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Quels outils supplémentaires mobilisés par les acteurs réunionnais ?

B. Des outils de financement complémentaires au service des quartiers de

2. Quels outils supplémentaires mobilisés par les acteurs réunionnais ?

En supplément de tous les outils financiers - disponibles nationalement ou spécifiquement ultramarins - mobilisés par les acteurs du logement social réunionnais, il paraît important d’évoquer les trois derniers leviers dont disposent les acteurs locaux. Premièrement, le changement d’actionnariat chez les bailleurs du territoire montre un renforcement des logiques de centralisation financière. Deuxièmement, le FRAFU (Fonds Régional d’Aménagement Foncier et Urbain) est un fonds régional qui permet de concentrer les aides publiques et de les redistribuer localement. Inscrit dans le code de l’urbanisme, son montant est fixé par l’État central. Pour finir, l’EPFR (Établissement Public Foncier Réunionnais) a pour membres toutes les collectivités territoriales de l’île mais est aussi instauré par le code de l’urbanisme. Il n’existe donc aucun instrument de financement du logement social réunionnais qui soit exempt de l’intervention plus ou moins marquée de l’État central.

a. Le changement d’actionnariat des bailleurs sociaux réunionnais : l’arrivée de grands groupes nationaux pour redresser les finances

Dans la revue de littérature associée au projet de recherche, nous avions relevé la recomposition de l’actionnariat des bailleurs sociaux en œuvre à La Réunion. D’une part, CDC Habitat, filiale de la Caisse des dépôts et grande figure du logement social en France hexagonale, a racheté les parts de l’État et de certaines collectivités locales chez la SIDR, le SEMADER et la SODIAC. D’autre part, Action Logement, également une grande figure du logement social en métropole, a effectué la même entrée chez la SHLMR et la SEDRE. Nous nous étions demandé quelles seraient les conséquences de l’arrivée de ces nouveaux acteurs dans l’organisation du secteur local à La Réunion. S’il est encore trop tôt pour apporter une réponse complète à cette interrogation, nous avons pu relever quelques perspectives d’évolution.

Les nouveaux actionnaires apparaissent à un moment critique pour les bailleurs de l’île. En effet, ces derniers sont tous plus ou moins en difficultés financières. Certains sont mêmes au bord de la faillite. La Banque des territoires avait arrêté les financements à la SEMADER depuis 2 ans avant l’arrivée de CDC Habitat. La SODIAC était en cessation de paiement. L’apparition des grands groupes nationaux du logement social dans le paysage local est donc directement liée aux difficultés de gestion des bailleurs, qui, malgré la pluralité des ressources mise à leur disposition par l’État central, ne réussissaient pas à remplir les objectifs fixés de production de logements.

« L’arrivée de CDC Habitat est une conséquence de très grandes difficultés financières. Aujourd’hui être adossé à CDC Habitat nous donne des perspectives que nous n’avions plus » - Entretien avec un.e membre de la direction de la SEMADER

Le désengagement de l’État est ainsi parfois perçu comme une volonté de laisser faire les experts et de passer la main à un actionnaire qui connaît le cœur de métier. C’est ce que nous explique un.e agent.e de la SIDR : « avant c‘était l’État et l’AFD [...] ces deux administrateurs-là ont vendu leurs parts ». Selon lui.elle, ces acteurs ne connaissaient pas bien le logement social. Avec CDC Habitat, les méthodes de travail sont plus rigoureuses, plus procédurières. Toujours selon lui.elle, il y a une emprise moindre des élus locaux sur le fonctionnement des bailleurs « le fait

chaque bailleur est profondément lié à sa commune d’origine, et l’influence des élus dans les conseils d’administration avait pu amener à une considération politisée des bailleurs sociaux. C’est pour cette même raison que la fusion de ces derniers, imposée en métropole avec la loi ELAN, n’est pas envisageable telle quelle à La Réunion.

« La fusion des bailleurs n’est pas envisagée car ils opèrent sur des compétences et des territoires très différents, et leur histoire est trop liée à la politique. La stratégie de CDC habitat aujourd’hui, c’est de commencer à réfléchir à mutualiser les compétences, c’est à dire, à faire des pôles d’activités » -Entretien avec un.e membre de la direction de la SEMADER

Si l’arrivée des grands groupes nationaux semble libérer les bailleurs sociaux de La Réunion d’une influence des intérêts politiques divers qui ont lieu sur le territoire et leur apporte un nouveau confort financier grâce à un apport de capital, elle semble aussi réduire la marge de manœuvre locale des bailleurs. Les grandes orientations du groupe étant définies à Paris, les acteurs locaux sont inquiets quant à la réduction de possibilité de prise d’initiatives locales, ce qui compliquerait la création et la réalisation d’un projet d’aménagement du territoire. La liberté de décision dont jouissaient les bailleurs avant la mise en place des méthodes de travail imposées par les grands groupes est exprimée ainsi par un.e agent.e de la SEDRE :

« Combien de truc on a fait que j’avais jamais envisagé en métropole. [...] On travaillait sans filet ». - Entretien avec un.e cadre de la SEDRE

Les bailleurs sont restreints dorénavant à ne s’engager que dans des opérations dont la faisabilité correspond à des critères fixés par le groupe, ce qui doit leur éviter de retomber dans leur situation financière antérieure.

« La politique de la SIDR est menée en métropole avec des objectifs de rentabilité [...] là avec CDC habitat, les SIDOM sont remontées et font un pool de trésorerie, donc pas besoin de financeurs privés. [...] du coup on arrive à avoir des taux plus faibles. On consomme l’emprunt, du crédit d’impôt, on nous a redemandé de consommer de la LBU et du fond propre. » - Entretien avec un.e cadre de la SIDR

Ainsi, l’entrée à l’actionnariat des bailleurs de CDC Habitat et Action Logement, deux grands groupes nationaux spécialistes du logement social, a généré un apport de trésorerie qui a permis au secteur local de se relever de grandes difficultés financières. L’application de méthodes de gestion efficaces et la rationalisation de l’activité des bailleurs avec la mutualisation de certains services devraient permettre une hausse de la production de logements sociaux, ce qui est l’objectif fixé par l’État. Cependant, les conséquences du poids de ces nouveaux acteurs centraux dans la chaîne de décision locale sont à étudier sur le long terme. Nous formulons l’hypothèse que la perte d’influence des acteurs locaux sur l’orientation des bailleurs rend plus incertaine la mise en place d’un projet d’aménagement du territoire cohérent.

b. Le FRAFU (Fonds Régional d’Aménagement Foncier et Urbain)

Le FRAFU (Fond Régional d’Aménagement Foncier et Urbain) est défini à l’article L. 340-2 du code de l’urbanisme. Il existe à La Réunion depuis l’an 2000. Le FRAFU doit coordonner les interventions financières de l’État, de la région et de l’Union Européenne dans le « soutien à la production de logements aidés » (Préfecture de La Réunion, 2019). Il intervient pour assurer la viabilisation de projets portés par des collectivités ou des aménageurs dont la programmation compte au moins 40 % de logements aidés. Pour ce faire, le FRAFU finance des études pré- opérationnelles ou encore des travaux de voiries et de réseaux. Le fond rassemble une partie de la LBU14, un apport du CPER (Contrat de Plan État-Région)15 et est complété par une contribution

spécifique de la région.

14 En 2017, 4% de la LBU attribuée à La Réunion a été injectée dans le FRAFU.

Le FRAFU a été créé par l’État central pour amener les acteurs locaux à construire ensemble des projets pour le territoire. Lors de nos entretiens, il nous a été confié que la DEAL de La Réunion avait pour volonté que le FRAFU devienne un véritable outil partenarial et non un simple outil d’État. Cependant, le montant du FRAFU baisse chaque année en raison des difficultés que rencontrent les bailleurs et les collectivités à l’utiliser. Il semblerait qu’au lieu de s’imposer comme l’outil de coopération imaginé par les pouvoirs centraux, le FRAFU soit perçu par les bailleurs réunionnais comme un intermédiaire de plus entre les subventions des pouvoirs publics et la réalisation d’opérations. Par exemple, en se penchant sur les flux financiers passants par le FRAFU en 2018, il apparaît que le seul apport direct de la Région depuis 2015 de 1,7 millions d’euros a intégralement servi à financer une opération portée uniquement par la SEDRE, la ZAC Renaissance III à Saint-Paul. Apporter une participation à un fonds régional dans l’optique qu’il soit utilisé pour une seule opération bien précise s’oppose au principe même du fonds qui doit récolter des subventions pour ensuite les utiliser afin de financer un projet global pour le territoire.

c. L’EPF Réunion (Établissement Public Foncier de La Réunion)

La mission de l’EPF Réunion est de faire du portage foncier, c’est à dire d’acquérir des terrains quand une opportunité se présente, puis de les rétrocéder à coût réduit au juste opérateur pour réaliser des constructions allant dans le sens des documents d’urbanisme. L’EPF Réunion réalise donc une réserve de foncier dans l’optique de faciliter la réalisation du projet d’aménagement du territoire. « Il permet les acquisitions foncières nécessaires aux opérations d’aménagement destinées à promouvoir le logement social, l’accueil d’activités économiques et la réalisation d’équipements publics » (Chambre régionale des comptes, 2019). Les compétences des agents de l’EPF en ingénierie foncière leurs permettent de conseiller et d’assister les collectivités, en particulier celles qui ont peu de moyens, dans l’élaboration d’une stratégie d’aménagement urbain.

Les établissements publics fonciers sont régis par les articles L. 324-1 et suivants du code de l’urbanisme. Depuis 2002, l’EPF Réunion regroupe dans son conseil d’administration des représentants de l’ensemble des collectivités territoriales de l’île. D’après le rapport de la Cour des comptes, publié en 2019, « son ancrage territorial constitue à la fois sa force et sa faiblesse dans la mesure où l’établissement n’intervient que dans un cadre contractuel, reposant sur le

volontarisme des collectivités ». Entre 2014 et 2019, 47 % des acquisitions sont destinées à des opérations de logements sociaux. Entre sa création et fin 2018, l’EPF Réunion a acheté pour 257 millions d’euros de terrains sur le territoire. Comme le FRAFU, l’EPF Réunion est un instrument à visée planificatrice, instauré par l’État central, qui se heurte à un manque d’appropriation des acteurs locaux. Lors de son entretien, un.e agent.e de la CINOR (Intercommunalité du nord de La Réunion) exprime ainsi l’absence de résultats du dispositif :

« La mayonnaise n’a pas pris entre les acteurs Donc finalement c’est juste les bailleurs qui font des réserves foncières, car les collectivités n’ont pas pris la main. La volonté politique n’a pas suffi.» - Entretien avec un.e membre de la CINOR

Il paraît intéressant de soulever que dans son rapport sur l’activité de l’EPF Réunion publié en 2019, la Chambre régionale des comptes recommande « l’adoption d’un dispositif visant à prévenir les situations de conflits d’intérêts pour les administrateurs ». Elle met en lumière le fait que des membres du conseil d’administration de l’EPF Réunion sont aussi très investis dans des SEM (Sociétés d’Économie Mixte) locales ou dans des SPL (Sociétés Publiques Locales) - donc chez les bailleurs sociaux. Nous avons également pu constater lors de notre enquête que la proximité - ou même la double casquette - des acteurs est un phénomène récurrent sur le territoire réunionnais qui a ses bons et ses mauvais côtés.

Dans cette sous-partie, nous avons pu voir que les programmes de rénovation urbaine et l’abattement de TFPB sont des dispositifs nationaux mis en place par l’État central et qui sont à prendre avec certaines conditions de mise en œuvre. Ils n’ont pas le même degré d’adaptation aux projets des acteurs locaux. L’ANRU impose un cahier des charges strict et opère une mise en concurrence des territoires, tandis que l’abattement de TFPB paraît plus adaptable aux initiatives locales. En ce qui concerne les outils financiers spécifiquement désignés par l’État central pour créer une mise en commun des ressources financières des acteurs locaux, ils sont détournés et peu utilisés. Le changement d’actionnariat permet un apport de capital aux bailleurs en difficultés. L’expertise de groupe doit permettre d’optimiser la gestion des bailleurs. Malgré une volonté affichée de rester fidèle aux besoins et réalités du territoire, la recentralisation des décisions concernant l’orientation des bailleurs pourrait rendre plus difficile l’émergence d’un projet cohérent d’aménagement du territoire. La multiplicité des dispositifs centralisés

de ces instruments. Dans la sous-partie suivante, nous nous pencherons sur les actions de lobbying pratiquées par les élites ultramarines pour l’obtention de subventions étatiques supplémentaires au profit des territoires ultramarins, et plus particulièrement sur l’obtention des instruments spécifiques au logement social que nous avons abordés plus haut.

C. Un lobbying intensif de la part des acteurs ultramarins pour