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CHAPITRE I : L A TRADITION DANS LES CONTES DE N OËL AU Q UÉBEC DE 1859 À 1940

1. La religion

2.3. Le père de famille

Dans les contes reprenant le motif de l’enfant prodigue et dans plusieurs autres, c’est souvent avec le père que les conflits se produisent. Dans « Cistus » (Dantin, 1930), le père de famille s’oppose au mariage de sa fille avec Laurent, son employé peu fortuné. En revenant de la messe de minuit, il découvre sa fille et son amoureux sur le point de fuir ensemble. Le père est alors tiraillé entre son désir de mettre le jeune homme à la porte et celui de voir sa famille réunie dans la joie et l’harmonie pour Noël. « Et ils étaient tous malheureux. Cette table de famille, ils l’auraient entourée des propos et des rires. Ce serait maintenant un repas de deuil!137 » Devant cette funeste

vision, le père abdique et bénit les deux amoureux, afin de passer un beau Noël en famille. C’est donc l’importance de l’harmonie en famille pour un jour comme Noël qui l’emporte sur la colère du père. Dans « Le retour de Noël » (Desroches, 1919), le bonheur familial est détruit quand le père, ivrogne, quitte la maison la veille de Noël. La mère et l’enfant, étant déjà dans la misère, se retrouvent dans une situation encore plus difficile. Un an plus tard, les deux reviennent de la messe de minuit malheureux, la mère songeant : « Personne ne nous attend ; nous n’aurons pas le réveillon joyeux comme dans les autres familles et il nous faudra nous coucher pour ménager le feu et l’éclairage...138 » Finalement, de retour à la maison, ils retrouvent le père à l’intérieur qui se repent.

La famille est à nouveau réunie et peut ainsi passer un beau Noël : « Et le bonheur réapparut au pauvre foyer! ...139 » Sans le père, la famille est malheureuse et sans ressource.

Le père demeure la figure toute puissante dans beaucoup de contes. C’est lui qui tente de retenir ses enfants qui veulent partir et c’est aussi lui qui est impliqué dans les conflits familiaux. Il est souvent autoritaire, mais il sait pardonner la plupart du temps. Le bonheur de la famille repose sur ses épaules, sur sa capacité à soit se repentir, soit à pardonner. C’est aussi le père qui a les idées les plus originales pour les étrennes de ses enfants. La mère, elle, est plutôt effacée. On parle de ses

137 L. DANTIN. « Cistus », Contes de Noël […], p. 30.

138 F. DESROCHES. « Le Retour de Noël », En furetant, Québec, Imprimerie de l'Action sociale limitée, 1919,

p. 170.

émotions, souvent elle pleure ou elle embrasse son enfant chéri à son retour. Ce semble souvent être la plus affectée émotivement par l’absence de l’enfant.

La famille est un thème important dans les contes de Noël québécois. Cela reflète bien l’idéologie de l’époque qui s’appuie sur l’idéal familial pour motiver les gens à rester à la campagne et respecter l’ordre social. Quitter sa famille, c’est causer du chagrin à ses parents, c’est quitter une vie heureuse pour une vie de tracas à la ville. C’est assurément une mauvaise décision. Pour cette raison, l’enfant égaré retrouve toujours le chemin vers les siens le jour de Noël ou du Jour de l’An. Ces célébrations sont des moments familiaux, des moments où la nostalgie a raison des enfants partis au loin. Dans plusieurs contes, l’un des pires sacrilèges à Noël est de priver une famille de fêter ensemble dans la joie. Le père est le pilier de la famille, celui qui a le pouvoir de donner une fin heureuse à l’histoire, et les enfants doivent se soumettre à lui. Dans l’idéal familial des Fêtes, les tensions entre le père et les enfants se résolvent et les amours se déclarent. Noël doit se célébrer en famille, sinon ce n’est pas une fête. C’est au nom de la famille souvent que les héros agissent lors du dénouement et c’est la famille qui finit par triompher dans les contes aux fins heureuses.

La famille dans les contes traditionnels peut aussi représenter le peuple canadien-français. Le problème familial se transforme alors en problème national. L’unité familiale comme nationale demeure un idéal à atteindre. Ce lien est encore plus tangible quand le fils part pour les États-Unis au lieu de se contenter de la ville. Le conte « Mariette » (1899) de Pamphile Lemay en est un bon exemple. Le narrateur y présente le discours de l’époque qui amène les fils de la patrie à s’exiler pour mieux s’y opposer par la suite : « Hélas! nous oublions trop facilement que la vie est un temps d’épreuve et la terre, une arène où la lutte est sans merci. […] Malgré les avertissements de ceux qui nous ont précédés, et les enseignements de la foi, nous nous obstinons à chercher un bonheur qui n’est pas d’ici140. » Pour Lemay, cette recherche est vaine, il faut se contenter de ce que l’on a

et souffrir humblement : « Alors, restez où vous êtes et accomplissez votre œuvre en hommes et en chrétiens. Restez dans votre patrie surtout, car la patrie doit être pour ses enfants le meilleur et le plus beau pays du monde… ». Les contes de Noël peuvent ainsi servir la thèse clérico-nationaliste

en articulant le thème de la famille autour d’une question nationale. Mieux vaut servir la patrie en restant sur la terre et maintenir de bons liens avec sa famille.

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