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1.3 L’Asie Centrale au cours du Paléogène : allers-retours d’une mer disparue

1.3.2 Paléogéographie et stratigraphie paléogène en Asie Centrale

Datation et extension des incursions marines paléogènes

Le mer a envahi cinq fois notre zone d’étude entre le Crétacé supérieur et la fin de l’Éocène avant de se retirer définitivement vers l’ouest (Burtman et Molnar,1993; Lan et Wei, 1995; Burtman,2000; Bosboom et al.,2011). Cette mer était initialement connectée au domaine de l’Arctique avant son retrait et sa séparation une fois le détroit de Turgai fermé. Formellement, le terme de Paratéthys, tel qu’il a été défini, ne s’applique qu’après la transition Éocène-Oligocène (Dercourt et al.,1993; Rusu et al.,2004). Notre étude étant antérieure à ceci, nous appellerons cette large mer la Proto-Paratéthys bien que certains auteurs l’aient nommée précédemment la mer Tadjike, la mer du Tarim ou encore la mer de Turan (e.g. Burtman et Molnar,1993; Popov,

2004).

D’après la littérature chinoise, la première incursion marine en Asie Centrale a eu lieu au début du Crétacé supérieur avec une transgression au Cénomanien précédant une régression au Turonien supérieur. Il s’agissait d’une mer large, stable, peu profonde et largement connectée aux domaines de la Téthys et de l’Arctique. Une fois partie, la mer revient en Asie Centrale au Coniacien avant de se retirer de nouveau au Maastrichien. On y trouvait de nombreux récifs carbonatés à rudistes montrant un environnement de plate-forme peu profonde. Les corrélation faunistiques montrent que le Tarim était alors en contact avec la subprovince de l’est de la Méditerranée (Lan et Wei,1995).

Figure 1.7 –Évolution de la paléogéographie de l’Asie au cours du Cénozoïque : à la limite Crétacé-Paléogène, 65 Ma (a.) ; à l’Éocène, 50 Ma (b.) ; à l’Oligocène, 35 Ma (c.) et au Miocène, 20 Ma (d.). Source des cartes paléogéographiques : http://jan.ucc.nau.edu/rcb7/ (Blakey, NAU).

Au Paléogène, la Proto-Paratéthys est une vaste mer peu profonde avec un environnement de faible énergie. Les huîtres constituent la principale faune préservée et sont adaptées à une eau de mer chaude relativement stable, de salinité normale et de faible énergie.

Au début de la troisième transgression marine, les communautés de Pycnodonte camelus-Eomeretrix suzaklensis et Ostrea bellovacina-Panopea corrugata s’installent dans le bassin du Tarim et sont associées avec les foraminifères Globorotala angulata, Nonionellina pizarensis, Anomalina luxoversis ainsi qu’avec l’assemblage de gastropodes Niso angusta-Turritella edita, indiquant un âge Paléocène (Lan et Wei,1995). Par ailleurs, l’huître Ostrea bellovacina est retrouvée dans le bassin du Fergana et jusqu’en Europe occidentale (Angleterre, France et Belgique) montrant une large ouverture de la mer vers l’ouest (Lan et Wei,1995). L’espèce Flemingostrea hemiglobosa qui colonise l’Asie Centrale à la suite de la communauté Ostrea bellovacina-Panopea corrugata est

Figure 1.8 –Incursions marines en Asie Centrale au cours de l’Éocène. a. Troisième incursion marine dont la transgression est datée du Thanétien (Paléocène sup.) et la régression de l’Yprésien (Éocène inf.). b. Quatrième incursion marine dont la transgression est datée du Lutétien et la régression à environ -41 Ma. c. Cinquième incursion marine dont la transgression est datée du Bartonien supérieur et la régression du Priabonien inférieur. d. Évolution générale du niveau marin dans le bassin du Tarim au cours des derniers 100 Ma. La période qui nous intéresse comprend les trois incursions marines paléogènes, du Paléocène à l’Éocène supérieur. Modifié et adapté d’après Bosboom (2013).

retrouvée dans le bassin Tadjike, au nord de l’Afghanistan, en Iran, au nord de l’Afrique ainsi qu’en Europe de l’ouest (France et Belgique) (Lan et Wei, 1995). Ceci témoigne d’une large extension de la mer au Paléocène et à l’Éocène inférieur à travers le continent Eurasiatique.

Au cours de la quatrième transgression, la communauté à huîtres Ostrea strictiplicata-Ostrea cizancourti colonise l’ouest du Tarim. Elle est associée d’une part avec l’assemblage de

gasté-ropodes Cerithium tristichum-Niso constricta daté du Cusien (Yprésien supérieur) dans le bassin de Paris, d’autre part avec les foraminifères benthiques Anomalinoides, Cibicides entendus et C. artemi qui sont des taxons courants de l’Éocène dans le bassin de Paris (Lan et Wei,1995). Par ailleurs, la communauté est retrouvée dans des sédiments ukrainiens datés de l’Éocène inférieur à l’Éocène moyen (Lan et Wei,1995). En plus d’indiquer une large ouverture de la mer jusqu’en Europe de l’ouest, ceci nous permet de dater la quatrième transgression marine vers la fin de l’Éocène inférieur (il y a environ 48 Ma). Une approche combinant magnéto- et biostratigraphie, a permis de dater les derniers sédiments marins de la section d’Aertashi (correspondant à la fin de la quatrième régression majeure) à ∼41 Ma (fin Lutétien-début Bartonien, Bosboom et al.,

2014b). L’espèce Sokolowia buhsii, datée de l’Éocène moyen (Lan et Wei,1995; Lan,1997) affleure

à travers toute la Paratéthys en Asie centrale (Vyalov,1937), au nord-ouest de l’Afghanistan (Berizzi,1970), au nord de l’Iran (Grewingk,1853) et jusque dans le bassin Transylvanien en Roumanie (Rusu et al.,2004). Ceci témoigne encore d’une large ouverture de la Proto-Paratéthys au cours de cette quatrième incursion marine.

Finalement la cinquième et dernière incursion marine entraîne la formation d’une mer très étroite reliant les bassins du Tarim, Tadjike-Afghan et Ferghana, avec des eaux peu profondes, mais contenant un biotope prospère (Lan et Wei,1995). L’extension des faunes de cette incursion marine est beaucoup plus réduite que précédemment. L’espèce Platygena asiatica affleure au Soudan, au nord de l’Afrique et essentiellement en Asie Centrale. Les espèces Ferganea bashibula-keensis et Cubitostrea tinashaneensis montrent une extension encore plus restreinte et n’affleurent que dans les bassins du Tarim, du Ferghana et Tadjike. D’après les datations biostratigraphiques issus de la littérature chinoise, la transgression de cette mer se serait faite à la fin de l’Éocène moyen et sa régression à l’Oligocène inférieur (Lan et Wei,1995). Cependant, une récente étude combinant bio et magnéto-stratigraphies a permis de préciser l’âge de la cinquième et dernière incursion marine. Elle a ainsi été datée à la section de la Mine (Figure1.2) entre le Bartonien supérieur et le Priabonien inférieur soit entre ∼-38,0 Ma et ∼-36,7 Ma (Bosboom et al. (2014c), Figure1.8).

D’après les corrélations biostratigraphiques, et compte tenu de la faible profondeur de la Proto-Paratéthys, les incursions marines seraient quasi-synchrones dans les bassins du Tarim, du Fergana, Afgan-Tadjike et dans la Vallée d’Alaï (Bosboom,2013; Bosboom et al.,2014a).

Lithostratigraphie des coupes paléogènes

La tectonique tertiaire n’a que peu affecté la préservation des dépôts crétacés et cénozoïques. On retrouve ainsi des sections quasi-continues de la fin du Crétacé au Néogène, de l’ouest du bassin du Tarim jusqu’au Tadjikistan. Le fort effet de foehn créé par les reliefs bordants les bassins étudiés entraîne un faible couvert végétal et un climat semi-aride à aride. Ceci laisse affleurer des sédiments relativement peu altérés et bien exposés facilitant leur étude (Figure1.9).

Les dépôts crétacés au sud-ouest du bassin du Tarim peuvent être subdivisés en quatre prin-cipales formations d’âge décroissant : Kukebai, Wuyitake, Yigezia, Tuyiluoke (Mao et Norris,

les sédiments marins correspondant aux première et deuxième transgressions marines respec-tivement (Lan et Wei,1995). Au Paléogène, cinq formations se succèdent : Aertashi, Qimugen (inférieure et supérieure), Kalatar, Wulagen, Bashibulake (Mao et Norris,1988; Lan et Wei,1995; Bosboom et al., 2011). Alternant entre sédiments marins côtiers et continentaux, elles corres-pondent aux trois dernières incursions marines dans le bassin. Finalement, à la fin du Paléogène et au Néogène les formations Kezilouyi, Anjuan et Pakabulake sont strictement continentales et témoignent de l’accélération de la surrection des Kunlun, Pamir et/ou Tian Shan. Un résumé des lithologies de chacune de ces formations est proposé en Figure1.10ainsi que le nom des formations équivalentes dans les bassins du Ferghana, de l’Alaï, et Afghan-Tadjike.

Une synthèse lithostratigaphique à travers l’ensemble des sections d’étude a été proposée par Bosboom (2013) au cours de sa thèse. Cette synthèse a constitué une base pour mon travail, me permettant de cibler les meilleurs bancs à huîtres à échantillonner. Les figures1.11,1.12et

Figure 1.9 –Affleurement des sections d’Aertashi au sud-ouest a.-b. et de la Mine à l’ouest c.-d.du bassin du Tarim. IM = incursion marine.

Figure 1.10 –Description lithostratigraphique des différentes formations en Asie Centrale entre le Crétacé supérieur et le Miocène. La nomenclature utilisée n’est pas la même selon les pays (Chine, Kirghizstan et Tadjikistan) mais les formations ayant les mêmes lithologies et le même contenu fossilifère (notamment en terme de bivalves) peuvent être corrélées à travers le bassin de la Proto-Paratéthys. Les principaux événements tectoniques et climatiques globaux et régionaux sont indiqués permettant de mieux cadrer le contexte géologique. Cette synthèse est adaptée d’après Bosboom (2013). MMCO = Middle Miocene Climatic Optimum, EOT = Eocene-Oligocene

Figure 1.11 –Lithostratigraphie des sections chinoises étudiées (légende sur la figure1.12). En rouge sont indiqués les noms des espèces dont les spécimens ont été étudiés dans les chapitres5,

Figure 1.12 –Lithostratigraphie des sections kirghizes étudiées. En rouge sont indiqués les noms des espèces dont les spécimens ont été étudiés dans les chapitres5,6et7. Les coupes complètes et les corrélations proviennent de R. Bosboom (comm. pers.).

Figure 1.13 –Lithostratigraphie des sections tadjikes étudiées (légende sur la figure1.12). En rouge sont indiqués les noms des espèces dont les spécimens ont été étudiés dans les chapitres5,

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asiatique au Cénozoïque

2.1 Climat global, du Greenhouse à l’Icehouse

Malgré les nombreuses polémiques autour du réchauffement climatique, la présence de calottes glacières et de glace de mer aux pôles montre que nous sommes actuellement dans un climat relativement froid, appelé icehouse. Le climat que nous connaissons est le résultat d’un refroidissement graduel depuis 50 Ma (Figure 2.1) dont les causes restent encore incertaines et vivement débattues. Le facteur le plus probable reste une diminution drastique du CO2 atmosphérique mais il n’est pas encore clair si ce changement est dû à une diminution d’apport de CO2via une baisse de l’activité des dorsales océaniques ou à une augmentation du piégeage de CO2via à un accroissement de l’érosion et un enfouissement de matière organique (Ruddiman,

2001).

Le début du Cénozoïque est marqué par une période globalement sans glace pérenne aux pôles, dite de greenhouse. Cette période voit notamment l’existence de plusieurs réchauffements abrupts très brefs (entre 10 et 200 ka) au cours du Paléocène et de l’Éocène : les événements hyperthermiques (voir AnnexeApour plus d’informations). Le plus connu d’entre eux se situe à la fin du Paléocène, il y a 55,5 Ma (PETM, Paleocene-Eocene Thermal Maximum ; Kennett et Stott,1991; Zachos et al.,2001; Zachos et al.,2008). Le refroidissement global commença suite à l’Optimum Climatique de l’Éocène inférieur (EECO, Early Eocene Climatic Optimum), il y a environ 50 Ma, jusqu’à la transition Éocène-Oligocène (EOT, Eocene-Oligocene Transition), il y a 33,9 Ma. Cette dernière marque le passage à un climat de type icehouse avec la formation de calottes glacières en Antarctique (Zachos et al.,2001). Entre l’EOT et la fin de l’EECO, la présence de calottes ou proto-calottes reste encore sujette à controverses. Cette période, dite de doubthouse, serait une sorte de transition entre les deux extrêmes. C’est dans ce contexte climatique global du Paléogène, transitant du greenhouse au doubthouse, que s’inscrit cette thèse.

Figure 2.1 –Évolution du climat global au cours du Cénozoïque, adapté d’après Zachos et al. (2001). Les principaux événements tectoniques et climatiques pendant cette période sont indiqués.