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Chapitre 1 – Etat de l’Art

IV. Impact de l’Esca sur l’anatomie et la physiologie de la vigne

IV.1. Particularités anatomiques de la vigne

La vigne est une plante ligneuse dont le système de défense est similaire à celui employé par les arbres. Néanmoins, afin d’optimiser le transport de l’eau, et de limiter les phénomènes de cavitation induisant des embolies vasculaires, la vigne présente des adaptations fonctionnelles qui lui sont propres [209]. A titre d’exemple, le potentiel hydrique

racinaire de la vigne, supérieur (moins négatif) à celui mesuré sur arbre, permet de limiter la formation d’embolies vasculaires, par la dissolution progressive des gaz dans l’eau transportée par les vaisseaux [210]. L’état sanitaire d’un végétal ligneux dépend principalement de sa capacité à maintenir un cambium sain [211]. Le cambium correspond à une couche de cellules méristématiques dont les divisions forment le xylème secondaire et le phloème. La croissance du phloème est centrifuge, contrairement à celle du xylème. La couche de tissu la plus âgée se retrouve donc progressivement en périphérie du tronc jusqu’à être dégradée et participer à la formation de l’écorce [212]. Chaque année, une nouvelle couche tissulaire de xylème secondaire et de phloème est générée. Le cambium est donc un tissu clé, assurant le développement annuel de nouveaux tissus vasculaires et la régénération des différentes couches composant le tronc des ceps [204].

IV.1.2. Le modèle CODIT : compartimentation de la pourriture dans le tronc

En réponse à une agression par des agents pathogènes, la plante met généralement en place un mécanisme de défense complexe afin de limiter leur progression. Celui-ci consiste en une série de modifications anatomiques se traduisant par la formation de compartiments étanches qui isolent la zone atteinte [213]. Différents modèles ont été suggérés afin d’expliquer le phénomène de résistance mis en place au niveau du tronc ou du bois des plantes ligneuses : le modèle de la restriction micro-environnementale [214], le modèle « zone de réaction » [208] et le CODIT (Compartmentalization Of Decay In Tree) [213].

Concernant les espèces ligneuses, le modèle CODIT permet d’expliquer les mécanismes sous-jacents à l’apparition de blessures comme la mise en place de nouveaux tissus cicatriciels et le cloisonnement des zones infectées par des agents pathogènes vasculaires. En effet, la compartimentation correspond à la mise en place de barrières non spécifiques, permettant de limiter la progression des pathogènes vasculaire et de préserver le cambium. Cependant, le parenchyme axial formé lors de la cicatrisation des plaies ne constitue pas un tissu vasculaire per se. Ainsi le remplacement du xylème par ces barrières parenchymateuses non hydro-actives pourrait accentuer la sensibilité au stress hydrique des ceps ayant une forte proportion de bois infecté [211]. Dans leur modèle CODIT, ces auteurs décrivent quatre types de barrières dont les trois premières servent à restreindre la progression des microorganismes dans le bois présent au moment de la blessure.

Les barrières du modèle CODIT (Fig 7) se mettent en place en deux étapes :

1. la formation des barrières de type 1, 2 et 3 dans le bois directement affecté par une blessure. Ces barrières constituent des zones de réactions, caractérisées par de nombreux échanges chimiques conduisant à l’accumulation de subérine, d’eau, de composés antifongiques ou de polyphénols ;

2. la formation d’une barrière de type 4 par le cambium vasculaire.

Figure 7: Modèle CODIT montrant l'emplacement des quatre murs dans le bois.

(Adapté de Shigo et Marx 1977).

Le rôle de chacune des 4 barrières est le suivant :

- La première barrière est constituée de gomme, de pectine, de callose et de

thylles servant à l’occlusion des vaisseaux et à l’isolement vertical des microorganismes pathogènes afin de limiter leur progression. Ce premier mur discontinu, constitue la plus faible des barrières.

localisées autour de la moelle. Cette barrière est continue sur toute la longueur de la vigne et limite l’expansion radiale des microorganismes.

- La troisième barrière, plus hermétique que les deux précédente mais pouvant

présenter des discontinuités, est constituée de faisceaux ligneux, tissus vivants du bois, qui peuvent déclencher des réactions de défense de la plante. Cette barrière permet de limiter le développement latéral des agents pathogènes.

- La quatrième barrière, la plus sélective et la plus importante, consiste en une

zone de barrage formée par le cambium vasculaire après chaque blessure infligée au bois de la vigne. Cette barrière isole le bois attaqué de celui qui sera formé par la suite et empêche la progression des champignons. La différenciation du cambium vasculaire en parenchyme formant la barrière de type 4 dépend de la taille de la blessure, de son type et des conditions climatiques [213]. Dans la littérature ce tissu, désigné sous le terme de périderme nécrophylactique [216] est capable de protéger les tissus sains des tissus infectés jusqu’à l’année n + 1 après l’infection.

L’observation macroscopique du phénomène de compartimentation de l’infection est décrite comme aspécifique aux agents pathogènes colonisant les plaies [217]. Néanmoins, l’évolution des défenses induites chez les plantes génère des interactions hôte-pathogène spécifiques [218]. Par conséquent la description générale de la mise en place de la compartimentation par le modèle CODIT appliqué à la vigne pourrait intégrer un certain niveau de spécificité. Chez les gymnospermes, la contamination d’une plaie par un agent pathogène retarde la mise en place du périderme nécrophylactique et réduit l’intensité de la subérisation des tissus [219–221]. Clarifier le niveau de spécificité de la réponse du bois face à l’infection est un élément clé à considérer pour comprendre le rôle de chaque agent impliqué dans le pathosystème complexe que représente l’Esca [4]. La production de gomme, associée à la barrière 1 du CODIT a été observée en réponse à l’Esca [222] dans les tiges et les racines. Par ailleurs, certains auteurs ont montré que l’inoculation de Pmin et de Pch entraîne une obstruction des vaisseaux des racines, des tiges ou du cep entier par des thylles, également associés à la barrière 1 du CODIT [96,186]. Toutefois, l’observation de coupes histologiques issues de plaies de vignes infectées par Pch ou Pmin est différente [142,223], ce qui pourrait confirmer l’hypothèse d’un mécanisme de compartimentation spécifique en

fonction de l’agent pathogène colonisateur.

La formation de ces barrières représente un coût énergétique substantiel pour la plante. Ainsi, la multiplication des zones lésées par les nécroses impacte le fonctionnement vasculaire du cep. Cela peut entraîner un affaiblissement généralisé de la plante qui devient alors incapable de se défendre efficacement contre les champignons pathogènes.

IV.2. Complication pathologique : dysfonctionnements vasculaires causés