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par Serge Le Péron

Dans le document Spécial IMAGES DE MARQUE (Page 27-30)

Les erreurs judiciaires ne tom bent pas du ciel.

Elles ne sont pas l'« inévitable accident de l’expérience h u m a in e » . Rien d’intéressant au chapitre « E rrare hunianum est ». C ’est dans un autre registre q u ’il faut chercher, celui des machines : l’Etat, la Justice, la Police..., et au jo u r­

d’hui l’inform ation. C ar ces « erreurs » sont le signe extérieur de quelque chose de caché dans le pouvoir : son mode de fonctionnement. De tout temps. Or l'affaire G oldm an est une affaire de notre tem ps et de notre lieu, la « civilisation de l'image » (la civilisation pour le lieu et l'image pour le temps) : la police pour la civilisation et les media pour l'image. L’affaire G oldm an se trouve exac­

tem ent au point de conjonction des deux ; dans l'in­

tervalle où ils se relaient.

En fait la partie proprem ent policière est faible : des présom ptions assez vagues fournies par un indic à propos d'un cambriolage tragique dans une p h a r­

macie orientent les recherches vers Pierre

Gold-28

Gauchiste. (Photo Paris-Maich.)

HAA3BIIiTÎRi Mohnifd LAid Moussu a it é blsgsé ffrléveman d'uji ooup de révolver lo 18/3/75. Lo jeun# al«érion a vait été condamné lo 12 murs domier pour avoir tué a voisin qui fa lsu lt trop do bruit. I l pourrait s 'a g ir i un vsngeancs. 33 343 AFP PHOTO l 9/3/75

Métèque (Photo A.F.P )

Casseurs. (Photo Détective.)

e a n -L o u ls J o u r n e a u x . 33 a n s ^ ^ | E t J e a n - L o u i s G ra sst. 25 a n s

man. Ici le phénom ène prend corps : il se déclenche alors une conviction immédiate totale et infaillible de la police sur sa culpabilité. C'est bien lui ! N ’im ­ porte quel flic pourrait l'affirmer. Tout concorde sur sa fiche, ou plutôt sur sa fiche les images con­

vergent : métèque, gauchiste, casseur' ; c’en est presque trop ! Aujourd'hui le fameux « faisceau de présomptions » dont parle le droit pénal, à l’époque des media, c'est une superposition d ’images. Et ces trois images-là (métèque, gauchiste, casseur) font particulièrement tilt dans la tête des représentants de l’Ordre : un concentré de bouc émissaire, l'ex­

pression proche de l'idéal de trois fléaux sociaux contem porains et trois images qui, en se super­

posant, font masse et donnent une image finale qui s’impose com m e une évidence, « Pierre G oldm an : assassin des deux pharm aciennes du boulevard Richard-Lenoir ».

On voit d ’ici sa photo dans les journaux avec le titre, ça correspond bien. Alors ne reste plus q u ’à convoquer les tém oins à la P.J. pour reconnaître cette image. La victime d ’abord, elle est formelle, c ’est bien ça ; c'est la m oindre des choses : si n ’im ­ porte quel flic pouvait le reconnaître, ce n ’est pas celui qui est le héros de l’affaire qui va faire des hésitations. Pour les autres témoins, c'est à peine s’il sera nécessaire de faciliter leur jugement.

A ujourd’hui on ne fabrique (presque) plus les témoins, dans les affaires de ce genre, on fabrique les images. Et on éduque les regards.

Images de marque.

La tête de l’assassin est connue de nos jours ; sa photo est partout dans le journal ; aux journaux la photo des assassins est le plus souvent transmise p ar la police : une manière com m une de se tenir, de regarder, de se présenter. Or c’est un fait qu'on n ’a pas la même tête pour tout le m onde et d ’ailleurs on ne fait pas la m êm e tête partout et à tout le m onde (ou alors on est payé pour ça), et le regard des flics ça finit par se voir sur le visage du

« suspect », après plusieurs jours de soumission aux ordres et aux regards, aux regards de l’Ordre et aux ordres du regard. A force d'être regardé, épié, photographié par les regards anonym es des représentants de l’Ordre, on finit par ressembler à celui à qui ils o n t décidé qu’on ressemblerait. Ce qu’on donne à reconnaître aux témoins alors, c'est le visage que le pouvoir a choisi, le visage sur lequel le pouvoir a imposé son regard ; et plus on regarde com m e le pouvoir veut qu'on regarde, plus on a de chance de le « reconnaître » (de tom ber d ’accord avec le pouvoir); c’est-à-dire que les lecteurs du Parisien libéré sont les meilleurs tém oins pour la police, tan t ce journal dresse le regard de ses lec­

teurs dans le sens voulu p ar le pouvoir ; mais il n ’est pas le seul2.

I

Le pouvoir, la police, photographient pour reconnaître ; précisément pour reconnaître et faire reconnaître les contrevenants à sa loi, les auteurs d ’infractions et les faiseurs de troubles ; cela im ­ plique un certain point de vue et m êm e une prise de vue précise ; cela explique entre autres qu'on n'ait pas la même tète sur une photo de famille et sur une fiche anthropom étrique. Cela explique aussi la facilité avec laquelle les images dont on parle (métèque, gauchiste, casseur) fusionnent, font bloc instantaném ent pour changer l’image d ’un suspect en l’image d'un coupable. C ’est q u ’évidem m ent elles sont prises du même point de vue, celui de l’Ordre ; c’est ce point de vue qui d ’abord les unifie. La solidarité des images de l'Ordre, le fait que leur en­

chaînem ent, leur superposition, leurs com binaisons se fassent au profit de l’Ordre, vient de là ; et il ne suffit pas de les en chaîner dans un ordre différent pour en dévoyer le sens ; ce qui est réellement en cause c'est la solidarité des différentes instances du pouvoir, la solidarité de leurs regards, ces regards qui d onnent au pouvoir central les images dont il a besoin (car le pouvoir au jou rd’hui fonctionne avec des images, voire avec sa propre image : la formule,

« regarder la France au fond des yeux », ne se conçoit pas sans l'image).

Un exemple dans l'affaire G oldm an : les deux photos publiées par Libération \ elles sont d’emblée éloquentes : la ressemblance entre deux personnes peut être telle qu'elle rend quasim ent impossible tout discernement, toute « reconnaissance » d'une personne contre l'autre ; ainsi se trouve relativisé le témoignage hum ain. Mais la petite histoire de ces deux photos en dit plus ; elle dit les circonstances dans lesquelles elles ont été prises : la photo de G oldm an a été prise après son arrestation, par la police ; celle du comédien par les services p h o to ­ graphiques de l’arm ée après son incorporation. Les deux hom m es ne se sont jam ais au ta n t ressemblé que sur ces deux photos. Pas étonnant.

Pas éto n n a n t non plus qu’il soit facile au pouvoir de fabriquer les images de m arque qui le servent puisque c’est lui qui fabrique pour lui les images de chacun (ça com m ence avec la carte d’identité et la photo réglementaire qui doit y être réglem en­

tairem ent apposée à sa place réglementaire) et qu'il dispose des m oyens de faire croire qu’il s’agit du point de vue de tous.

L’image de m arque de Pierre G oldm an l’avait condam né à perpétuité à la prison ; il fallait qu’il se sorte de cette image dans laquelle on l’avait bouclé, m o ntrer que rien de lui n ’était dans cette image : opposer son réel à lui, Pierre G oldm an, lutter pour se fa ir e connaître3 contre son image de m arque en inscrivant sa vérité dans son écriture même. C'est la première chose qu’il a dû faire.

Le droit de regard. 29

Images de marque.

Muhamniad,

Ali

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