CHAPITRE 2 LES DÉTERMINANTS DE LA MOBILITÉ DES ÉTUDIANTS
4. D’UN PARCOURS À L’AUTRE
De nombreux auteurs ont mis en évidence une dépendance entre les migrations passées et la décision de migrer à nouveau (Jayet 1993, Shaw 1991, Bailey 1993). Cet effet de dépendance peut s’expliquer de plusieurs manières.
Les mobilités en cours d’études ont pour les jeunes issus de l’enseignement supérieur un effet positif sur les mobilités post-scolaires (les variables retenues pour la mobilité en cours de formation initiale sont le changement de commune entre la 6ème et la fin des études et le changement de région entre ces deux dates). Mobilité d’insertion et de formation entretiennent des liens très étroits pour les sortants du supérieur : un jeune qui a changé de région entre la 6ème et la fin de ces études supérieures a une probabilité de migrer au cours de ces premières années de vie active de 38 % supérieure à celle d’un jeune de mêmes caractéristiques mais qui n’a pas connu de mobilité de formation (Perret et Roux, op.cit.). L’étude de Pailhé et Solaz (op.cit.) conclut, quant à elle, que le nombre de mobilités passées (depuis la fin des études) augmente la probabilité de connaître une nouvelle mobilité. Vis-à-vis de l’employeur, ces mobilités peuvent être le signe d’une capacité d’adaptation valorisée par le salarié. Parallèlement, d’autres jeunes n’ont absolument pas bougé
depuis leur scolarisation au collège. Ainsi, si « la mobilité conduit à la mobilité », « l’immobilité conduit à l’immobilité ».
Ensuite, Jayet (op.cit.) postule que des migrations multiples peuvent traduire un phénomène d’accoutumance progressive, dans le sens où les goûts et préférences de l’individu évoluent au fur et à mesure de sa découverte d’autres sites. Par exemple, un premier déplacement entre une zone rurale et une ville moyenne peut conduire à une deuxième mobilité vers une agglomération de plus grande taille. Une nouvelle migration peut également corriger une erreur d’évaluation dans l’emploi obtenu par une première migration (Da Vanzo
op.cit.).
La mobilité géographique apparaît donc comme un phénomène cumulatif (Pailhé, Solaz, op.cit.) et l’effet « expérience de mobilité » sur les mobilités futures est mis en évidence pour les diplômés de l’enseignement supérieur (Kriaa et Plassard, 1997). A l’inverse, lorsque aucune migration ne se produit au cours de la période d’insertion, l’occurrence d’un déplacement ultérieur apparaît moins probable aussi (Drapier et Jayet, 2002).
Les précédents emplois successifs peuvent influencer la probabilité de migrer en fonction de l’expérience, mais également selon la fin de cet « appariement » (licenciement ou démission). Néanmoins les résultats sur ce dernier point ne semblent pas tranchés. Selon l’étude de Yankow (op.cit.), les démissionnaires n’ont pas, en effet, de plus forte propension à migrer que les licenciés. Alors que ce serait l’effet contraire pour Détang et Molho (1999), qui observent que la perte d’emploi augmente la probabilité de migrer. En même temps, bien évidemment, la trajectoire professionnelle de l’individu est un déterminant important de son salaire, tant au travers de l’expérience acquise que du temps passé en inactivité.
4.2. Le retour vers des territoires initiaux
Une nouvelle mobilité peut être synonyme de « retour à la maison » en raison du phénomène bien connu de « l’attachement au territoire d’origine ». En particulier, l’étude menée par Giret et Roux (2004) sur l’insertion professionnelle des sortants de l’enseignement supérieur d’origine rurale, montre que si « la
majorité des jeunes ont quitté leur territoire, pendant les études ou lors des premières années de la vie active (…), un peu plus d’un tiers d’entre eux résident encore après trois ans de vie active dans leur " pays " ». Un
tiers des migrations régionales des jeunes actifs sont donc des migrations de retour vers la région d’origine. Cet attachement au local peut être rattaché au cercle familial ou à des attributs du site en termes de culture, de conditions climatiques, d’infrastructures et services publics, etc., comme le met en avant Greenwood (op.cit.). Da Vanzo (op.cit.) explique alors que ces migrations liées à l’attachement aux racines ne peuvent pas être comparées de la même manière aux autres migrations qui relèvent, dans une stratégie opportuniste, à saisir de meilleurs salaires. En effet, afin de pouvoir « revenir au pays », les jeunes peuvent accepter une perte salariale. L’attachement au local compense les avantages salariaux d’emplois sur d’autres sites (Jayet
op.cit.).
Ainsi, pour Da Vanzo, toute connaissance développée sur un site peut également faciliter un retour sur ce site. Par exemple, Gauthier (1997) montre que des individus ont une propension plus grande à revenir vers leur site de formation que de partir pour un site inconnu. Néanmoins, plus la durée écoulée depuis le dernier passage sur ce site augmente et plus la probabilité d’y revenir diminue (Da Vanzo op.cit.). Dans une même logique, plus la durée de vie écoulée sur un site est importante et plus la probabilité de le quitter est faible (Détang et Molho, 1999).
A l’issue des études supérieures, des mobilités « de retour » dans la région d’origine concernent près de trois jeunes sur dix. Les diplômés de l’enseignement supérieur court (IUT, BTS, etc.) sont plus enclins à retourner dans leur région d’origine lors de l’accès à leur premier emploi (33 % des diplômés migrants sont issus de l’enseignement supérieur long contre 30 % pour ceux issus de l’enseignement supérieur court). Les diplômés des établissements franciliens ont plus tendance à effectuer une mobilité de retour : plus de 34 % retournent dans leur région d’origine lors de l’accès à leur premier emploi contre 31 % des jeunes diplômés d’un établissement situé en province. Si, pour les provinciaux, la mise en regard des comportements des bacheliers entrant à l’université, des étudiants en poursuite d’études et des diplômés en phase d’insertion, laisse l’image d’une relative continuité, il en va tout autrement pour les franciliens. En effet, alors que seulement 24 % des bacheliers franciliens migrent vers les régions du bassin parisien (15 % des étudiants),
ils sont plus de 50 % des diplômés de l’enseignement supérieur à s’insérer sur le marché du travail des régions du bassin parisien.
Graphique 1
Retours à la maison et de la mobilité à la mobilité :
l’exemple des jeunes sortis de l’enseignement en zone rurale à leur entrée au collège
2001
Fin des études (1998)
Entrée en 6ème
Dans un bassin de vie rural
54 900 jeunes
Dans leur bassin de vie rural
30 000 jeunes 55%
A l’ext. de leur bassin de vie rural
24 900 jeunes 45%
Dans leur bassin de vie rural
16 300 jeunes 54%
A l’ext. de leur bassin de vie rural
13 700 jeunes 46%
Retour dans leur bassin de vie rural
3 200 jeunes 13%
A l’ext. de leur bassin de vie rural
21 700 jeunes 87%
Tableau 2
Déterminant de la mobilité d’insertion
L’exemple des mobilités régionales des sortants de l’université
Source Céreq ONEVA sup 91 estimations Béduwe (1994)
Note : l'individu de référence est un jeune homme marié diplômé en sciences dont la catégorie socioprofessionnelle du père est « profession intermédiaire », il a été formé dans le sud-ouest, n’a pas connu de mobilité de formation et occupé un emploi de catégorie PIACE. Son premier emploi n’était pas stable.
Note de lecture : Un jeune mobile de province à province qui ne diffère de l'individu de référence que car son père est indépendant voit sa probabilité de migrer s'accroître.
Tableau 3
Facteurs individuels et migration : L’exemple de la migration entre région
Ensemble Provinciaux Parisiens
Migration vs non migration
Migration vers Paris vs non
migration
Migration vers autre région de province vs non migration Migration des parisiens vs non migration Constante 7% 8% 3% 7% Variables individuelles
Homme sans enfant en 98 Ref Ref Ref Ref
Homme avec enfant en 98 -2 -5 -1 -
Femme sans enfant en 98 -3 -7 -1 -
Femme avec enfant en 98 - -1 - -
Age (1 année supplémentaire) -0.4 -0,8 -0,2 -
Origine étrangère -1 +1 -1 -4
Capital humain
Bac+1 ou bac+2 non diplômé -2 -5 -1 -
Bac+2 santé et action sociale - -5 - +13
DEUG, DEUST - - - -
BTS ou DUT tertiaire -2 -3 -1 -
BTS ou DUT industriel -2 -5 -0.5 -
Second cycle LSH Ref Ref Ref Ref
Second cycle math, sc. et techniques +4 +2 +2 -
3è cycle LSH +5 +8 +2 -
Ecoles de commerce +10 +21 +6 -5
3è cycle math, sc et techniques +8 +14 +4 -
Ecole d'ingénieur +11 +18 +6 +5
Expérience prof. durant les études +1 +3 +0.4 -
Expérience de mobilités antérieures Changement de commune entre 6è et
fin des études +3 +2 +2 -
Changement de région entre 6è et fin
des études +8 +24 +31 +15
Environnement familial
Activité du père à la fin des études
- Indépendant +1 - +0.5 -
- Cadre - +2 - -
- Profession intermédiaire - - - -
- Employé Ref Ref Ref Ref
- Ouvrier - - - -
- Retraité - - - -
- Inconnue -1 -1 -0.4 -
Activité de la mère à la fin des études
- Indépendant - -1 - -
- Cadre +1 +2 - -
- Profession intermédiaire - - - -
- Employé Ref Ref Ref Ref
- Ouvrier -1 -2 - -
- Chômeur -1 - - -
- Inactive - - - -
- Inconnue -1 -1 -1* -
Situation conjugale
- Seul Ref Ref Ref Ref
- Avec un conjoint qui :
* ne travaille pas - -3 - -
* travaille comme indép. - -6 - +10
* travaille comme cadre - - - -
* travaille comme P.Interm. - -4 - -
* travaille comme employé -2 -4 - -
* travaille comme ouvrier -4 -7 -2 -
N 25 047 16 960 19 278 3 602
Concordant 81% 83% 82% 86%
Source : Perret et Roux (2004), p. 52-53
Note : l'individu de référence est un jeune homme français célibataire sans enfant sortant d'un second cycle LSH et sans expérience professionnelle. Son père et sa mère sont employés. Il n'a pas changé de commune de résidence ni de région entre la 6ème et sa sortie du système scolaire effectuée en région PACA. (Il réside à la fin de ses études dans une aire urbaine de plus de 1 million d'habitants.)
Note de lecture : Un jeune qui ne diffère de l'individu de référence que parce qu’il sort d'une école de commerce voit sa probabilité de migrer s'accroître de 10%.