que cette dernière peut le constater au sein de ses recherches sur la restitution dans les milieux autochtones. De ce fait, alors que les questions de restitution relèvent d’une décision collective en milieu autochtone226

, les biens juifs spoliés se retrouvent, bien malgré eux, au sein d’une polémique actuelle et inconcevable, dans la mesure où la restitution de ces biens ne peut être limitée. Celle-ci, comme nous pouvons le constater par les expositions actuelles, est en relation avec une reconnaissance mondiale du génocide juif et un besoin de réparation et ne peut prendre fin que par l’achèvement de la restitution ou du moins par des tentatives d’aboutir à un consensus global.

Alors qu’une polémique stigmatisant les musées renfermant encore des œuvres spoliées prenait place en France en 1997, l’exposition des œuvres MNR fut créée en parallèle au Centre Pompidou à Paris. Une remarque d’un article du journal anglais The Times rapportait les propos du Centre Simon Wiesenthal 227

, ce dernier suggérant à la France de concevoir une exposition mondiale de ces œuvres : « The Simon Wiesenthal résidence de Maria Altmann, du 4 avril au 30 juin 2006 au LACMA et du 13 juillet au 18 septembre 2006 à la Neue Gallery de New York.

225

VANDER GUCHT Daniel, Ecce homo touristicus, Identité, mémoire et patrimoine à l’ère de la

muséalisation du monde, Loverval, Éditions Labor, 2006, p.7.

226

Nous pouvons citer ici à titre d’exemple, une restitution collective importante mise en lumière par Élise Dubuc. En 2006, après quinze ans de démarches, les Indiens Haisla en Colombie-Britannique purent récupérer un totem qui fut cédé à la Suède sans leur consentement depuis 1929.

Center has called on France to send the works on a world tour to help their original owners to see them 228».

Associons cette remarque pertinente aux propos de Nehemiah Robinson, directeur de l’Institut des Affaires Juives (Institute of Jewish Affairs of the American Jewish Congress and World Jewish Congress) qui proposa très tôt, en 1944, une « solution internationale » au problème de restitution. Selon lui, il est important de faire une distinction entre des mesures « restauratrices » et « constructrices », ces dernières englobant les notions nécessaires de réparation et de construction, en réponse au génocide et à la poursuite de la vie juive dans le monde. Ainsi la notion de « réparation » permettrait une indemnisation et une restitution individuelle tandis que la seconde, de « construction », faciliterait une réparation au peuple juif, collectivement victime, qui pourrait utiliser ces biens comme nouveau départ229

.

Une nouvelle vague de mises en exposition de ces œuvres, face à une opinion publique hostile à la restitution, semble cependant liée au besoin de se souvenir une nouvelle fois et de passer à nouvelle phase qui pourrait être celle de la commémoration.