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Le contexte d’un pillage particulier : la spoliation en Hollande Entre complicité et vente

La spoliation de la galerie Goudstikker, en 1940, eu lieu au 458 Harengracht à Amsterdam, à quelques rues de la résidence du faussaire Van Meegeren, au 321 Keizersgracht, près du 263 Prinsengracht où résidait Anne Frank et sa famille. Les prémices de l’invasion nazie des Pays-Bas, du 10 au 14 mai 1940, furent déterminantes de la fuite de Jacques Goudstikker et décisives quant à la capitulation du pays à travers

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Didier Schulmann dans Tableaux d’un pillage, Temps présent. Documentaire. Reportage de Daniel Monnat. Réalisation de Bettina Hoffman; Genève, Télévision Suisse- Romande, 1998 dans LAGHDIR, Ghizlayne, La spoliation et la restitution des œuvres modernes spoliées aux marchands d’art juifs

parisiens par les nazis. Étude de cas du marchand entrepreneur Paul Rosenberg. Mémoire de Maîtrise,

l’exile de la Reine et du Gouvernement à Londres. L’invasion nazie fut rapide et l’occupation y fut vive et justifiée par les nazis par une légitimation douteuse à travers un passé commun liant les deux pays : «Holland was considered by the Nazis a Germanic region and therefore came under heavy SS and Nazi party influence 102».

La présence juive en Hollande est particulièrement importante en comparaison à d’autres pays d’Europe et la présence nazie ne fera que décimer cette population. D’après les chiffres, en mai 1940, la population de 8.9 millions d’habitants comprenait 140 000 Juifs représentant 1,6% de la population globale. Ainsi, à la fin de la guerre, on constatait 100 000 décès soit seulement 27% des Juifs ayant survécu103

.

Si l’on regarde les taux concernant la déportation, par exemple, on remarque que la France et l’Italie possèdent le taux de mortalité de la population juive le plus faible des pays d’Europe, à savoir 20 % concernant le premier et 25 % pour le deuxième. Ce taux peut être plus conséquent pour d’autres pays, dans le cas de la Pologne et des Pays-Bas par exemple, pouvant atteindre 80 % (figure 9)104

.

La raison majeure d’un taux aussi élevé réside dans le fait que la population locale, déjà profondément antisémite, puis ensuite sous le joug de l’aryanisation, développe une tendance forte à la collaboration avec l’ennemi allemand. Cette complicité aura de lourdes conséquences qui vont peser sur la balance des vies humaines. Outre cette complicité, l’occupant va également mettre en place un appareil administratif performant et charge le commissaire Hans Firschbock de mener à bien le pillage. On apprend également par Gerard Aalders, chercheur à l’Institut de documentation de guerre des Pays-Bas (NIOD) à Amsterdam, que le commissaire suivait les instructions directes d’Hitler et de Göring et « était, lui aussi, habilité à intervenir, dans le domaine économique surtout105». Il fut aidé par Seyss-Inquart ainsi

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The Holocaust in the Netherlands, David Bankier dans SUTTON, Peter. C et al. Reclaimed: Paintings

from the Collection of Jacques Goudstikker, catalogue d’exposition (Greenwich, Connecticut, Bruce

museum, 10 mai- 7 septembre 2007 et New York, Jewish Museum, 15 mars – 2 août 2009.Yale University Press, New Heaven et Londres, 2008, p.70.

103

Ibid.

104

On nous indique  70 sur notre tableau comparatif.

105

Gerard Aalders, « Le pillage aux Pays-Bas et la restitution d’après-guerre » dans GOSCHLER .C, THER .P et ANDRIEU .C, Spoliations et Restitutions des biens juifs, Europe XXe siècle, Paris, Autrement, collection Mémoires-Histoire numéro 135, 2007, p. 238.

que par Kajetan Muhlmann, un autrichien comme lui, qui était également un ami personnel du commissaire du Reich.

L’auteur nous informe d’ailleurs que c’est « le bureau Muhlmann » qui présidait au pillage des biens culturels néerlandais. Avec l’aide d’une population servile et par « … l’intermédiaire d’agents spécialisés, Hitler et Göring se livrèrent ainsi … à des achats qui relèvent indéniablement du pillage technique 106

».

Aussi, l’exposition consacrée à Jacques Goudstikker témoigne de la méthode la plus courante de spoliation en Hollande. Selon Gerald Aalders, les propriétaires d’œuvres d’art étaient soumis à des pressions dans le but d’aliéner leurs biens par une vente forcée ou un pillage technique comme avec le cas de la galerie Goudstikker. Le pillage technique correspond selon les propos de l’auteur à « un acheteur abusant de sa position de membre de la puissance d’occupation pour obliger un citoyen à vendre à un prix imposé107

».

Le pillage commença un mois après la fuite de Jacques Goudstikker alors que le Reichsmarschall Hermann Göring décida de s’emparer le 3 Juin 1940 de la galerie après en avoir forcé la vente. Deux mois suffiront pour spolier la collection complète de 1400 œuvres appartenant à Jacques Goudstikker (figure 10)108

. Selon la conservatrice et directrice députée au Yad Vashem Yehudit Shendar et le gestionnaire pour le Holocaust Art Archive and Art Collection Database Niv Goldberg, la galerie avait été laissée dans un premier temps aux bons soins de son ami l’avocat Dr. A Sternheim109. La galerie sera ensuite dirigée par l’employé Jan Dik et l’employé manager Arie Albertus ten Broek sous les ordres de Göring. Nommés directeurs de l’entreprise, ils seront payés 180 000 florins chacun dans le but de vendre toutes les œuvres d’art pour la somme de 2 millions de florins. Alois Miedl étant le bras droit du Reichsmarschall, il est autorisé à diriger la

106

Ibid.

107

Ibid., p.240.

108 La figure 10 est une photographie où l’on voit Göring souriant et sortant de la galerie Goudstikker,

devenant par là même une véritable preuve historique de ce pillage.

109

Yehudit Shendar et Niv Goldberg, “The Insatiable Pursuit of Art, The Jacques Goudstikker Collection and Nazi Art Looting”, dans SUTTON, Peter. C et al. op. cit., p.35 . Toutefois, ce dernier n’a pas eu le temps d’assurer cette fonction. Il meurt le 10 juin, le jour de l’invasion nazie en Hollande, d’une crise cardiaque après une chute en bicyclette.

galerie sous le nom de Jacques Goudstikker pour la somme de 550 000 florins, cette somme ne représentant qu’une fraction de la valeur réelle de la collection110.

De plus, des papiers furent signés de force à Émilie, la mère de Jacques Goudstikker, afin de permettre une assise « légale» au contrat de vente. Nous savons également que la vente forcée est une manière typique de procéder du régime nazi : «The Nazi art deprivations show a remarkable (and perhaps unique) bureaucratic and legal meticulousness on the part of the authorities 111

». De plus, nous pouvons de nos jours constater l’ampleur de cette bureaucratie particulièrement méticuleuse: «This obsession with paper work and legal nicety (particularly the fabrication of voluntary transactions), can hamper the tracing of works and operate favourably for those who bought and sold them after the war112

».

Selon l’auteure et journaliste Lynn H. Nicholas «les nazis ressentaient un besoin tout particulier de donner à leur pillage des assises juridiques et les millions de documents qu’ils ont laissé montrent qu’ils étaient prêts à recourir pour cela aux explications les plus longues et les plus complexes113

». Göring avait délibérément prit pour cible la galerie Goudstikker, en ayant préparé par avance sa visite en Hollande où il avait par ailleurs quelques connaissances, permettant ainsi d’évincer d’éventuels concurrents. Nous pouvons relever son empressement à travers une déclaration d’Hans Poss, le directeur nommé par Hitler du Musée de Linz, le confirmant: «He (Göring) was eager to see for himself the treasures of the Jew Goudstikker, hastening to the address before anyone else could beat him 114

».

Très tôt dès 1930, les Juifs hollandais, soucieux d’une occupation allemande imminente, pensent à fuir115

. Comme beaucoup de collectionneurs à cette période, Goudstikker envoie en prévision des œuvres en Angleterre et transfère des fonds à

110

Rappelons qu’en 1939, 1$ = 1, 90 FL Source : NICHOLAS, Lynn H, Le pillage de l’Europe, Paris, Seuil, 1995, p.509, Notes.

111

PALMER, Norman, Museums and The Holocaust, Londres, Institute of Art and Law, 2000, p.4.

112

Ibid.

113 Pillages et restitutions, le destin des œuvres d’art sorties de France pendant la Seconde Guerre

mondiale, actes du colloque organisé par la direction des musées de France le 17 novembre 1996, Paris,

Ministère de la culture et Éditions Adam Biro, 1997, Lynn H. Nicholas, p.52.

114

SUTTON, Peter. C et al. Reclaimed. Paintings from the Collection of Jacques Goudstikker, Yale University Press, New Heaven et Londres, 2008, note 52.

115

New York. Pendant ce temps là, toute la famille Goudstikker se prépare à fuir en direction de l’Angleterre, composée de Désirée, devenue l’épouse de Jacques Goudstikker depuis leur rencontre en 1937, et leur fils Edouard116

. Ils prévoient de rejoindre la ville de Liverpool afin d’atteindre la côte anglaise par bateau suite à l’annulation de leur voyage en direction des États-Unis. En effet, les nazis empêchèrent Jacques Goudstikker de se rendre au consulat américain pour obtenir son visa d’entrée.

C’est donc dans la nuit du 15 au 16 mai 1940, où il ne trouva pas le sommeil à bord du Bodengraven, que Jacques Goudstikker décida de faire une promenade nocturne et fit une chute accidentelle à travers une écoutille ouverte, celle-ci lui coûtant la vie117

. Le corps fut enterré à Falmouth tandis que Désirée, n’étant pas autorisée à rester, continua de fuir avec leur fils jusqu’à Liverpool. Après l’obtention d’un visa à la maison du Canada, Désirée Goudstikker « sans quitter les gilets de sauvetage ni de jour ni de nuit », entreprit un second voyage en mer pénible et périlleux afin de rejoindre le Canada puis les États- Unis118

.