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4.3 Géochimie sédimentaire et paléoenvironnements paléogènes

4.3.3 Facteurs influençant la composition isotopique des carbonates

Effets primaires

La teneur en isotopes du carbone et de l’oxygène au moment de la précipitation des carbonates dépend majoritairement de la composition isotopique de l’eau dans laquelle ils se forment (Urey,

1947).

Isotopes de l’oxygène. Au cours du cycle de l’eau, la composition isotopique en oxygène des

eaux évolue selon la loi de distillation de Rayleigh (cf. Chapitre 3). Dès lors la composition isotopique en oxygène des carbonates est caractérisée par des valeurs globalement plus légères pour les sédiments continentaux tandis que des signatures plus lourdes correspondent aux sédiments marins. Les fluctuations du δ18O des carbonates vont alors dépendre de la position dans le cycle de l’eau des différentes sources d’eau qui interagissent lors de la précipitation du minéral.

Isotopes du carbone. Nous avons vu précédemment (Chapitre3) que le carbone inorganique dissous influence majoritairement le δ13C des carbonates. Ceci est d’autant plus vrai si le car-bonate étudié n’est pas biominéralisé, l’influence du métabolisme étant dans ce cas nulle. La production primaire (isotopiquement légère) qui s’opère dans les océans entraîne un δ13CDIC

élevé dans les eaux de surfaces marines. Au contraire la dégradation de la matière organique sur le continent entraîne un δ13CDICdavantage négatif. Ainsi, des valeurs de δ13C sont généralement plus négatives pour les sédiments continentaux que pour les sédiments marins. Les facteurs régissant le δ13C étant multiples, cette tendance est toutefois à nuancer pour chaque cas étudié. Effets diagénétiques

La diagenèse des minéraux carbonatés peut altérer de manière significative la composition isotopique en oxygène initiale, modifiant le δ18O vers des valeurs très négatives à cause de l’interaction entre la calcite et les eaux météoriques à hautes températures (Dickson et Coleman,

1980). Au sein de nos coupes, les coquilles d’huîtres ont conservé leur signature typiquement marine et aucun effet diagénétique n’a été observé en cathodoluminescence (cf. Chapitres5et6). Ceci fut montré pour toutes les huîtres des sections étudiées dans cette thèse, y compris celles se situant à la base de la succession stratigraphique (formation Qimugen, espèces O. bellovacina et F. hemiglobosa). Par ailleurs, les changements à haute fréquence du δ18O et δ13C des sédiments démontrent que les systèmes isotopiques ont été clos relativement tôt au cours du processus de lithification et n’ont pas été repris par des fluides au cours d’une diagenèse qui aurait dans ce cas lissé le signal.

Ainsi, la diagenèse semble avoir un effet limité, le signal primaire étant majoritairement conservé. Les facteurs climatiques, écologiques et tectoniques vont ainsi être à l’origine des fluctuations observées.

Figure 4.14 –Compositions isotopiques en carbone (δ13C) et oxygène (δ18

O) des roches carbona-tées des section d’Aertashi et de la Mine (bassin du Tarim) à travers le Paléogène et le Néogène. a. Valeurs isotopiques apportées par cette étude (cercle -section de la Mine- et carré -section d’Aertashi-) et par l’étude de Kent-Corson et al. (2009) (croix -section d’Aertashi-). b. Moyennes et écart-types pour chaque groupe de valeur distinct dans le temps (code couleur correspondant à la légende). On observe une diminution progressive du δ18O pendant tout le Cénozoïque. Le δ13

C diminue jusqu’à l’Éocène supérieur, tandis qu’il augmente ensuite jusqu’au Pliocène. Un net changement isotopique est observé entre l’Éocène moyen et l’Éocène supérieur ainsi qu’entre le Miocène et le Pliocène. Les ages des données de Kent-Corson et al. (2009) ont été révisés d’après des nouvelles données de magnétostratigraphie à la section d’Aertashi (T. Blayney, comm. pers.).

Effets locaux et lithologiques

Au cours des incursions marines (formations Qimugen, Kalatar, Wulagen et Bashibulake), la composition isotopique permet de caractériser les environnements de dépôts et les influents isotopiques majeurs des sédiments :

Formation Qimugen. Les niveaux intercalés entre les bancs de gypses dans le membre supérieur de la Qimugen à la section de la Mine ont une signature isotopique faiblement négative, notamment en terme de δ18O. Une influence marine non négligeable lors de la formation des sédiments indiquent qu’il s’agit probablement de gypse de type sebkhra (marins) plus que de type playa (continentaux). Ceci corrobore l’analyse sédimentologique faite à cette section (Figures4.5). L’évaporation en lien avec la formation de gypse peut également être responsable d’une augmentation de la signature isotopique en oxygène par distillation de Rayleigh. À l’inverse, les sédiments déposés entre les gypses de la section d’Aertashi ont une signature isotopique plus négative (Figure4.13a, pointillés marrons), typique d’un environnement continental, plutôt de type playa. Ceci est en accord avec les observations sédimentologiques faites précédemment (Figures4.4).

Formations Kalatar-Wulagen. Les variations en terme de δ18O entre la section de la Mine (relati-vement lourd) et d’Aertashi (relati(relati-vement léger) au sein des formations Kalatar et Wulagen peuvent être interprétées comme liées à une influence d’eaux continentales plus ou moins importante (Figure4.13b). Un environnement marin plus franc à la section de la Mine qu’à la section Aertashi ou une influence des rivières plus importante à la section d’Aertashi pourraient expliquer cette différence. De plus, à Aertashi, les valeurs en δ13C sont plus légères dans la formation Wulagen que dans la formation Kalatar. Ceci est en accord avec une influence plus marine dans un environnement majoritairement transgressif (formation Kalatar) qui s’oppose à une influence plus continentale dans un environnement plutôt régressif (formation Wulagen). Par ailleurs, deux échantillons provenant de sédiments caractéristiques d’un environnement tidal (Figure4.4) ont une signature isotopique par-ticulièrement négative. S’agissant des deux derniers échantillons prélevés, juste avant le retrait marin à Aertashi, il semblerait que l’influence continentale sur la composition isotopique des carbonates s’accentue progressivement dans la formation Wulagen avec le retrait définitif de la mer.

Formation Bashibulake. La distinction entre les bancs marins (Figure4.13c, tirets bleus) et les bancs continentaux (Figure4.13c, pointillés marrons) est relativement franche avec des valeurs en δ13C et δ18O plus élevées en période immergée. Toutefois, une zone est observée où les signatures isotopiques des bancs marins et continentaux sont mêlées. La variation des environnements marins et continentaux au sein de la formation de Bashibulake est relativement restreinte passant de la plaine alluviale côtière à des milieux tidaux peu profond (Figures 4.4et 4.5). Ainsi, à la jonction entre les passes marines et les passes continentales, les influences isotopiques continentales (au cours des régressions) et marines (au cours des transgressions) peuvent modifier la composition des carbonates et ainsi être à l’origine des valeurs moyennes de δ18O et δ13C. Par ailleurs, dans ces environnement très peu profonds, l’évaporation de l’eau entraîne un enrichissement en isotope lourd conduisant à des valeurs moins négatives du δ18O. Ceci peut expliquer les valeurs de δ18O autour de -6 et -7% pour les sédiments continentaux de la formation Bashibulake.

Formations Kezilouyi à Xiju. La lithologie de plus en plus grossière peut expliquer l’augmen-tation du δ13C et du δ18O à partir de l’Éocène supérieur. En effet, d’une part, les faibles énergies responsables du dépôt des mudstones laissent la possibilité d’une dégradation de la matière organique abaissant le δ13CDIC. Ceci peut expliquer des δ13C plus négatifs pour les sédiments fins (Éocène supérieur) que pour les sédiments grossiers (la granulomé-trie augmentant de l’Oligocène au Miocène, voir Kent-Corson et al.,2009). D’autre part, l’augmentation de la taille des sédiments indiquent un environnement de plus en plus proximal, qui se reflète dans des valeurs de δ18O de plus en plus négatives.

Effets climatiques et tectoniques de long terme

Actuellement, la majorité des précipitations qui atteignent notre zone d’étude est issue de masses d’air provenant de l’ouest (Figure2.3, Araguás-Araguás et al.,1998). En effet, les westerlies sont les vents les plus forts dans la région et la principale source de précipitation est l’Océan Atlantique (Aizen et Aizen,1994). Étant donné les bouleversements paléoclimatiques et tectoniques observés au cours du Paléogène en Asie (Chapitres1et2), des changements dans le climat et dans l’interaction entre les masses d’airs résultant de la modification de la topographie asiatique pourraient avoir une influence majeure sur l’enregistrement isotopique. Notamment, (1) un changement de la source des précipitations atteignant notre zone d’étude, (2) un changement dans le régime de mousson ou encore (3) une déviation des masses d’air en lien avec la surrection des montagnes asiatiques ont pu directement affecter l’évolution de la composition isotopique des sédiments au cours de Cénozoïque. Plus généralement l’évolution (4) d’un climat global de type greenhouse à un climat de type icehouse est également susceptible d’influencer la signature isotopique.

Source des précipitations. Selon le principe de la distillation de Rayleigh, plus on s’éloigne

de la source des précipitations, plus l’oxygène de l’eau est léger. Au cours du Cénozoïque, la (Proto-)Paratéthys s’est retirée progressivement vers l’ouest. L’impact isotopique de ce retrait est ainsi une diminution constante du δ18O des eaux météoriques en Asie Centrale.

Intensification des moussons. L’intensification du régime de moussons asiatiques entraîne

d’une part un arrêt des masses d’air venant des Océans Indien et Pacifique au pied de la barrière Himalaya-Tibet, d’autre part une augmentation de l’effet de quantité dans le sud-est asiatique. Ces deux phénomènes sont alors responsables d’une augmentation du δ18O en arrière du plateau tibétain (Kent-Corson et al.,2009).

Surrection des reliefs. La surrection du plateau tibétain a entraîné un transfert des westerlies

vers le nord qui a induit un décalage du gradient isotopique latitudinal des eaux météoriques avec lui (Hahn et Manabe,1975; Broccoli et Manabe,1992; Kutzbach et al.,1993). En conséquence, le δ18O des pluies au nord du plateau aurait dû augmenter avec la croissance du plateau au cours du Paléogène et du Néogène (Kent-Corson et al.,2009). Par ailleurs, la surrection des montagnes avoisinantes au cours du Cénozoïque (Chapitre1) a entraîné la création d’un effet de Foehn important augmentant l’aridité dans la région. Ce phénomène engendre une augmentation du δ18O des pluies en arrière des reliefs (Ruddiman,2001).

Refroidissement global du climat. Le climat Cénozoique a été bouleversé au cours du

Paléo-gène passant d’un monde paléocène sans glace pérenne, dit greenhouse, à un monde avec des calottes glacières aux pôles, dit icehouse, à l’Oligocène (Figure 2.1; Zachos et al.,2001). Une telle diminution des températures se reflète dans le δ18O des carbonates qui diminue avec elles (Araguás-Araguás et al.,1998).

Par ailleurs, en lien avec la diminution du taux de CO2atmosphérique au cours du Céno-zoïque, on observe un changement global majeur de la végétation avec l’émergence importante des plantes à métabolisme en C4 par rapport aux plantes à métabolisme en C3 (Cerling et al.,

1993; Cerling et al.,1997). Découplant la phase photochimique de la phase biochimique, le métabolisme des plantes en C4 fractionne moins les isotopes du carbone que celui de leurs homo-logues en C3. Il en résulte une signature isotopique plus négative de la matière organique issue des plantes en C3 que de celle issue des plantes en C4. Cette évolution peut se faire ressentir sur le δ13C des carbonates, avec une augmentation du δ13C au cours du refroidissement, notamment à l’ouest du Tarim, les plantes à métabolisme en C4 mieux adapté à la sécheresse sont abondantes (Sun et Wang,2005; Quan et al.,2012).