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CHAPITRE 1- CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE

1.3. Développement et gestion des ressources naturelles

1.4.3. c Associations et neutralité

Dans le cadre de l’analyse de problématiques socio-environnementales, Little (2007) soutient que l’enquête de terrain peut permettre de détecter des conflits latents. Puisque ceux-ci ne sont pas déjà politiquement manifestes dans la sphère publique formelle – souvent parce que le groupe social impliqué est marginalisé au plan politique, ou invisible au regard l’État – le chercheur qui tente de déceler ces conflits doit identifier les principaux acteurs sociaux impliqués. Il doit ensuite établir un dialogue avec ceux-ci, en prenant soin de ne pas supporter une partie du conflit. Dans le cadre de mes recherches de terrain, j’ai, après un certain temps, réalisé qu’il y avait des tensions à Givas au niveau de l’accès à des programmes de développement mis en place par Water Agency – point qui sera traité dans le chapitre 5. Cependant, je souhaite souligner que j’habitais avec une famille qui entretient d’étroites relations avec cette ONG et dont un des membres est actif au sein du comité de l’eau du village. Inévitablement, les gens croyaient que je menais une enquête pour cette ONG, et Arvind devait sans cesse rectifier les faits. Comme je le démontrerai, cette association n’a toutefois pas empêché les gens d’exprimer leur opinion sur le comité de l’eau du village mis en place par l’ONG. Néanmoins, il est clair que considérant ces tensions communautaires et ma propre situation, mes répondants pouvaient facilement douter de ma neutralité. Si j’ai pu obtenir des informations du point de vue de plusieurs des partis impliqués dans ces conflits, cette association a probablement, à certains niveaux, limité les connaissances que j’ai pu acquérir32.

De plus, sur le plan des relations entre les membres des diverses castes de la communauté, il est probable que le fait d’habiter chez un groupe (dans ce cas-ci les Bishnois) plutôt qu’un autre ait pu, dans certaines circonstances, limiter les données que j’ai amassées. Ceci ne posait relativement pas de problèmes lorsque je conduisais des entrevues chez les foyers Jats, car ces deux groupes semblaient – dans le contexte de Givas du moins – entretenir de bonnes relations. Par ailleurs, il est possible que ceci ait contribué aux difficultés que j’ai rencontrées au niveau des foyers Sen, où comme je l’ai expliqué plus tôt, je n’ai pas pu effectuer d’entrevues33.









32 Il est toutefois pertinent de préciser que ce ne sont pas tous les gens qui sont au courant qu’il y a un comité

de l’eau dans le village – j’y reviendrai dans le chapitre 5 –, ni tous les gens qui me demandaient chez qui j’habitais dans le village.

33 En effet, le dhani Sen est situé tout près des dhanis Bishnoi, et bien que je n’aie aucune information pour

confirmer cette hypothèse, il est possible qu’il y ait des tensions entre les deux communautés, par exemple au niveau de l’accès aux terres.

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C

ONCLUSION

Le paysage du Marwar n’est pas isolé, mais teinté par les forces de la mondialisation. À travers la circulation d’idéologies de développement, celles-ci agissent par le biais des ressources naturelles sur les communautés locales, qui elles-mêmes ont une perception de ces ressources. Ceci engendre la création d’une relation dialectique entre les agents sociaux et leur contexte : le contexte altère les agents sociaux et ceux-ci altèrent le contexte. Ce dialogue n’est cependant pas empreint d’égalité, car ces forces extrinsèques ont le pouvoir d’altérer profondément le contexte local. Là repose l’intention première de cette investigation : analyser le déploiement de ces forces périphériques sur le paysage du Marwar et comprendre quels en sont les effets sur l’environnement et les populations locales.

La présente démarche analytique est supportée par un cadre conceptuel qui permet de systématiser ces dynamiques afin de mieux les déchiffrer. Pour ce faire, je propose d’avoir recours aux perspectives de l’anthropologie de l’environnement, en particulier de l’écologie politique. Cette analyse se démarque cependant des premières études de l’anthropologie de l’environnement : en effet, le paysage du Marwar n’est pas envisagé comme un huis clos homéostasique, mais plutôt comme étant teinté de contraintes sociales, culturelles, politiques et économiques, dont la diversité des origines – régionales, nationales ou mondiales – implique des définitions et conceptualisations multiples de ce lieu. Je traite donc ici d’un panorama social où la nature et l’humain entretiennent une relation dialogique. Ce paysage agraire a également un caractère phénoménologique, puisqu’il permet à l’identité du fermier de se réaliser : toutefois, le contexte actuel de crise environnementale et agraire contribue également à son altération au plan métaphysique.

Afin d’envisager les forces externes qui agissent sur le paysage du Marwar, le développement est abordé comme un système configurant qui transforme les circonstances environnementales locales. L’influence de ce système a été facilitée par le fait que l’ancrage de son idéologie est supporté par une professionnalisation et une institutionnalisation qui est appuyée par un ensemble de techniques, stratégies et pratiques disciplinaires. L’appareillage du développement a donc permis, comme je le démontrerai, à la reconfiguration socio-environnementale du Marwar de s’effectuer en éliminant toute question liée aux sphères politiques et culturelles – ou en dépolitisant les particularités locales (Ferguson, 1994) – et en les reformulant selon les termes du domaine apparemment plus neutre de la science (voir Escobar, 1995:45).

À cet égard, le concept de nature permet d’approfondir la compréhension des éléments environnementaux du Marwar et les effets des conceptualisations dichotomiques entre la nature et la société. En particulier à travers les interventions de développement, les ressources naturelles du Marwar sont redéfinies selon des intérêts scientifiques, bureaucratiques et économiques. Ces ressources sont considérées comme des éléments isolés de leur contexte social. Les planificateurs de développement attendent d’elles un certain degré de performance en vue de l’atteinte d’objectifs nationaux et internationaux, et ce sans considération pour l’historicité de la gestion de ces ressources naturelles et les arrangements dont elles faisaient jadis état. Pourtant, nous verrons comment c’est ce même passé « imaginé » qu’on tentera de faire revivre à l’intérieur de projets qui sont articulés autour de concepts non questionnés, ou de boîtes noires, telles les notions de traditions et de communauté.

Enfin, les concepts liés à la théorie de l’action de Bourdieu permettront également de réfléchir à la capacité d’action des acteurs qui occupent l’environnement du Marwar et aux contraintes auxquelles ils sont soumis. En effet, si les forces structurelles ont un impact sur l’environnement local, les acteurs eux-mêmes attribuent des valeurs et représentations à ces ressources naturelles, et celles-ci peuvent être à l’origine de relations conflictuelles au sein des communautés. La conceptualisation des acteurs locaux permettra enfin de réfléchir aux effets des transformations environnementales sur la population locale, lesquels varient inévitablement selon des critères de classe et de genre.

Afin de mieux comprendre la situation socio-environnementale actuelle du lieu à l’étude, débutons d’abord par l’analyse des processus postindépendance qui ont contribué à former le paysage contemporain de la région du Marwar.