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par Danièle DUBROUX

Dans le document Spécial IMAGES DE MARQUE (Page 71-75)

72 Critiques,

I. Com m e pis-aller à ses rêves:

« le ciném a en tant qu'école », Nicola va passer à l’émission de télé Quille ou double (une sorte de Monsieur Cimrna). mais il s’y trouvera (comme le cinéma) mis en fiche, encadré, mis en boite par ccl espace stupide et réduc­

teur des jeu* télévisés : « ses ailes de géant fempêchent de m a r­

cher » et lem pécheront de gagner.

Epilogue pour un plongeon dans l'illusion ; com m e on dit : on va se « mettre dans le bain » — ludique — de l'imaginaire : le souvenir de nos histoires qui tour à tour se regardent dans le m iroir de l'Histoire (celle de l’Italie) et qui reflètent (jeu infini des miroirs) celle de l'histoire de notre cinéma, paradoxalem ent appelé le néoréalisme : « Une méthode apte à découvrir et à transposer à l'écran les apparences et l’essence même de la vie. » Quelle illusion, mais quelle gageure aussi !

Le siège d'élection (hiérarchique) où fusionnent les gran ds m om ents et les grands nom s de ces deux grandes histoires, c’est bien sur ROME, cité éternelle d’histoire (documents sur la libération et le référendum de 1946), Rome antre et centre du ciném a (c’est sa principale industrie). Ville décor, où chaque place est assiégée par les images, perpétuelle surimpression cadre réel/cadre imagi­

naire d’une fiction qui s'est déroulée ici, là. Piazza N avona, C am po di Fiori, Piazza di Spagna, c'est la Roma de Fellini, Citta Aperta de Rossellini et des autres... Peut-être pénètre-t-on moins dans Rome qu'à l'intérieur d’une image.

Nicola (sans doute le porte-parole de Scola, mais peu importe !), lui, l'amoureux du ciném a, plaque tout, femme, enfant, pour R o m e : « S alut, ô Rome cité sauvage ! » Mais Rome est un mirage, offerte, insaisissable, il suffit de la Piazza di Spagna et d'un chariot qui se trouve là pour se prendre pour Eisenstein. Il suffit d'un rien à Rome pour se faire du cinéma,1 car tout y porte, c’est une tradition culturelle, dialectale, gestuelle. Tout y est « buffo » et chacun un peu « buffone ».

Alors pourquoi ne pas construire un film autour du thèm e : « faire du cinéma » (et s'en faire) dans ses deux acceptions de langage dont l’une renvoie l’autre à dérision. Il fallait (et ce que fit Scola) renouer, c’est-à-dire l’y inscrire, cette liaison organique des personnages-acteurs au berceau originel (le bain a m ­ biant) et les faire jouer, com m e des poissons dans l’eau, eux se faisant leur cinéma, nous le faisant dans le cadre m êm e du cinéma (résultant en dernière analyse d ’une im m ersion : le bain de développement).

Il y a du redoublem ent en effet, on verra plus loin com m ent du redoublement au doublage il y a matière à rire et à faire rire.

Cela dit. Ettore Scola, et son film sont bien les enfants légitimes du cinéma italien, l'appartenance à la vieille famille, il la revendique avec la gratitude, l'adulation qu’on manifeste à ses pères, et cela d 'au tan t mieux qu’on peut leur jouer de bons tours (d’illusionniste), on va s’am user de leur mystification mais

ils y gagneront le mythe.

Par exemple le m élo (genre qui alimente en grande partie les cinémas dits de troisième vision, à la périphérie populaire de Rome), il va le reprendre à son com pte — il ne s'agit de renier aucun des ascendants ! — seulement il lui donne une verve qui n'est certes pas de son ressort, il en transpose le cadre et le modèle social : le héros positif est un infirmier rétrogradé brancardier pour avoir cogné une nonne.

C'est ainsi q u ’il utilise les poncifs d'un certain psychologisme introspectif (propre au mélo) pour ycourt-circuiter le gluant pathétique, tout simplement en le rendant à son gluant : A ntonio et Luciana m im ent le théâtre de O’Neill dans la rue, a u resto, le stéréotypage rom an-photo se déroule et se colle (effet de stock shot) com m e sur un attrape-m ouche : « dès le premier jou r où je t’ai vu j ’ai com pris qu'o n était fait l’un pour l'autre », etc.

Luciana aurait pu fondre en larm es Piazza di Spagna, elle ne le fera que sur la poisse encore hum ide de photom aton (toute une scène résumée en quatre images).

Nous nous som m es tant aimés. 73

2. Procédé dît de « post­

synchronisation ». Le plus utilise en Italie, tous les films y pussent.

C est souvent d'u n effet navrant, des voix de série parasitant des corps. C est mieux quand on peut soi-même re-postsynchroniser.

comme Antonio, dans la scène du ciném a (où Luciana est ouvreuse). Il fait porter à L. Har- vey et K. Novak le dialogue amoureux (une répétition, en somme !) qu'il veut avoir avec Luciana.

Quant à ses pères plus nobles : de Sica, Fellini, Antonioni, il connaît bien leurs ficelles (celles de tout film en train de se faire), leurs truquages (il en use à loisir, lui aussi), et co m m e le prestidigitateur, on en viendra à dire : « M ais s'il y a un truc c'est encore plus fort ! »

Par exemple, une des clés de l’intensité dram atique (la dimension éthique, dira Bazin) du Voleur de bicyclette venait en grande partie d'une trouvaille (un su r­

plus de réel pour créer l'illusion) : un tas de mégols que de Sica avait glissé dans la poche du gam in pour le faire pleurer (lui et nous pendant toute une génération).

La sensuelle A nita Ekberg, qui se baignait avec délice dans la fontaine de Trevi, c’est d ’abord une « doublure » (triste fonction) figée, les bras en l’air avec derrière tout un arsenal de gare m arc h an d e : rails, grue, toute une population de colporteurs, de c o m m e rç a n ts : imprésarios, starlettes, et des badauds. U n m onde entre l’efTet produit et com m ent on le fait produire !

Avec Antonioni, c'est l’irruption d ’un nouveau cinéma, d ’un nouveau type de com portem ent, et ses retombées : l’identification grossière à un tragique de l’existence hum aine qui, mal assimilé, conduira Ellide (la femm e de Gianni) au suicide, inutile, ridicule.

Alors surtout ne pas prendre le ciném a trop au sérieux !

Car si les modèles sont à prendre (modèle des genres préexistants du cinéma italien et qui ont fait sa fortune), il ne faut pas s'y v au tre r mais jouer plutôt des effets de redoublem ent com m e effets comiques.

« Doubler » quelqu'un c’est, dans un langage imagé : vouloir prendre sa place ; ou dans un langage « ciném atographique » : faire parler quelqu’un sur le corps d ’un a u tre 2 ou l’inverse, mettre un corps autre à la place du corps référent.

Dites par mégarde : bonjour, m adam e, à un m onsieur (ou l'inverse), c’est toujours assez drôle pour celui qui le dit et se rend com pte de son erreur ; c'est, pourrait-on dire, l’effet de défroque ; on prête une voix à un corps, qui l'espace fugace d'une première représentation apparaît com m e travesti, faux, un corps vidé, réduit au sac de chiffon qui l’entoure. Et ça n'a rien de drôle ; mais c’est justem ent de cette première image angoissante reléguée par la seconde (le cons­

tat de l’erreur) que le rire jaillit et décharge.

La scène d ’Ellide est com m e l’expression inversée (comi-tragique) de cette double représentation. Pour com m uniquer à Gianni son am o u r p ou r lui, son mal-étre et son adultère (tout ça dans le même sac), elle fait sortir sa voix d ’un m agnétophone (une boîte en fer, une mécanique) q u ’elle lui présente. Cela veut dire qu’elle croit à la substitution possible de son corps par une boite. C'est elle qui appelle l'arrêt fatal de la première représentation (angoissante).

Dans la scène suivante, en effet, un tas de tôle empilée (le cimetière de voitures) est la m arque du corps absent, de la substitution opérée. Il y a donc un comique cruel qui joue directem ent sur le corps et son éviction, mais il y en a un autre qui joue de ses déplacements, c ’est-à-dire de sa circulation épisodique à l’intérieur de places (rôles et statuts sociaux) qui, com m e les défroques, s'em- pruntent, s'octroient, tom bent mal ou tom ben t un jour.

Souvent ce sont les autres qui vous y m ettent ou alors on s’y laisse prendre com m e à un piège. L e héros com ique. lui. n 'a ja m a is de place, il les essaie toutes. A ntonio est de ceux-là (il occupe une place m ouvante assez bas dans l’échelle sociale). Au début du film, il em pru nte le jargon médical hypertrophié (du genre : il a de la vasculo-cardio-érectomie) pour séduire Luciana ; et elle de

74 Critiques.

3. C ’esi sans doute là que s ins­

crit la spécificité (et la densité) d'une ceriaine tendance du ci­

néma comique ita lie n . Delitto d'iimore. A cheval sur le tigre.

etc., l'insertion du politique qui clive: l'amour, l'amitié n'est pas au-dessus des classes, con­

trairement à un vieux rêve de la bourgeoisie qui est de donner à voir une co m m unauté hété­

rogène . Vincent. François. Paul et les autres, unis par une amitié qui dure au-delà des classes.

lui répondre : « Mais alors, tu es un peu docteur ! » « En som m e », dit-il. Elle lui confirme par là que son costum e d'e m p ru nt ne lui va pas trop mal.

Dans la séquence du tournage de La Dolce Viia, Antonio vole dans les plumes de l'imprésario véreux de Luciana. Alors qu ’il projetait de faire occuper à son adversaire la place du malade restée vide, à l’arrière de son ambulance, c’est lui, le brancardier, qui s’y retrouve : « Ma sono dietro allora ! » Il y a eu double perm utation de place (de rôle), c’est l’histoire de celui qui, croyant voler, s'y retrouve doublem ent (volé) : et de son projet et de son maigre butin.

Enfin la fameuse scène du parking. Antonio retrouve Gianni en train de faire les gestes du « parcheggiaiore » (gardien de parking). D ’office il croit deviner une dégringolade sociale identique à la sienne (Gianni. avocat rétrogradé par- cheggiatore). Et c’est sur le terrain d’un leurre q u ’il renvoie à Gianni le statut que celui-ci ne peut dém entir puisqu'il a trahi leur idéal com m un d'abolition des classes. Dans ce quiproquo burlesque, il le ram ène à son être dérisoire, il le dépouille de lu défroque de riche gestionnaire que son mariage avec la fille du m arquis lui avait permis d'endosser. Et tout le monde est joué (fu n y perd sa clairvoyance, l'autre son statut). Cependant quelque chose passe, l’émotion d ’un bonheur passager de l'amitié retrouvée au-delà des classes, qui ne peut avoir com m e terrain d ’élection que celui d une illusion (d'un mensonge nécessaire)3.

On pourrait rappeler l’« instance de la lettre volée » (lettre de classe) où une vérité circuie (le signifiant : la place) et les sujets acteurs se relaient dans leur dé-place-ment au cours de cette répétition (au sens répétition d'un jeu scénique et m écanisme de répétition) intersubjective.

Cette gravité n ’est plus celle du film, mais de Scola et de son film on retiendra plutôt : savoir rire de soi. de sa place octroyée, em pruntée (celle de m etteur en scène ou d'acteurs, par exemple), pour faire rire les autres.

Danièle DUBROUX.

Sur

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