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CHAPITRE 5- INTERVENTIONS : MISE EN ŒUVRE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET

5.2. Intervention de l’État : mise en œuvre du plan NREGA

5.2.3. a Participation locale

À Givas, le taux de participation aux travaux dans le cadre du NREGA varie selon les communautés. Les trois quarts (76%) des foyers comportent au moins un membre qui travaille sur le site du NREGA. Chez les fermiers marginaux à semi-moyens, cette proportion s’élève à









193 Les raisons pour lesquelles les états n’arrivent pas à fournir les 100 jours de travail demeurent peu étudiées.

Drèze et Khera (2009) réfèrent aux « substantial ‘leakages’ in NREGA expenditure » – suggérant que les fonctionnaires corrompus s’emparent d’une partie des fonds, ce qui engendre inévitablement l’arrêt des travaux. Pour leur part, Mukherjee et Ghosh (2009) ont effectué une enquête sur le sujet dans l’État de West Bengal. Leur investigation révèle que le manque de fonds n’est pas le problème en question : il s’agit plutôt du manque de compétences spécialisées (en termes de ressources humaines et techniques) du panchayat – qui s’occupe du fonctionnement du chantier. Ainsi, lorsque les travaux plus simples comme le creusage d’étang et la construction de route sont complétés, le manque d’expertise pour déployer de nouveaux projets engendre souvent l’impossibilité de fournir de l’emploi.

150 75% et chez les fermiers moyens à grands à 69%. Tout comme la classe agraire, la migration ne semble pas être un facteur décisif quant au recours ou non au programme NREGA puisque 71% des foyers où il n’y a pas de migration travaillent sur le site, taux qui s’élève à 79% chez les foyers où il y a des personnes qui migrent.

Par contre, la caste s’avère un critère de différenciation. En effet, selon les données recueillies à Givas, toutes classes de fermiers confondues, le taux de participation est de 88% pour les Jats, 67% pour les Bhils et 55% pour les Bishnois194. Chez ces communautés, la possession agraire semble constituer un facteur décisif. En effet, chez les Jats, tous les ménages de petits à moyens fermiers travaillent sur le site NREGA alors que cette proportion est de 81% chez ceux de classe moyenne à grande. Cette différence est par ailleurs beaucoup plus éloquente chez les fermiers Bishnois : parmi ceux-ci, 67%195 des ménages de fermiers marginaux à semi-moyens travaillent sur le site NREGA, alors que ce taux est de 40% chez les ménages de moyens à grands fermiers. Ainsi, chez les Bishnois (et dans une moindre mesure chez les Jats), plus les ménages sont bien nantis, moins les femmes participent au programme d’emploi local.

La sanskritisation peut apporter un éclairage sur ce phénomène. Terme rendu populaire par le sociologue indien M.N. Srinavas dans les années 1950,196 la sanskritisation désigne le processus par lequel les castes dépréciées cherchent une mobilité ascendante en émulant les rituels et les pratiques des castes supérieures ou dominantes. Selon l’anthropologue Gerald D. Berreman (1993), spécialiste des questions de justice sociale et dont les recherches portent sur le nord de l’Inde, la sanskritisation est une source d'oppression des femmes, puisque l'émulation des castes supérieures se fait à leur détriment197. Par ailleurs, Sharma (1980:116) – sans pour autant référer au processus de sanskritisation – remarque que l’ascension économique de certains paysans en









194 Pour les mêmes raisons que celles évoquées dans le chapitre 1, les données concernant les Bhils ont peu de

robustesse statistique. Par conséquent, les précisions analytiques ne portent que sur les Bishnois et les Jats.

195 Parmi ces familles de propriétaires marginaux à moyens, deux femmes ont dit ne pas travailler sur le site

NREGA pour des motifs familiaux : une a un poupon de seulement trois semaines, alors que l’autre à six enfants en bas âge.

196 Selon Jaffrelot (2005:33), Ambedkar aurait déjà avancé 40 ans avant Srinivas la base du concept du

processus de sankritisation.

197 Selon Berreman (1993:388), la sanskritisation est particulièrement préjudiciable pour les femmes parce

qu’elle encourage et renforce la patrilinéarité, la patrilocalité, les mariages précoces, le célibat des veuves, la limitation du divorce à l’initiative des hommes, le mariage avec dot, le favoritisme envers les garçons, l'appropriation masculine de la quasi-totalité des biens (en particulier les propriétés productives), la faible priorité pour l’éducation des filles, de même que pour leur santé, la limitation du pouvoir d’accumuler des gains aux hommes, l’isolement et la séquestration des femmes de même que leur exploitation sexuelle, la limitation de la mobilité sociale et physique en grande partie aux hommes et la dépendance économique, politique et sociale complète aux hommes.

Inde – résultant d’améliorations techniques – s’accompagne souvent d’un retrait des femmes de l’agriculture. Ainsi, suivant l’analyse de Berreman, puisque le travail des femmes est déprécié par les castes supérieures, les foyers qui améliorent leur situation économique en profitent pour tenter de faire évoluer positivement leur statut social en retirant les femmes du marché du travail ou en les empêchant de travailler. À la lumière de l’ensemble de ces observations, il est donc possible que la participation moins importante au programme de travail NREGA chez les ménages Bishnois (et encore une fois dans une moindre mesure chez les ménages Jats) mieux nantis s’inscrit, je le suggère, dans une idéologie de sanskritisation – et non strictement parce que ces familles n’ont pas besoin de ce revenu supplémentaire. En effet, les maisonnées Bishnois qui ont une situation économique supérieure à la majorité des membres de la communauté ne profitent pas du gain « facile » que constitue le NREGA198, car permettre aux femmes d’y travailler serait « affaiblir » leur statut social au sein de la communauté.