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P OLITIQUES DES TEMPS ET DIFFERENCES SOCIALES

Dans le document Les nouveaux rapports au temps (Page 56-59)

Temps et services publics

II. P OLITIQUES DES TEMPS ET DIFFERENCES SOCIALES

Ce rapide parcours met donc bien en évidence la diversité des questions temporelles associées au secteur public et le caractère pratique pour les usagers des conséquences de telle ou telle orientation. Il laisse aussi transparaître qu'au delà de telle ou telle mesure phare, visible et consensuelle, une action sur les temps des services publics touche aussi des questions sociales.

Les anciens de la recherche urbaine des années 1970 se souviennent de la DESE, la fameuse division économique et sociale de l'espace, terme un peut oublié même si la chose qu'il visait n'a pas vraiment disparu. Il faudrait aujourd'hui aborder la DEST, la division économique et sociale du temps. Derrière les choix temporels des services publics se dessinent en effet des rapports de forces entre différentes composantes de la société.

Le temps des villes et l'espace des campagnes

Une première ligne de partage se trouve entre les villes et l'espace rural. Des effets d'inertie et des choix d'aménagement du territoire conduisent à une suroffre (rapportée au nombre d'habitants) de certains services publics dans les zones rurale, alors que des besoins se font sentir dans les zones urbaines de banlieue. Les principes de solidarité territoriale semblent assez ancrés en France et cette question n'est pas vraiment l'objet d'un débat. La question commence toutefois à se poser. Elle a été abordée lorsque les pouvoirs publics ont voulu rendre effective une plus grande présence policière dans les banlieues populaires. On a alors pris la mesure des différences entre la couverture rurale par la gendarmerie et la couverture urbaine par la police. Lorsque le 27 janvier 1999 le conseil de sécurité intérieure a prévu une affectation de 7000 agents supplémentaires dans les 26 départements les plus touchés, cela s'est traduit par un appel conjoint à la police et à la gendarmerie. Celle-ci a été appelée à renforcer sa présence dans les espaces péri urbains aux franges de son territoire d'intervention, mais aussi à intervenir directement dans des zones urbaines traditionnellement dévolues à la police2.

La question est abordée de manière plus polémique à propos de la poste. Depuis plusieurs années la direction de la Poste et le Sénat sont engagés dans une discussion vive sur le maintien des bureaux de Poste en milieu rural. Le Sénat, qui comme on le sait surreprésente le monde rural, s'est fortement ému de projets de fermeture de bureaux de poste. C'est que, comme le reconnaît un rapport de Gérard Larcher3, près d'un cinquième des 17 000 point de contact postaux continuent à enregistrer moins de deux heures d'activité par jour. Mais derrière la suppression du bureau de poste, les élus (peut-être tout autant que les usagers ?) voient un signe d'abandon. La question a été suffisamment sensible pour que le 10 mai 1993 un moratoire soit décidé et qu'ensuite la loi 95-115 du 4 février 1995 (orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, dite "loi pasqua") encadre fortement les fermetures de bureaux. Et c'est aujourd'hui à ce sujet le statu quo qui prévaut. Le débat s'est alors déplacé sur la question des horaires d'ouverture. La poste a en effet réduit l'amplitude horaire de certains bureaux.

Cette orientation, quelque soit le caractère limité de son ampleur est suggestive en termes prospectifs. En effet, un partage se dessine. D'un côté, l'espace rural où la question de la proximité est essentielle mais dans lequel on eut transiger sur les horaires de présence. La réponse typique prend alors la forme de maisons de services publics dans lesquelles de nombreux services peuvent être représentés...mais pas tout le temps. Dans d'autres cas des

1 Annonce faite par Laurent Fabius le 14 novembre 2000 dans un discours à l'assemblée nationale.

2 Le déséquilibre territorial n'est pas qu'entre la gendarmerie et la police. Le ministère de l'intérieur souhaiterait aussi fermer certains commissariats de petites villes au dessous de 20 000 habitants : Aichoune Farid, "Police gendarmerie, le redéploiement ensablé", Le Nouvel observateur, 18 janvier 2001, p. 10.

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services comme les CAF ouvrent des permanences sur un demi journée dans certains bourg. De l'autre côté en milieu urbain, des efforts sont engagés pour un élargissement de l'amplitude horaire ou pour une présence plus prolongée des forces de sécurité publique. Aux uns on donnerait donc de la proximité et aux autres du temps.

Les usages sociaux des temps

Lorsque Libération1 présente les expériences des "bureaux des temps" c'est sous le titre "La ville à l'heure des femmes". Ce mouvement apparaît ainsi comme une des composantes de l'affirmation du droit des femmes2. Ce n'est pas un hasard. La pression sur les horaires n'apparaît vraiment que lorsque la division sexuelle des tâches se trouve déplacée. Et comme malgré l'accès au travail les femmes conservent en moyenne une part plus importante des tâches liées à la vie domestique ce sont elles qui en majorité prennent un temps partiel pour s'occuper des enfants le mercredi ou qui sont sensibles aux horaires de fermeture des crèches. Il y a clairement entre la sphère domestique, celle de l'entreprise et celle des services publics un rapport de force pour déterminer qui sera le plus flexible.

Derrière le partage des genres d'autres différentiations sociales dans la relation au temps des services publics se font jour. L'observation des relations établies par les usagers avec les administrations et services publics permet de dessiner aujourd'hui une ligne de partage tout à fait suggestive au sein de notre société contemporaine. Pour toute une partie de la société intégrée le contact établi avec les guichets des services publics et administration semble progressivement s'évanouir. Hormis lors d'événements qui marquent la vie (mariage, divorce, déménagement, ..), les classes moyennes et supérieures françaises salariées vivent hors de tout contact régulier avec ces services. Un passage à la poste pour déposer un colis ou rechercher une instance, un séjour à la mairie pour une fiche d'état civil (jusqu'à ce qu'on découvre que l'on pourrait bien se passer de ces fiches et qu'on les supprime à partir de décembre 20013)... pour le reste les relations administratives relèvent d'une routine largement prise en charge par les logiciels de ordinateurs administratifs le prélèvements ou versements automatiques et quelques échanges de courrier. L'attente est alors pour encore plus de distance et de rapidité. Mais pour ceux qui ne participent pas de ce courant central, la relation aux administrations est plus centrale et plus vitale. Que vous soyez chômeur et vous découvrirez les services de l'ANPE et des ASSEDICS, que vous soyez étrangers et ce sont les joies des visas et autorisations en préfectures qui vous attendent, et si vous relevez des minima sociaux vous connaîtrez les files d'attentes aux CAF et CNAM pour savoir où vos en êtres de vos droits (RMI, carte santé..). Vous avez plus de chance d'entrer en contact avec les services chargés des arriérés de paiement EDF ou de France télécom. Vous serez aussi tentés de faire partie de ceux qui attendent de longues heures aux services d'urgence de hôpitaux pour accéder à un services médical plus social. Et comme par hasard, parmi ces services publics se trouvent justement ceux qui sont le plus mal notés par les usagers 4.

La relation au temps des services publics n'est alors pas la même que pour des salariés intégrés. C'est pour eux surtout, on l'a vu, que le temps accordé pour bien résoudre un dossier complexe est essentiel, plus important que le temps gagné à ne pas attendre avant d'être reçu. Mais d'un autre côté ce sont eux qui sont les plus sensibles au respect administratif de certains délais. Un décalage de quelques jours du paiement des allocations familiales est à peine remarqué par une famille de classe moyenne. Un retard d'un jour dans le transfert sur le compte postaux du RMI peut conduire à de graves désordre dans certains bureaux de poste5.

Il faut aussi ajouter dans cette partie la question des conflits d'usage entre différentes catégories sociales. Un même service peut être désiré en effet au même moment par différentes composantes de la population. Une réponse de type marchand peut alors être proposée. Cela a été en particulier la solution promue par la SNCF lors de la création du TGV. Alors que fièrement lors de la création de ce nouveau mode de transport cette société annonçait que le tarif ne serait pas changé, elle instaurait une politique de suppléments qui conduit à une séparation sociale dans le temps. Pour reprendre un slogan de cette entreprise on peut dire que le progrès est partagé par tous, mais pas aux mêmes moments.

1 Nathalie charvet, Libération, 2 avril 2001 spécial emploi

2 Cette composante féministe est aussi présente dans le mouvement social qui a amené en Italie l'inscription en 1990, dans la loi de réorganisation des compétences communales, des politiques temporelles.

3 Ceci a été décidé par le comité interministériel à la réforme de l'Etat le 12 octobre 2000. Désormais les fiches qui étaient demandées par exemple pour passer un concours administratif ou un permis de conduire seront remplacées par une photocopie de la carte d'identité. On estime à 60 millions le nombre de fiches qui étaient demandées chaque année.

4 Toujours d'après l'enquête famille de France. On reproche à ces services la difficulté de joindre au téléphone, des temps d'attentes importants et un mauvais accueil et l'impression que les "usages n'ont pas le choix".

5 Au début du mois de janvier 1999, suite à une surcharge des opérations l'ordinateur de la poste (réseau informatique de liaison Kéops) a déclaré forfait à Marseille et à Lille, les forces de police ont dû intevenir pour garder l'entrée de certains bureaux de poste. Cette question a été régulièrement abordée par Suzanne Rosenberg.

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Usagers Vs agents

Il faut enfin aborder un dernier conflit d'intérêt essentiel pour la question qui nous préoccupe ici, celui qui oppose les usagers aux agents des services publics. La question est en France tant dans le discours administratif que dans celui des chercheurs, un tabou. Il y a de bonnes raisons à cela. Lorsque Michel Rocard a engagé le "renouveau du service public" en 1989 il l'a fait en partant du principe que le service public serait à lui-même son propre recours et que les agents étaient porteurs des intérêts collectifs. C'était là établir une forte rupture avec le modèle anglais qui repose sur une suspicion porté sur les agents.

Cependant alors que cette position était tout à fait tenable lorsqu'il s'agissait d'aborder la question de la qualité de service, ceci risque d'éclater avec la question des temporalité. Cette question a été mise sur l'agenda avec les négociation sur les 35 h. La doctrine qui prévaut , fondée sur un modèle "gagnant gagnant" est quelles souplesses autorisées par la mise en place des 35 h doivent compenser la perte de disponibilité née d'une réduction du temps de travail sans programme substantiel d'embauche. L'écoute des usagers et une certaine capacité d'adaptation comme par exemple une ouverture des bureaux entre midi et deux heures. Mais sans embauche des programmes ambitieux comme la création de deux équipes de 6h pour une ouverture des bureaux en continu sur 12 h sur le mode romain ou finlandais ne peut être envisagées, une solution reposant sur quatre jours de 9h est plus envisageable mais elle suppose une baisse proportionnelle du nombre d'agents présents.

Mais même en augmentant le nombre des agents au guichet on ne lève pas toutes les difficultés. En effet, ceux ci n'ayant pas un mode de vie différent de celui des usagers souhaitent justement aussi être disponibles aux moments mêmes où les usagers souhaitent voir les services publics ouverts. Difficile d'accorder dans le cadre de la réduction du temps de travail le mercredi aux mères de famille, pas plus qu'on ne se bouscule pour travailler le samedi. Il est très clair que la réalisation des travaux de nuit sur les voies autoroutières urbaines est un plus pour l'usager, il n'est pas sûr que l'augmentation du travail de nuit soit un bienfait pour ceux qui l'accomplissent1. Les supermarchés se sont aujourd'hui bien adaptés aux variations de flux des acheteurs et à l'ouverture de la plage horaire, mais c'est au prix d'une flexibilité maximale du travail avec des journées de travail des caissières constituées de collages de séquences de travail et de non travail et des temps partiels subis. Faut-il souhaiter cela pour le service public ?

L'adaptation des horaires des administrations et services publics aux nouvelles conditions de la vie urbaine, peut passer en partie par une plus grande intelligence dans l'organisation du travail, elle doit aussi se traduire par des arbitrages entre les intérêts des usagers et ceux des agents.

Conclusion

Derrière des mesures qui ne semblent relever que du "bon sens" se dessinent des partages sociaux autour de l'accès à l'administration et aux services publics. Pour reprendre l'exemple cité en ouverture de l'ouverture des crèches jusqu'à 18h30, la mesure est socialement tout à fait ciblée (les jeunes parents biactifs urbains). D'autres catégories sociales attendraient d'autres aménagements. Il faut donc arbitrer entre le temps accordé aux uns et aux autres (relation entre ville et campagne, ou conflit d'usage entre différentes catégories sociales sur les heures de pointe), entre différentes conception du temps (de plus en plus de branchement de distance et de rapidité pour les uns, une attente de temps à donner pour les autres), et finalement entre les intérêts des producteurs et des consommateurs qui sont aussi d'une certaine manière actionnaires de ces services publics. Faute d'une prise en compte réelle de ces tensions sociales on risque bien de ne pas aller au-delà de quelques mesures gadget.

1 Cf. enquête conduite avec Frédéric de Coninck sur l'application des 35 h pour l'équipe de gestion d'une voirie urbaine en région parisienne.

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La conciliation entre vie professionnelle, vie familiale et vie personnelle :

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