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La centralité économique frontalière de Gaya – Malanville Kamba

Encadré 1. Le parcours atypique de

« l’enseignant aux chevaux » devenu

maire de Gaya

Le maire actuel de la commune de Gaya conjugue des compétences étendues en matière politique à un investissement important dans la périphérie de la ville. Fils de paysan mais apparenté à la famille du chef de canton, M. Dan Barro a enseigné pendant une vingtaine d’années à Maradi, Tessa, Dosso et Loga avant d’être nommé à l’Inspection. En parallèle à ses activités professionnelles, il est sollicité dès le début des années 1990 pour faire campagne en faveur du MNSD et appelé à résoudre un conflit qui oppose les paysans de Tanda à des éleveurs de la région, à propos d’un troupeau de chevaux. Il constate que les paysans ont recouru sans succès aux autorités coutumières et fait alors appel à certaines autorités plus haut placées. Réussissant à faire abattre les animaux accusés de divagation, il gagne le surnom

d’« enseignant aux chevaux » et voit sa

crédibilité de médiateur augmenter.

Aujourd’hui, M. Dan Barro investit dans la promotion de l’irrigation, son périmètre récemment installé en amont de la ville préfigurant peut-être l’extension des cultures de rente sur l’ensemble des rives nigériennes du fleuve.

rente de situation vis-à-vis du commerce entre Etats et une tendance marquée à l’exportation de ses propres productions, ce qui explique que l’investissement se fasse essentiellement depuis l’extérieur et qu’on puisse distinguer deux types de patrons au profil bien spécifique : ceux qui sont revenus dans la région après une carrière de fonctionnaire, dans le but d’investir localement dans la production agricole et ceux qui s’appuient sur la position frontalière des trois villes pour développer des relations commerciales internationales. Ces deux types de

patrons renvoient alors aux deux logiques complémentaires – production et circulation – qui

caractérisent l’Afrique sahélienne.

Les premiers sont des investisseurs revenus au terroir qui appartiennent à une société plutôt instruite, bien introduite dans les lignages aristocratiques de leur région et qui bénéficient de relations établies lors de la fréquentation des ministères et des hautes sphères de l’Etat. Attirés par un environnement propice au développement des activités agricoles commerciales comme la canne à sucre, les patates douces, les agrumes et le riz, ils y introduisent progressivement de nouvelles

techniques comme l’irrigation par motopompes et la culture attelée, dont la diffusion date des années 1970 mais qui a connu récemment un développement spectaculaire. M. Ibrahim Beïdou est, de ce point de vue, très représentatif de ce

type d’investisseurs : issu d’une famille

d’aristocrates de Gaya, enseignant, directeur d’école, ancien conseiller pédagogique de l’Enseignement, député du PPN RDA au début des années 1970, il fut ministre de la Justice et Garde des Sceaux de 1995 à 1996. Aujourd’hui reconverti dans la promotion de l’agriculture de rente dans la vallée du fleuve Niger, il a utilisé son capital relationnel et lignager de manière à développer la petite irrigation privée en parallèle au développement d’un vaste périmètre rizicole. Bénéficiant d’appuis financiers auprès d’une structure mutuelle locale, il occupe en outre un poste à responsabilités au sein de l’Agence Nigérienne pour la Promotion de l’Irrigation Privée (ANPIP). Son exemple est suivi par d’autres investisseurs (Encadré 1).

Les seconds relèvent plus directement de la sphère du capitalisme marchand. Ils basent leur travail sur une expérience prolongée de l’évolution des cours et sur leurs contacts avec les importants marchés du Golfe de Guinée (Lagos, Cotonou, Lomé), du nord du Nigeria

(Sokoto, Kano) et du Sahel (Niamey). La position stratégique de Gaya, Malanville et Kamba permet à ces patrons de déployer une activité commerciale basée sur l’établissement de réseaux très étendus et en rapide expansion. Ayant peu fréquenté l’école, ils ont souvent acquis une expérience professionnelle en Gold Coast (Ghana) ou en Côte d‘Ivoire durant leur jeunesse et ont parfois disposé d’appuis marqués au sein de leur Etat. Leur statut d’allochtones leur permet de bénéficier d’une plus grande marge de manœuvre que les investisseurs revenus au pays en ce qui concerne l’affectation de leurs ressources, ce qui les autorise à s’affranchir des contraintes sociales qui s’opposent, dans la majorité des sociétés africaines, au commerce et à la libre entreprise. « Les ethnies ou groupes africains qui ont réussi à susciter des réseaux d’entrepreneurs et

de commerçants en leur sein - affirme à ce propos J.-F. Médard (1992 ; 185) - sont justement ceux qui sont parvenus à contourner d’une façon ou d’une autre la norme de redistribution familiale et qui ont réussi à la limite à retourner la solidarité familiale au profit de l’entreprise : l’exemple des Bamiléké et des Haoussa est typique à cet égard. »

En outre, le poids considérable de leurs activités sur le plan des ressources locales se répercute sur l’électorat politique, marquant un affaiblissement des institutions traditionnelles qui reposaient sur la paysannerie : « Gaya connaît un développement économique galopant du fait de la

proximité des frontières. La population autochtone est presque avalée et les conséquences que cela entraîne sont énormes : elle ne détient pas entièrement les commandes. Il y a quelques années, si vous n’aviez pas [le

quartier de] Sokondji avec vous, vous flottiez politiquement mais actuellement la population étrangère est égale

sinon beaucoup plus importante que les autochtones et ces gens sont actifs dans les activités économiques plutôt que dans le travail de la terre. C’est très récent. Les rapports de force sont en train de changer : du fait que les campagnes se « relâchent », les centres urbains se peuplent et ceux qui se font passer pour les « ténors » de la campagne [les chefs traditionnels] sont en train de perdre.20 » Mais l’investissement des patrons ne se limite pourtant pas à la sphère locale, comme l’illustre leur engagement croissant dans la politique nationale.

9.4 Des patrons entrés en politique ou ce qu’il arrive lorsqu’on « ouvre la cage aux fauves »

Au Niger comme au Bénin ou au Nigeria, les marchands ne constituent pas une « classe » en rupture avec un ordre ancien, dont l’action révolutionnaire permettrait de transformer les rapports de production, en combattant militaires et propriétaires fonciers traditionnels. Au contraire, leur influence grandissante s’adapte parfaitement aux changements de société (Grégoire, 1994) comme en témoigne l’histoire des grands empires sahéliens fondés sur la rente de la guerre et l’esclavage ainsi que les relations clientélistes des Etats haoussa du XVIIème siècle (Laya, 1999). L’ère coloniale et postcoloniale ont encore renforcé ces tendances en basant la rente économique sur des avantages comparatifs agricoles ou miniers et en accordant une importance grandissante aux ajustements structurels et à l’ouverture des

marchés. A la faveur de ces nouveaux paradigmes se développe une rente du développement fondée sur l’entretien d’une économie de la pauvreté, dans laquelle la rente stratégique et l’aide au développement sont appréhendées dans une perspective plus structurelle que conjoncturelle. Dans ce mouvement, les élites économiques opèrent une reconversion rapide qui se marque par un investissement accru dans les hautes sphères politiques, ce qu’il est possible d’illustrer au travers de l’étude de la représentation des commerçants à l’Assemblée Nationale du Niger.

La présence massive de marchands à l’Assemblée nigérienne est un phénomène récent. Certes, dès la fin des années 1950, ceux-ci forment un groupe influent qui entretient des relations étroites avec la classe politique et, jusqu’en 1966, l’entreprise privée est encouragée, l’Etat étant lui-même à l’origine de l’enrichissement d’une partie des commerçants sur un mode clientéliste. Dans les années 1970, en revanche, les marchands connaissent des difficultés à imposer leurs intérêts face à l’élite nigérienne. « La bourgeoisie d’Etat - montrent à ce propos J.-L. Amselle et E. Grégoire (1987 ; 33) - se méfiait en effet de l’emprise des marchands en

milieu rural et souhaitait que l’Etat devienne leur partenaire économique privilégié en se substituant à eux. »

Le régime de parti unique de Seyni Kountché au Niger (1974-1989) comme le marxisme- léninisme de Mathieu Kérékou au Bénin (1972-1990) souhaitent limiter la possibilité offerte aux commerçants d’accéder aux faveurs des hommes politiques. En 1974, alors que les moyens de transport de l’armée permettent de remédier partiellement aux insuffisances alimentaires et assurent son succès populaire au Niger, le slogan « Non à l’affairisme des agents de

l’Etat » est lancé pour servir de ciment national autour de l’appareil étatique. Mais cet

optimisme sera de courte durée.

La crise de subsistance des années 1980, qui révèle les limites des programmes de développement fondés sur l’autosuffisance de la production sahélienne, encourage alors les marchands à investir la sphère politique. Dans ces années troublées, les patrons du capitalisme marchand représentent en effet des acteurs sur lesquels les élites politiques sont contraintes de s’appuyer pour garantir la sécurité alimentaire des populations. La démocratisation des années 1990 - appelée « décrispation » au Niger - modifie encore les rapports de force en permettant aux marchands d’entrer massivement à l’Assemblée nationale et en liant indissociablement leurs moyens financiers aux actions entreprises par les partis politiques. Au fil des législatures, ces commerçants prennent de l’ascendant et passent, en l’espace de vingt ans, du statut d’opérateurs soupçonnés par la dictature d’exploiter les paysans par leurs pratiques spéculatives, à celui d’acteurs dominants du système politique. Ce mouvement est habilement résumé par un ancien fonctionnaire des Douanes nigérien qui précise à ce propos : « On a

ouvert la cage aux fauves et tout le monde cherche la brousse. »

En l’absence de statistiques donnant une appréciation dynamique de ce phénomène, il est impossible de chiffrer la proportion croissante de députés exerçant une activité marchande au cours des différentes législatures. Tout au plus les chiffres récoltés permettent-ils de montrer que les commerçants ont investi les principaux partis selon des proportions variables (Tableau 12). En tenant compte de la part des professions inconnues, 40 % des députés de l’Assemblée