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quartiers défavorisés

1. Le quartier de Hunts Point dans le South Bronx (New York)

1.2. Une péninsule industrielle accablée de nuisances Du district alimentaire au quartier rouge

En 1967, la Ville de New York construit le Hunts Point Terminal Market – aussi désigné sous le nom de Food Distribution Center (FDC) –, pour remplacer le Washington Market de Lower Manhattan. Couvrant 133 hectares de la péninsule au bord de l’East River, et employant environ 6 000 personnes, il est aujourd’hui l’un des plus importants marchés de gros alimentaire au monde (Fainstein, 2006 ; Jackson, 2010). Le FDC inclut le New York City Terminal Produce Market (marché aux fruits et légumes) (photographie 2.3.), le Hunts Point Cooperative Meat Market depuis 1974, consacré au commerce de la viande, et le New Fulton Fish Market depuis 2005, consacré au commerce de poissons.

solid ice. Rent was cheap, around 150 dollars a month for an apartment. Now you pay 1 200 dollars. » (Charles, entretien, 20 mars 2012).

67 Dans un contexte similaire, voir l’enquête de Philippe Bourgois (1995) menée à East Harlem dans les années 1980 sur le commerce du crack : In Search of Respect : Selling Crack in El Barrio, Cambridge University Press, New York.

68 « At that time Hunts Point was terrible. There were prostitutes all over the place, you saw girls walking with no panties on, no nothing. It was drug infested over here with heroin and cocaine. Then crack came in later, in the 1980s. I had a friend of mine, he was a heroin addict. He was getting it through the Meat Market, at the back of the trucks. They also found him and his girl chopped up in cardboard boxes, in thirty-seven pieces. He had a little club where he was playing poker and stuff on the weekend. People asked me to identify his body. Hunts

Photographie 2.3. : Le marché de gros aux fruits et légumes de Hunts Point (New York City Terminal Produce Market)

L’entrée du New York City Terminal Produce Market, au sud de la péninsule de Hunts Point.

Source : F. Paddeu, 2012.

Il appartient à la Ville jusqu’en 1986, mais est possédé et géré par une coopérative de commerçants. Par le FDC transite l’essentiel de la nourriture consommée dans l’une des plus grandes métropoles au monde : au début des années 2000, il permettait de nourrir plus de 30 millions de personnes dans le grand New York. Il génère aussi d’importants revenus, avec un chiffre d’affaires annuel de plus d’1 milliard de dollars pour le New Fulton Fish Market et de plus de 2 milliards de dollars pour le Terminal Produce Market. L’ensemble est actuellement en train d’être modernisé (Hunts Point Task Force, 2005 ; Fainstein, 2006). L’installation du Terminal Produce Market en 1967, permis par la disponibilité d’un foncier à bas prix, a enclenché un processus de spécialisation alimentaire du quartier. Outre l’attraction qu’il a suscitée sur le Meat Market et le Fish Market qui l’ont rejoint plus tard, le FDC est aujourd’hui le cœur d’un district alimentaire au sud de Hunts Point. Celui-ci est constitué de grossistes – pour la plupart de petites entreprises familiales – spécialisés dans la distribution, la transformation ou le conditionnement alimentaire. On y trouve aussi des entreprises plus importantes, comme Baldor69. Il y aurait ainsi environ 25 000 employés travaillant dans 800

69 Créée en 1991 et basée à Hunts Point, Baldor Specialty Foods – à l’origine un étal de fruits Balducci installé à Greenwich Village en 1946 – est aujourd’hui l’une des plus importantes entreprises spécialisées dans l’importation et la distribution de fruits et légumes frais et de spécialités alimentaires préparées sur la côte Est

entreprises spécialisées dans le secteur agro-alimentaire basées à Hunts Point (Jackson, 2010). Cette spécialisation alimentaire s’est accompagnée du développement d’un secteur économique informel, celui de la prostitution. L’essor du commerce sexuel a suivi l’arrivée du marché de gros, et Hunts Point est aujourd’hui avant tout connu comme un « quartier rouge »70. Les emplois du FDC étant presqu’intégralement occupés par une population masculine, et le marché drainant environ 13 000 camions quotidiennement (Parrilla, 2006 ; NYC Mayor’s Office, 2013a), le rôle des routiers comme clientèle originelle a été particulièrement incriminé et rappelé très fréquemment par nos enquêtés. Cette péninsule, qui abrite déjà des activités illicites comme le trafic de drogue, est industrialisée, isolée et marginalisée – mal desservie par les transports en commun mais située près d’une sortie d’autoroute –, ce qui a permis que s’installe durablement la prostitution. La plupart des prostituées n’habitant pas le quartier, elles sont perçues par les habitants locaux comme une énième nuisance – qui plus est considérée par certains de nos enquêtés comme moralement dégradante, salissant l’image du quartier – liée à la présence du Food Market. Le développement de la prostitution a aussi suscité l’installation de nombreux clubs de strip-tease (photographie 2.4.).

américaine.

Photographie 2.4. : Un club de strip-tease de Hunts Point, non loin de la zone industrielle

Devanture du club de strip-tease Heat, aux abords du Food Distribution Center, au sud de la péninsule de Hunts Point.

Source : F. Paddeu, 2012.

Ce phénomène fut en partie la conséquence de la politique mise en place par l’administration Giuliani (1994-2001) pour lutter contre l’industrie du sexe à Manhattan. La modification du zonage de la ville en 1995 par le New York City Council, interdisant les établissements sexuels dans certaines zones commerciales – et notamment Times Square, principalement visé – a provoqué leur relocalisation en périphérie, entre autres à Hunts Point.

Une industrialisation massive et polluante

Les installations industrielles occupent la majeure partie de la superficie de la péninsule : outre le FDC, de multiples stations d’épuration des eaux, stations de traitement des déchets, dépôts de bus et autres infrastructures indésirables sont présentes. En 2010, 20,2 % du territoire du Bronx Community District 2 est consacré à un usage industriel et autant aux transports, soit un peu plus de 40 % de Longwood-Hunts Point (NYCDCP, 2012). La très grande majorité de ces espaces étant concentrée dans Hunts Point, c’est environ 80 % de son territoire qui est occupé par des activités industrielles ou de transport (carte 2.2.).

Carte 2.2. : Le zonage de Hunts Point, majoritairement industriel

La plus grande partie du quartier est zonée en « M3 », un zonage dédié à l’industrie lourde et au niveau de protection de l’environnement le plus bas. Outre celles de l’agroalimentaire, les installations industrielles de Hunts Point sont largement consacrées au traitement des déchets, cas emblématique des infrastructures nocives et indésirables installées dans les communautés de minorités défavorisées71 (Bullard, 1990 ; Sze, 2007). Hunts Point abrite non moins de 35 installations liées au traitement des déchets : centres de transfert, de traitement et de recyclage des déchets ; cimetières à ferrailles ; usines de traitement des eaux usées (NYCDCP, 2012).

Le quartier concentre aussi garages et établissements de mécanique, installés pour profiter de l’afflux de poids-lourds lié au marché de gros. Sept équipements liés à

l’entreposage et à la réparation de véhicules sont localisés dans le quartier, notamment des dépôts de bus (ibid.). Cette autre spécialisation a ainsi renforcé et contribué à l’augmentation du trafic automobile et routier dans le quartier, voitures et camions venant y effectuer des révisions ou remplacer des pièces défectueuses (photographie 2.5.).

Photographie 2.5. : Un établissement de mécanique à Hunts Point

Un établissement de mécanique situé sur Garrison Avenue, vu depuis Manida Street, au nord du quartier de Hunts Point.

Source : F. Paddeu, 2012.

Tous ces facteurs – le trafic lié au FDC comme celui lié aux établissements de mécanique – renforcent la surcharge structurelle du South Bronx en termes d’infrastructures de transport. L’ère Moses fut en effet particulièrement dévastatrice pour le Bronx, perforé de toutes parts par des autoroutes en direction du Nord de l’État de New York et du New Jersey (Freilla, 2004 ; Jackson, 2010 ; Gratz, 2010). Quatre autoroutes – Cross-Bronx, Major Deegan, Bruckner et Sheridan – et la Bronx River Parkway traversent ou entourent le South Bronx, empruntées par des millions de travailleurs en transit et de poids-lourds (carte 2.3.). La partie nord de Hunts Point, la plus résidentielle, se situe juste en-dessous des Bruckner et Sheridan Expressways, et elle subit ainsi le bruit et la pollution aérienne provoquée par cet intense trafic. Le Bronx est ainsi l’un des dix comtés de l’État de New York qui dépasse actuellement les normes fédérales en termes de qualité de l’air concernant les particules fines.

Cette accumulation d’installations industrielles, permise par la politique de zonage, a rendu le quartier particulièrement vulnérable à de multiples nuisances telles que la pollution

de l’air et de l’eau, un trafic intense de camions et des odeurs nauséabondes, fréquemment mentionnées et longuement commentées par nos enquêtés. Elles entraînent des conséquences délétères pour la population locale, touchée par des taux de prévalence très élevés des maladies respiratoires et notamment de l’asthme (Maciejczyk et al., 2004a, 2004b ; Claudio, Stingone & Godbold, 2006 ; Sze, 2007). Les militants locaux y évoquent alors un « South

Bronx Factor » expliquant la constitution d’une zone concentrant les enfants asthmatiques,

une « asthma alley ». Les habitants font face aussi à une insécurité routière permanente, les milliers de poids-lourds empruntant quotidiennement et à grande vitesse les rues du quartier en direction du FDC. L’un de nos enquêtés, urbaniste au bureau de planification urbaine du Bronx (Bronx Borough Office of NYC Department of City Planning) relate ainsi les doléances d’une partie de la communauté de Hunts Point, incriminant le trafic routier, la proximité des installations industrielles et les taux d’asthme élevés :

« Les habitants du quartier de Hunts Point ont dit: « Écoutez, on a la circulation des poids-lourds, des taux d’asthme élevés, des sites industriels juste à côté. » Les responsables des sites industriels ont dit – je paraphrase mais ça correspond aux doléances qu’on a entendues – « On a un marché de gros alimentaire ici et donc… on a des sites industriels liés à la distribution alimentaire. » Juste à côté, il y a des sites liés aux déchets, par exemple une installation de traitement des ordures ou d’autres installations du genre. »72 (Brian, entretien, 15 mars 2012)

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