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III) Parents « non francophones »

3) Parents en exil

« Les parents ont pu mettre des mots sur leur souffrance, leur grande solitude et leurs difficultés à être parents en exil » (Multilinguisme et orthophonie, 2014, p170).

Être parent dans un autre pays que le sien, sans les repères connus, sur lesquels nous nous sommes construits, qu'est-ce que cela entraîne ? Qu'est-ce que cela veut dire ?

Tout d'abord, comme nous l'avons évoqué précédemment, ces parents vivent, ont vécu une rupture.

Ainsi certains parents sont dans un processus de « grande fragilisation du tissu relationnel, de dissociation du lien, qui peut mener à l'isolement social » (Pourtois Jean-Pierre et al.,

«Souffrances affectives, cognitives et sociales des parents en exil », 2004, p52).

En l'absence de communauté de même origine notamment, ces parents sont susceptibles d'être plus isolés, plus fragiles sur le plan social.

Cette fragilité peut avoir des conséquences sur l'ensemble de la vie et des relations de ces individus.

Les enfants, de leur côté, par l'école en particulier, sont plus facilement intégrés, apprennent plus facilement la langue du pays d'accueil et ne ressentent sûrement pas cet isolement de la même manière.

Mais du coup, parents et enfants ne vivent pas les mêmes réalités et « l'attachement parents-enfants est souvent mis en péril par la migration. Les parents, dont les parents-enfants sont nés dans le pays d'accueil ou y sont arrivés très jeunes, peuvent éprouver des difficultés à reconnaître leurs enfants, à se reconnaître dans ceux-ci » (Pourtois Jean-Pierre et al., «Souffrances affectives, cognitives et sociales des parents en exil », 2004, p52).

Les enfants maîtrisent souvent mieux les codes (langue et fonctionnement de la société) du pays d'accueil que leurs parents, ce qui a tendance à instaurer une sorte de distance entre eux, et à les rendre comme étrangers les uns aux autres.

Les liens parents-enfants peuvent donc se trouver fragilisés, empreints d'une certaine distance ou d'une incompréhension.

Ceci nous semble justifier d'autant plus une attention particulière dans l'accompagnement familial.

Par ailleurs, selon N. Méryglod et V. Colin (Rhizome n°37, décembre 2009, p1) « Pour les parents [en exil], toute une panoplie de sentiments négatifs, tels la honte, la culpabilité ou les interdits de penser joue » dans leur manière d'être parents.

La culpabilité semble en effet être un sentiment très présent chez de nombreux parents en exil. Les conditions de départ du pays d'origine mais aussi d'arrivée dans le pays d'accueil et les difficultés rencontrées au quotidien, que ce soit celui des parents ou / et des enfants jouent certainement un rôle important dans l'émergence de ce sentiment.

D'une part parce que la famille peut avoir quitté le pays d'origine dans des conditions difficiles, à cause de l'activité politique ou de l'absence d'activité professionnelle du parent. Mais d'autre part aussi parce que la famille se trouve dans une situation précaire (du fait de la non

connaissance du système de fonctionnement culturel et / ou social du pays d'accueil) et que les parents ne peuvent pas offrir à leurs enfants les mêmes choses que les parents français, ni celles qu'ils auraient peut-être souhaité leur offrir dans d'autres conditions.

Pourtant d'autres parents dans la même situation ne semblent pas éprouver ce sentiment et se trouvent même dans un déni de la souffrance de leurs enfants.

Mais ceci correspond généralement à une manière d'éviter leur propre culpabilité et donc de se protéger : ils se disent que les enfants auront une meilleure vie en France et ne voient que cela.

Ainsi le déni de la souffrance des enfants (et probablement de la leur propre) ne correspond pas à l'absence de sentiment de culpabilité des parents ; nous pensons qu'elle est présente de manière plus ou moins consciente ou sous-jacente chez tous les parents.

Ces données nous semblent importantes dans le sens où il nous paraît intéressant de voir ce que les orthophonistes perçoivent de ces liens parent-enfants, des sentiments parentaux évoqués ci-dessus, et de leurs conséquences éventuelles dans l'intervention orthophonique. En lien avec ce sentiment de culpabilité, la perte du rôle social ou / et économique des parents, et notamment du père est à relever.

« Plusieurs auteurs (Duval, 1991; Legault, 2000) font état des problèmes vécus par les immigrants en regard de leur intégration dans la société d’accueil. La difficile insertion sur le marché du travail, la recherche d’un logement, les barrières linguistiques et la discrimination sont autant de difficultés rapportées par un grand nombre de recherches concernant les immigrants en général » (Recherches sur la famille- vol. 5, n°2, printemps 2004). Nous pensons que ces difficultés sont susceptibles de transformer les relations intrafamiliales. En effet, pour les parents, le fait de ne pas avoir de travail, d'être mis en « concurrence » avec des personnes (éducateurs, travailleurs sociaux ou paramédicaux) voulant répondre pour eux aux exigences éducatives du pays d'accueil, d'ignorer le fonctionnement des structures dans lesquelles eux et leurs enfants évoluent les fragilise dans leur rôle : « tout cela forme un ensemble de facteurs qui portent atteinte à la fonction nourricière, directrice et protectrice qui constitue l’essentiel de la fonction parentale » (Recherches sur la famille – conseil et développement de la recherche sur la famille au Québec, immigration et parentalité, p14). Les mêmes auteurs notent que « la perte de tout rôle économique actif fragilise les parents qui craignent de se voir dévalorisés aux yeux de leurs enfants. C’est surtout le cas des pères qui prennent conscience que leur situation actuelle modifie l’image qu’ils offraient auparavant à leurs enfants » (Recherches sur la famille – conseil et développement de la recherche sur la famille au Québec, immigration et parentalité, p16).

Ces modifications de rapports familiaux peuvent même aller jusqu'à une inversion des rôles. Les enfants connaissant mieux la langue et les institutions que leurs parents sont amenés à s'occuper de démarches administratives à leur place. Et les parents, « quelquefois honteux de ce qu'ils ont subi corrélativement à la migration, sont obligés d'exposer leur humiliation devant leur descendance.

L'image idéalisée du parent - et du père en particulier - s'effondre » (Pourtois Jean-Pierre et al., «Souffrances affectives, cognitives et sociales des parents en exil », 2004, p56).

Par ailleurs l'absence de famille proche, de ressources ou d'accompagnement éducatif culturellement proche du leur fait défaut à nombre de ces parents.

Selon J. Barou, (Rhizome n°37, décembre 2009 : De l’exil à la précarité contemporaine, difficile parentalité, p12) l'absence de proches, peut constituer, notamment pour les familles africaines, la cause d'un déséquilibre dans les rapports parents-enfants car elles « ne peuvent plus recourir à l’aide des grands-parents ou des collatéraux qui assument traditionnellement certaines fonctions éducatives auprès des enfants ».

Autre facteur de ces perturbations des rapports familiaux, la conception de l'éducation elle-même, influencée par la différence de statut de l'enfant dans le pays d'origine et dans le pays d'accueil.

Selon Bérubé (2002) mentionné dans l'article précité de Recherches sur la Famille, « l’exigence particulière pour les parents immigrants de l’adaptation à leur rôle parental et à l’exercice de la parentalité » (…) constitue une vraie difficulté « d’autant plus que les conceptions parentales et les pratiques éducatives peuvent considérablement varier d’un groupe à l’autre et d’une société à l’autre ».

Ces différences de modèles éducatifs peuvent amener les parents à remettre en question leurs pratiques, et s'ils en abandonnent certaines, elles ne sont pas toujours remplacées, ce qui pose parfois problème.

« Si la majorité des parents ne « tapent » plus, selon leur expression, ils ne savent plus comment agir pour maintenir leur autorité sur l'enfant et guider son développement. Placés dans l'incapacité temporaire d'agir, ils lui laissent souvent plus de libertés. Celui-ci, déjà fragilisé par la migration et la déstructuration familiale qui l'accompagne fréquemment, prend un pouvoir qui, hier encore, lui était étranger » (Pourtois Jean-Pierre et al., «Souffrances affectives, cognitives et sociales des parents en exil », p57).

Parents et enfants ont perdu leurs repères et les cherchent, chacun à leur manière, l'enfant cherchant des limites que les parents ne savent plus comment poser en l'absence de sanctions « applicables » dans le pays d'accueil. (Pourtois Jean-Pierre et al., « Souffrances affectives, cognitives et sociales des parents en exil », 2004, p57).

La structure familiale est donc menacée, « les parents ne savent plus comment éduquer, comment agir de façon adaptée à l'enfant et à la situation. Ils regrettent de ne pouvoir agir comme ils le veulent, soit parce qu'ils doivent se soumettre à des habitudes éducatives nouvelles qu'ils perçoivent comme imposées, soit parce que les contingences économiques ou matérielles restreignent leur liberté d'action » (Pourtois Jean-Pierre et al., « Souffrances affectives, cognitives et sociales des parents en exil », 2004, p55).

Par ailleurs la société attend des parents qu'ils transmettent ses valeurs à leurs enfants. Or ils ne les possèdent et parfois même ne les connaissent pas.

En effet, comme nous l'avons évoqué, les parents sont étrangers à la culture, au système et parfois même aux valeurs du pays d'accueil.

leur culture d'origine, leur paraît à la fois important et cohérent avec la société d'accueil.

Toutes ces difficultés que nous venons d'évoquer dans cette partie et auxquelles sont confrontés les parents en exil nous confortent dans l'idée d'une nécessité d'un regard particulier sur ce qui pourrait s'en trouver modifié dans l'accompagnement parental qui tel qu'il peut se vivre en orthophonie.

Pour clore cette partie, et pour faire un petit « clin d’œil » supplémentaire à ce qu'il peut se passer dans nos cabinets d'orthophonie tout en revenant sur un point déjà rapidement évoqué (avec le mémoire d'Alexia Tinelli en partie II), notons que «en contexte d’immigration, les parents peuvent se retrouver à fournir des soins auxquels ils n’ont pas été familiarisés » (Pourtois Jean-Pierre et al., « Souffrances affectives, cognitives et sociales des parents en exil», 2004, p11).

Comment ces familles appréhendent-elles ces soins ou structures de soins ? Quel accueil y reçoivent-elles ?

Les questions et problèmes soulevés dans cette partie nous ont permis de mieux appréhender les réalités (linguistiques, culturelles, et psychologiques) auxquelles peuvent être confrontés les familles migrantes.

Nos entretiens auprès d'orthophonistes proposent d'aller sonder leur conscience éventuelle concernant ces problématiques à travers les difficultés évoquées dans leur travail.

PARTIE PRATIQUE

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