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1. Vision actuelle de l’inflammation

1.6 Inflammation, cancer et hypoxie

1.6.3 Le paradoxe traductionnel en hypoxie

L’un des aspects les plus intrigants de l’induction spécifique de HIF-1 en hypoxie est que la réponse hypoxique a pour effet d’inhiber de manière importante la synthèse protéique cellulaire. Cette baisse de 60-70% du régime traductionnel est l’un des mécanismes par lesquels la cellule hypoxique se protège. En effet, la traduction est un processus grandement endergonique (25-30% de l’oxygène utilisé pour produire de l’ATP sert à la traduction [546]), et une économie de traduction a été montrée avantageuse, notamment pour les cellules cancéreuses. La traduction est principalement régulée au niveau de l’initiation [547], qui est d’ailleurs l’étape modulée en hypoxie [548]. Deux processus de modulation de la traduction en hypoxie sont la phosphorylation d’eIF2 [548- 550] et l’inhibition de la phosphorylation de 4E-BP1 [551, 552]. Ces processus affectent la traduction cap-dépendante des messagers. La kinase sensible à la rapamycine mTOR (mammalian Target of Rapamycin) détient un rôle clé dans le contrôle de la traduction. mTOR phosphoryle des cibles impliquées dans la traduction telles que 4E-BP1 et p70-S6K. Or, tel qu’illustré à la figure 12, l’état d’activation de mTOR change drastiquement lors de l’hypoxie. mTOR est maintenu actif par une petite protéine G de la famille Ras nommée Rheb, lorsque celle-ci est liée au GTP [553]. L’activation de mTOR est inhibée par le complexe TSC (Tuberous Sclerosis Complex), composé de TSC1 (hamartin) et de TSC2 (tuberin). TSC2 est un facteur d’activation des GTPases. Lorsque TSC2 est actif, il bloque la traduction en privant mTOR de Rheb-GTP, maintenant liée au GDP [554, 555]. Il a été montré que le complexe TSC est contrôlé par phosphorylation, un processus intimement relié à l’état de stress cellulaire, que ce soit durant l’hypoxie, la privation d’éléments nutritifs ou la réponse immunitaire. Les facteurs de croissance, par exemple, mènent à la phosphorylation inhibitrice de TSC2 par des voies dépendantes de Pi3K/Akt ou des MAPK (les phosphorylations de TSC1 et de TSC2 sont revues dans [556]). Il a également été montré que TSC2 était inhibé par les protéines 14-3-3, et que l’hypoxie mène au déplacement de ces protéines et à l’activation du complexe TSC. De plus, la phosphorylation de TSC2 augmente son interaction avec les protéines 14-3-3 [557].

Figure 12 : Modulation de l'initiation de la traduction en condition hypoxique.

En normoxie, en incluant la présence d’éléments nutritifs comme les acides aminés essentiels et le glucose, l’initiation de la traduction est favorisée pour l’ensemble des messagers. Nous illustrons ici les procédés de régulation cap-dépendants impliquant eIF2 et 4E-BP1. eIF2 lié au GTP et à l’ARNt initiateur forme le complexe ternaire, essentiel au recrutement de la sous-unité 40S ribosomiale à l’ARNm à traduire [547]. Par ailleurs, la protéine qui lie le cap (7-méthyl-guanine) en 5’ des ARNm est eIF4E. eIF4E forme avec eIF4G, une protéine adaptatrice complexe, et eIF4A, une hélicase, le complexe eIF4F au rôle essentiel dans l’initiation [547]. Ceci est rendu possible grâce à la phosphorylation de la protéine de liaison à eIF4E, 4E-BP1 (4E binding protein) par mTOR [558]. mTOR est un régulateur positif de la traduction qui est hautement sensible à différents stress (hypoxie, carences alimentaires, infections, etc., revu dans [559, 560]). mTOR est régulé négativement par le complexe TSC1/TSC2. En normoxie, ce complexe est inhibé, notamment par la liaison des protéines 14-3-3 [561]. En hypoxie, on assiste à une activation rapide de la kinase PERK (et d’autres voies de la réponse UPR) [562], ce qui mène à la phosphorylation de eIF2. Cette modification empêche eIF2B d’agir en tant que facteur d’échange et eIF2 ne peut lier le GTP. L’hypoxie entraîne également l’inhibition de mTOR, ce qui serait une réponse tardive impliquant l’activation de HIF-1. Il a été montré que HIF-1 induit l’expression de Redd1 qui active le complexe TSC1/TSC2 en déplaçant 14-3-3 [563]. eIF4E est donc séquestré en hypoxie par 4E-BP1, ainsi que par 4E- T, une autre molécule moins caractérisée [548].

Ainsi, comment réconcilier cette inhibition généralisée de la traduction avec l’induction spécifique de HIF-1 en hypoxie ? Au cours des dernières années, quelques études se sont intéressées à la régulation de l’ARNm de HIF-1, que ce soit au niveau de sa stabilité ou au niveau de sa traduction. HIF-1 ne fait pas cavalier seul : d’autres gènes, incluant des gènes régulés par HIF-1 lui-même, tels que ceux du VEGF [564, 565] et de

GLUT1 [566], sont également assujettis à une régulation de leur messager en condition

hypoxique. Des procédés « cap-indépendants » régulent donc ces messagers, et ce, principalement grâce à des protéines de liaisons aux ARNs (RBPs, RNA-binding proteins) qui ont la capacité de reconnaitre certaines séquences au sein des extrémités 5’ et/ou 3’- UTR des messagers et d’interagir avec des éléments de l’appareil traductionnel, sans nécessité d’un cap « activé » [567]. Nous présentons à la figure 13 les principales RBPs connues pour moduler la stabilité et/ou la traduction du messager de HIF-1. L’hypoxie et son agent mimétique, le cobalt, induisent la liaison des protéines HuR et PTB au niveau des extrémités 5’ et/ou 3’-UTR du messager HIF1A [568]. Le mécanisme par lequel ces protéines affectent précisément la traduction de HIF-1 n’est pas connu. Il a également été montré que l’insuline favorisait la liaison des protéines CPEB 1 et 2 sur le messager de HIF-1 en 3’-UTR, et que ceci augmentait sa traduction [569].

Un autre mode de régulation « cap-indépendant » retrouvé chez certains ARNm viraux ou cellulaires s’explique par la présence d’un IRES (Internal ribosome entry site) dans la séquence 5’-UTR. Cette structure est issue du repliement tridimentionnel spécifique de l’ARNm en une structure complexe qui possède habituellement plusieurs boucles double brins. Les IRES sont prédictibles au sein d’une séquence, cependant la validation de la fonctionnalité des IRES doit être effectuée pour considérer leur rôle dans la traduction des messagers. Bien que le mécanisme d’action des IRES ne soit pas entièrement caractérisé, on considère que ces structures ont la capacité de mener au recrutement des facteurs généraux de la traduction, phénomène qui ne nécessite donc pas la présence d’un cap fonctionnel.

Figure 13 : Régulation du messager de HIF-1alpha par les RBPs.

Plusieurs RBPs sont suspectées d’être capables d’augmenter la stabilité et/ou la traduction du messager HIF1A [567]. Nous avons ici schématisé le messager de HIF-1 avec ses 15 exons. Les extrémités régulatrices 5’ et 3’-UTR font partie des exons 1 et 15 respectivement. Les 2 séquences UTR sont très différentes. Visiblement, la large 3’-UTR est extrêmement riche en poly(U), alors que la 5’-UTR de taille moyenne est davantage riche en résidus C et U. Néanmoins, les 2 extrémités peuvent lier des RBPs, notamment HuR et PTB [567]. Il n’existe pas de consensus à l’heure actuelle quant à la liaison de l’une ou l’autre de ces extrémités en hypoxie ou à l’aide d’agents mimétiques de l’hypoxie. La séquence 3’-UTR présente quelques éléments CPE (cytoplasmic polyadenylation elements), reconnus pour pouvoir lier CPEB sur le messager de HIF-1 [569]. Nous retrouvons d’autres éléments CPE aux exons 2, 11 et 15 (recherche personnelle). Il existerait en effet des domaines de liaisons de RBPs retrouvés ailleurs que dans les extrémités UTR chez certains messagers [570]. Il a été montré que CPEB pouvait être responsable de la polyadénylation [571], ce qui permet la liaison éventuelle de protéines telles que les PABP qui exercent une influence sur le complexe d’initiation de la traduction [572], tel que suggéré par l’illustration.

Inducteurs Stabilité Traduction Transcription

Basal IKK/NF-B [538-540]

Hypoxie PHD/VHL [505] IB/FIH [573] SUMOylation [574]

Indépendant des IRES [575] Indépendant [576] PI3K/AKT et IKK/NF-B [538] Cobalt (agent mimétique de l’hypoxie) PHD/VHL[505] ROS [577] PTB/3’UTR;HuR/5’UTR [576] ROS/PI3K [578] Indépendant [576, 578] LPS/TLR4 ROS [579]

ROS, ASK1, p38 [580] Indépendant de [581] NF-B [579] Virus OAA/Pyruvate [582] KSHV/vIRF3 [583] EBV/LMP1/Siah1[584] HBx [585] Poly(dA :dT) Poly(IC) Indépendant [586] Ligand de TLR7/8 ROS/RNI [587] OxLDL ROS [588] IL-6 STAT3 [589] TNF, IL-1 [590] Mécanisme inconnu [591] NF-B [539] Angiotensine II Thrombine, Insuline heregulin H2O2 [592] 5’UTR/ROS [593, 594] PI3K/mTOR [595] IGF-1R [596] CPEB1/2 [569] PI3K/Akt, PKC [593] STAT3 [589]

Tableau 5 : Exemples d'inducteurs de HIF-1alpha et mécanismes d'induction.

Le promoteur de HIF1A est occupé au niveau basal par différentes sous-unités de NF-B [539]. Cependant, des processus transcriptionnels et/ou traductionnels qui modulent la l’expression de HIF-1 doivent être induits pour que HIF-1 ait la capacité d’induire la transcription de gènes. Les procédés par lesquels HIF-1 est induit sont le plus souvent sujets à controverse. En hypoxie, par exemple, certains groupes voient une induction de l’ARNm de HIF-1, alors que d’autres n’y parviennent pas. Certains groupent croient plutôt que l’hypoxie induit une induction traductionnelle de HIF-1. En effet, l’ARNm de HIF-1 contient des séquences 5’-UTR et 3’-UTR qui sont impliquées dans la stabilisation et/ou l’efficacité de la traduction de HIF-1 [569, 576, 597]. L’extrémité 5’-UTR de HIF- 1 contient également un IRES virtuel qui n’exercerait pas un effet significatif dans la traduction de HIF-1 [575, 598]. Nous ne présentons dans ce tableau que des inducteurs de HIF-1 dont le mécanisme d’induction de HIF-1 est connu (ou partiellement connu). Les virus élaborent des stratégies pour induire HIF-1, dont l’expression serait favorable à leur développement. Plusieurs PAMPs, cytokines, hormones et facteurs de croissance peuvent induire l’expression de HIF-1, et ce, dans différents types cellulaires. HIF-1 peut donc être induit à tout moment lors des processus inflammatoires.

En ce qui concerne HIF-1, bien que deux équipes aient identifié un IRES potentiel en 5’- UTR [599] (ayant la capacité de lier PTB [600]), il a été montré plus tard que cet élément n’avait pas un rôle majeur dans la traduction de HIF-1 [598]. À cet effet, la validation des IRES à l’aide d’essais rapporteurs à vecteurs bi-cistroniques a été questionnée de manière générale [601]. Une autre équipe a également invalidé cette hypothèse de régulation de HIF-1 [575].