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Le dernier acte: présentation du dernier hommage, la restitution, à travers les recherches sur

Le Blackbook est le carnet d’inventaire tapuscrit des œuvres appartenant au collectionneur et fut présenté au milieu de la quatrième salle dans une vitrine (figures 19

et 20). Alors qu’il est exposé à mi-parcours de la visite au Jewish Museum, il est disposé

conjointement avec le portrait de Jacques Goudstikker au Bruce Museum (figure 17). Au Jewish Museum, il est celui que le public averti venait admirer en étant également représenté de façon interactive à la fin de l’exposition dans la salle dédiée à la restitution de la collection et des recherches sur la provenance.

Incarnant une certaine forme de sacralité à l’exposition en devenant l’un des seuls objets découvert sur le corps sans vie de Jacques Goudstikker, le carnet cohabite néanmoins avec son alter ego interactif disponible à la libre consultation148

. La représentation minutieusement détaillée de ce répertoire permet de retrouver chaque tableau en un seul «clic» en tournant les pages virtuelles du bout du doigt149

.

Le carnet tapuscrit, ne comportant aucune illustration, présente des colonnes avec le titre des œuvres, leur dimension, la date de vente, le prix payé pour chacune d’elle et des codes (R pour Rembrandt, Raphaël, D pour Donatello ou Van Dyck), répertorie les 1113 œuvres laissées à la galerie Harengracht d’Amsterdam.

L’exposition, par l’ajout d’un panneau explicatif reprenant l’essai de Clemens Toussaint : «How To Find One Thousand Paintings – The fate of Jacques Goudstikker’s looted art collection150

» et le Blackbook, dévoile au public l’étendue des recherches de provenance. Nous découvrons à travers l’exposition l’importance d’une bonne enquête et comme l’affirme Clemens Toussaint au sujet de cette méthode: «Sherlock Holmes’s

148

Se situant à hauteur du visage d’un adulte il n’était alors pas adapté pour un public enfant.

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Disponible sur le site du Jewish Museum et peut être consulté en ligne à tout moment. http://www.goudstikkerblackbook.info/ : consulté en mars 2009.

150

Strategy: When you have eliminated the impossible, whatever remains, however improbable, must be the truth151».

Par exemple, c’est par l’utilisation de rayons x que certains indices concernant un tableau sont révélés au grand jour, comme avec le cas de L’adoration des bergers de Joachim Beuckelaer (1564). Un autre cas présenté sur le panneau explicatif démontre combien les principales informations sont visibles au dos du tableau, prenant pour exemple une étiquette de la galerie de Jacques Goudstikker appliquée derrière Nature morte avec fleurs de Rachel Ruysch (1690), maître féminin de la peinture hollandaise. L’œuvre, découverte dans un musée de Dresde, fut rendue sans autre forme de procès.

Un second outil de recherche inestimable, composé de données photographiques, fut indispensable au projet de recherche sur la provenance. En effet, selon Clemens Toussaint, Goudstikker fut régulièrement en lien avec le Rijksbureau voor Kunsthistorische Documentarie (RKD) qui est un bureau d’archives renfermant de nombreuses et précieuses ressources. L’auteur ne manque pas de préciser : « With its more than six million photographs, reproductions, and transparencies, the picture archive at the RKD is the largest collection of visual art historical material in the world 152

». Selon lui, l’étroite collaboration entretenue avec ce bureau d’archives documentaires fondé par Cornelis Hofstede de Groot, grâce à la donation de Frits Lugt, tous deux historiens de l’art, permis à Goudstikker de faire don d’un grand nombre de photographies de tableaux en offrant les négatifs en verre nécessaires pour leur impression.

Ces archives ont permis à l’équipe de recherche de retracer un nombre important de tableaux, dont une toile de Dirck Hals exposée au Kunstmuseum de Düsseldorf et restituée à Marei von Saher en 2006. De plus ces photographies, associées aux nombreuses œuvres spoliées par Göring actuellement introuvables, présentent l’avantage de retracer des œuvres sur tous les continents. Citons l’auteur une dernière fois à ce sujet : « [...] the Goudstikker research team has been able to locate many of the looted

151

Ibid., p.66.

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works, not only in Central Europe and North America, but also in places as far away as South Africa, the Caribbean, Israel, and Russia 153».

Pour conclure, le jour de ma visite de l’exposition, au Jewish Museum le dimanche 15 mars 2009, je constatais que le public était majoritairement juif, de par le port de la kippa concernant de nombreux visiteurs.

La fondation du Jewish Museum dans une ancienne résidence juive, favorisant une diffusion de la culture juive moderne, était particulièrement notable. Tout d’abord, une pancarte nous informait que l’écran tactile du Blackbook ne fonctionnait le samedi, jour du Shabbat. Puis, nous pouvions remarquer la marque d’une ancienne occupation juive, à savoir la présence de « mezuzot » , le pluriel de « mezuzah »

(figures 21 et 22). Une mezuzah est un rouleau de parchemin comportant des prières

inséré dans un étui et fixé au linteau des portes d'un lieu d'habitation permanente, des synagogues et l’entrée de chaque pièce de cette habitation154

. Au Jewish Museum, on constatait la présence de mezuzot d’une salle à l’autre devenant de ce fait une succession de pièces sacrées.

153

Ibid.

154

La tradition juive veut que l’on touche la mezuzah à l’entrée du lieu d’habitation tout en portant, dans un second temps, un baiser à sa main. Une mezuzah apposée à l’entrée d’une habitation participe à la sacralité du lieu.

CHAPITRE 3 : La réception des expositions actuelles (2005-2009), vers une

nouvelle phase de la mise en exposition d’œuvres spoliées?

World War II never ended. It is still very much with us. Dan Diner

Les expositions d’œuvres spoliées, comme nous allons le constater plus loin dans ce mémoire, sont au cœur de notre actualité. Elles permettent, entre autre, de témoigner de la spoliation et de la restitution et de mettre en lumière les efforts gouvernementaux et nationaux dans la restitution des œuvres tout en illustrant une période noire de l’Histoire de l’Europe qui fit plus de six millions de victimes.

Le pillage artistique prenant place durant la Seconde Guerre mondiale fait suite au processus d’aryanisation instauré plus tôt et fait partie intégrante du processus d’extermination. Comme le souligne très justement Fabrice D’Almeida, dont les propos sont rapportés par André Gob, la spoliation apparaît comme une étape à suivre, un tremplin vers la poursuite du génocide juif: « processus qui s’articule en trois phases que Fabrice D’Almeida résume par « éviction-spoliation-extermination 155

».

Nous aborderons plus en détail les différentes expositions, celles-ci s’élevant au nombre de six, présentant des œuvres spoliées et prenant place en Europe entre 2005 et 2009. Elle semblent marquer une nouvelle étape de la mise en exposition de ces œuvres, une réminiscence du trauma lié à la Seconde Guerre mondiale, que Dan Diner, nous le verrons, qualifie de mémoire retrouvée en Europe, que nous associons à une prise de conscience liée à l’importance d’une poursuite active des recherches de propriétaires.

À ce propos, Jonathan Petropoulos, auteur et professeur d’Histoire européenne au Claremont McKenna College de Caroline du Sud, s’interroge sur la quantité d’œuvres spoliées qui restent sans propriétaires. Pour cela, il établit un décompte en se basant sur les 650 000 œuvres qui furent spoliées par l’Allemagne entre 1933 et 1945. Il soustrait 155

GOB, André, Des musées au –dessus de tout soupçon, Paris, Armand Colin, 2007, p.134.

L’auteur ici aborde la naissance de l’aryanisation des biens juifs qui « trouve son origine dans un décret du 12 novembre 1938, décidé lors de la réunion présidée par Hermann Göring, qui fait suite à la Nuit de Cristal ». C’est ce processus qui « s’inscrit dans un processus d’agressivité croissante envers la population allemande d’origine juive » qui sera à l’initiative des nombreuses répressions afin d’isoler, de disperser et d’assassiner la population juive d’Europe.

dans un premier temps les 250 000 œuvres qui furent directement restituées par les Américains via le Central Collecting Point de Munich. Sur les 300 000 restantes, il faut soustraire 200 000 oeuvres qui sont encore stockées par les Russes. L’auteur tient ensuite compte des œuvres MNR conservées par la France qui sont au nombre de 2058 dont 1000 peintures. Enfin, l’auteur souligne l’importance de tenir compte des 1532 œuvres qui sont toujours détenues en Allemagne et sur ce nombre, 1076 sont toujours accrochées dans les musées, dans les bureaux du gouvernement ou les ambassades qui proviennent des collections d’Hitler, de Göring et même de Bormann, le secrétaire particulier d’Hitler156

.

Norman Palmer, dans ce même ouvrage, rapporte les propos du directeur du MOMA qui affirme que la plupart des musées exposent régulièrement des œuvres spoliées et une étude concentrée sur 225 catalogues a révélé la présence de 1700 œuvres spoliées. Au regard de ces données, nous soulignons la présence encore trop importante d’œuvres spoliées au musée et cette préoccupation soulève de nombreuses interrogations qui sont au cœur des colloques accompagnant les expositions.

Puisque notre mémoire porte sur la mise en exposition de ces œuvres en particulier, il est de notre devoir ici de nous interroger sur le type d’œuvre particulier mis en exposition. Tout d’abord, de quelles œuvres parlons-nous? S’agit-il d’œuvres restituées ou en attente de restitution? Ainsi, alors que nous tenterons de définir les caractéristiques muséales actuelles des expositions, au XXIe siècle, nous porterons un regard aux périodes établies par nos deux auteures de référence, Claire Andrieu et Reesa Greenberg afin de poursuivre une réflexion chronologique. Ces deux auteures majeures ont procédé à une périodisation de la spoliation, la restitution et l’exposition selon des bases différentes prenant fin en 2003 pour la première et 2004 pour la seconde. Pour notre part, notre champ d’étude couvrira la mise en expositions d’œuvres spoliées de 2005 à 2009.

156

Jonathan Petropoulos dans PALMER, Norman, Museums and the Holocaust, Londres, Institute of Art and Law, 2000, p.12, note 68.

3.1 La mémoire retrouvée et la reconstruction d’une identité européenne autour de