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2.2 Évolution et intensification des moussons au Cénozoïque

2.2.2 Les moussons asiatiques : forçages

Bien que le phénomène de mousson se retrouve également sous les tropiques africains et sud-américains (Ruddiman,2001), la mousson asiatique reste la plus intense et la plus brutale sur Terre. Ceci est lié à plusieurs phénomènes géomorphologiques distincts :

- une position latitudinale adéquate du continent asiatique au delà de 10de latitude et au nord de l’Océan Indien (Ramstein et al.,1997; Fluteau et al.,1999; Allen et Armstrong,

2012) ;

- un large continent favorisant un climat hyper-continental sur les terres émergées amplifiant le contraste thermique entre terres et mers (Ramstein et al., 1997; Fluteau et al.,1999; Zhang et al.,2007a) ;

- de nombreux océans (océan Indien, océans Pacifique sud et nord, Mer de Chine Méridio-nale) à l’origine de sources d’humidité variées (Zhang et al.,2007b) ;

Figure 2.3 –Représentation schématique de l’extension maximale des masses d’air contrôlant les zones climatiques et les régimes de précipitations en Asie. Lorsque la différence entre les compositions isotopiques des pluies estivales (δ18Os) et hivernales (δ18Ow) est positive, la com-position isotopique météorique est principalement influencée par la température (zone jaune). À l’inverse, lorsque la différence δ18Os18Owest négative, la composition isotopique météorique est principalement influencée par la quantité des précipitations (zone bleue). La ligne en pointillée qui sépare ces deux zones coïncide avec la zone d’extension maximale de la ZCIT pendant l’été. Compilation d’après des données d’Araguás-Araguás et al. (1998).

- une barrière orographique crée par les reliefs asiatiques (Himalaya-Tibet) bloquant les circulations atmosphériques (Hahn et Manabe,1975; Prell et Kutzbach,1992; Boos et Kuang,2010).

Influence des reliefs

De par la complexité des interactions entre tectonique et climat, la surrection des reliefs asiatiques et son influence sur le climat de moussons a suscité de nombreuses études. Prell et Kutzbach (1992) furent les premiers à faire un lien explicite entre l’altitude actuelle du plateau tibétain et l’intensité des moussons. La plupart des scientifiques s’accordent sur le fait que la mousson est-asiatique est principalement affectée par le plateau du Tibet, alors que l’Himalaya joue un rôle majeur sur la mousson sud-asiatique (voir Molnar et al.,2010pour une synthèse). Cependant le rôle du plateau tibétain est encore vivement débattu et deux écoles semblent s’opposer. En effet, le Tibet peut interagir avec l’atmosphère de deux façons :

(1) en tant que barrière physique à la dynamique atmosphérique et au cycle hydrologique (Molnar et al.,2010; Boos et Kuang,2010) ;

(2) en tant que masse continentale : le réchauffement de la surface du plateau amplifie le gradient thermique favorisant une convection atmosphérique ascendante à son niveau (Wu et al.,2012a; Wu et al.,2012b; Liu et al.,2012).

En fait, il semblerait que les différentes zones du Tibet n’influencent pas de la même manière les moussons asiatiques. Par exemple, Chakraborty et al. (2002) proposent que les hautes montagnes du Karakorum, l’ouest de l’Himalaya ainsi que l’ouest du Tibet ont une grande influence sur l’intensité de la mousson sud-ouest asiatique. Au contraire, la mousson est-asiatique serait davantage influencée par l’est du plateau ainsi que par les températures du Pacifique ouest. Par ailleurs, d’une part la forte topographie agirait comme une source de chaleur créant une barrière pour les vents à l’origine du mécanisme de la mousson sud-asiatique. D’autre part, la mousson de l’est pourrait résulter davantage du fait que le plateau tibétain bloque les courants jets qui passent au sud du Tibet l’hiver et au nord l’été (Allen et Armstrong,2012).

Influence de la répartition des continents et océans

Plus le contraste thermique entre océan et continent est important, plus la mousson va être intense. Au cours du Cénozoïque, l’évolution de la paléogéographie asiatique aurait accentué ce contraste de deux principales manières.

D’une part, le retrait d’une mer épicontinentale, la (Proto)-Paratéthys ainsi que la fermeture du Détroit de Turgai à la transition Éocène-Oligocène auraient amplifié la continentalisation en arrière de la collision Inde-Asie (Ramstein et al., 1997; Fluteau et al.,1999; Zhang et al.,

2007b). D’autre part, l’ouverture progressive de la Mer de Chine méridionale serait à l’origine

d’une source d’humidité supplémentaire accentuant l’intensité des moussons, notamment de la mousson est-asiatique (Zhang et al.,2007b) (cf. Figure1.7pour l’évolution de la paléogéographie).

Influence de la position latitudinale des continents et de la ZCIT

La ZCIT est une caractéristique dominante de la dynamique atmosphérique intertropicale et joue un rôle crucial dans la génération et le maintien du climat global et de sa variabilité (Armstrong et Allen,2011). Les déplacements de la ZCIT seraient la principale façon pour les tropiques de répondre au changement climatique à différentes échelles de temps et à l’origine du mécanisme d’initiation des moussons (Chao et Chen,2001). Récemment, l’intensité des moussons hivernales comme estivales a été fortement influencée par des changements climatiques globaux menés par la variabilité des paramètres orbitaux à des échelles de temps de dizaine de milliers d’années (par ex. Clemens et Prell, 2007). Ces fluctuations se superposent d’une part à une évolution à long terme liée à l’évolution tectonique de la Terre, principalement du continent asiatique et de l’Océan Indien, et d’autre part aux cycles orbitaux de la Terre modulant la migration de la ZCIT entre étés et hivers. Par exemple, au Miocène inférieur, les ZCIT estivale et hivernale étaient confondues et se situaient au niveau de l’Himalaya. Cela aurait ainsi entraîné une intensification des précipitations aussi bien estivales qu’hivernales (Figure2.4, Allen et Armstrong,2012). À la fin du Miocène, la position plus au nord du front himalayen et le début de

migration vers le sud de la ZCIT hivernale entraînent la réorganisation du système de mousson avec des étés humides contrebalancés par des hivers secs.

Figure 2.4 –Évolution de la position de la zone de convergence intertropicale et du système Himalaya-Tibet au cours de la fin du Cénozoïque. Conséquence sur le régime de mousson. Modifié d’après Allen et Armstrong (2012).