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Un outil pour la recherche fondamentale et un besoin industriel

II. Le talc synthétique

2.1. Un outil pour la recherche fondamentale et un besoin industriel

Alors que les gisements de talc naturel mettent plusieurs millions d’années à se former dans la nature, nous allons ici montrer comment des chercheurs ont réussi à reproduire en laboratoire en seulement quelques heures ou quelques secondes des particules de talc synthétique aux propriétés physico-chimiques étonnantes, qui gardent les caractéristiques essentielles du talc naturel à savoir sa composition chimique théorique, sa structure, sa lamellarité, et sa stabilité thermique, mais qui présentent aussi quelques spécificités inattendues. Ainsi, taille nanométrique, hydrophilie, pureté chimique, pureté minéralogique, et taille monodisperse sont les maîtres mots qui caractérisent les particules de talc synthétique. Nous allons ici tenter de raconter l’histoire de l’émergence de ce minéral sur la scène scientifique ainsi que les raisons qui ont conduit à son fort développement industriel.

a. Les premières synthèses de talc

Les premières synthèses de talc sont apparues dans les années 50 et avaient pour but de répondre à des questions d’ordre fondamental :

Comment les assemblages minéralogiques observés dans la nature se forment-ils ?

Quels sont les domaines de stabilité de pression et de température des minéraux métamorphiques ?

Pour répondre à ces questions, les scientifiques se sont tournés vers l’étude des systèmes d’équilibre de phases à haute pression (P) et haute température (T) tels que les systèmes MgO-SiO2 -H2O et/ou MgO-Al2O3-SiO2-H2O. Les premières synthèses furent rendues possibles grâce au développement d’appareillages permettant d’accéder à des conditions PT importantes tels que le « Tuttle apparatus » (Tuttle, 1948) ou le « test-tube bomb » (Roy & Osborn, 1952).

Ainsi, en 1949 Bowen et Tuttle performèrent les premières synthèses de talc en conditions hydrothermales (Bowen & Tuttle, 1949). Le système d’étude était celui de MgO-SiO2-H2O et les synthèses étaient réalisées dans des conditions PT assez violentes, avec une température pouvant monter jusqu’à 1000°C, une pression variant entre 1000 et 2800 bars, et un temps de synthèse allant de quelques heures à quelques jours. Les auteurs conclurent que le talc ne pouvait se former que si le rapport molaire Si/Mg était respecté, et uniquement si les conditions PT étaient inférieures à 800°C pour une pression comprise entre 400 et 2000 bars.

En 1955, Roy et Roy réalisèrent des synthèses de talc dans des conditions PT plus modérées en étudiant le système MgO-Al2O3-SiO2-H2O (Roy & Roy, 1955). Les températures de synthèse étaient comprises entre 275°C et 300°C avec une pression constante d’environ 690 bar, et une durée de 20 jours. Les auteurs ont établi que le domaine de stabilité thermique du minéral était compris entre 275 et 780°C,

domaine en dehors duquel le talc se voit décomposer en d’autres phases minérales. En 1969, Johannes précisa la limite basse de stabilité du talc dans un système contenant du CO2 et l’évalua à 320°C (Johannes, 1969).

A la fin des années 60 et simultanément aux études d’équilibres de phases, certains chercheurs s’intéressèrent à la synthèse de minéraux, non pas dans le but de mieux comprendre les phénomènes naturels, mais pour acquérir de nouvelles connaissances en matière de décryptage de signaux spectroscopiques. Ainsi, Wilkins et Ito, 1967 furent les premiers à s’intéresser au rôle que jouent les substitutions cationiques octaédriques sur les signaux spectroscopiques infrarouges du talc (Wilkins & Ito, 1967). Ils préparèrent une large gamme de talcs magnésiens partiellement ou entièrement substitués en Ni2+, Co2+, Fe2+, Mn2+ ou Zn2+ pour observer l’effet sur les bandes d’élongation OH infrarouges. Le protocole de synthèse consistait alors à mélanger un silicate de sodium (source de Si) avec un hydroxyde de magnésium (source de Mg) ou un carbonate métallique (source des substitutions cationiques) et de placer ce mélange dans un autoclave en acier inoxydable à des températures comprises entre 680°C et 700°C, à une pression comprise entre 2000 et 3000 bar et pendant une durée de synthèse de 15 à 72 heures.

En 1970, Martin synthétisa du talc et de l’antigorite nickélifères afin d’étudier leur décomposition thermique et leur réduction pour fabriquer des catalyseurs de Ni sur silice (Martin et al., 1970). Le protocole de synthèse de talc visait alors à mélanger du SiO2 avec du Ni(OH)2 et de passer le tout en synthèse hydrothermale à 350°C pendant 120 heures dans un autoclave en inox.

Plus tard, en 1982, Whitney et Eberl synthétisèrent du talc en conditions hydrothermales pour étudier les associations minérales issues du système talc-eau (Whitney & Eberl, 1982). Pour cela, ils fabriquèrent un précurseur de talc sous forme de gel dans un rapport Mg/Si de 3/4. Ce gel fut ensuite placé dans un tout petit tube chemisé d’or et introduit dans un four à résistance, élevé à une température de 300 à 550°C pendant une durée de 7 à 200 jours à pression constante (1000 bar). Ces synthèses permirent de montrer que le précurseur de talc amorphe se transforme en talc cristallin après 7 jours de traitement hydrothermal quelle que soit la température testée. Cependant, un traitement hydrothermal prolongé à une température comprise entre 300 et 450°C entraîne une déstabilisation du minéral qui se transforme alors en stévensite (un phyllosilicate TOT à charge lamellaire négative de formule structurale Mg3-xSi4O10(OH)2. nH2O). Pour une température supérieure à 500°C, les auteurs ont néanmoins observé une amélioration de la cristallinité du talc qui est restée stable au cours du temps (aucune transformation minérale observée).

A la suite de ce travail, Mondésir et Decarreau ont respectivement mis en évidence en 1987 et 1989 la transformation progressive du talc en kérolite, puis en stévensite en fonction de la température (Montdésir, 1987; Decarreau, 1989). D’après ces auteurs, la stévensite est plus stable pour une température de synthèse hydrothermale inférieure à 100°C, la kérolite (phyllosilicate TOT de formule

(Mg, Fe, Ni)3Si2O5(OH)4) est plus stable pour une température comprise entre 100 et 170°C, et le talc devient stable pour une température supérieure à 200°C. L’autre nouveauté apportée par Decarreau, 1989 est l’utilisation d’un protocole de synthèse innovant. Ce procédé qui sera décrit prochainement a servi de point de départ au travail de l’équipe de l’ERT 1074 : Géomatériaux du GET, travail qui a été utilisé dans cette thèse.

b. Naissance d’un enthousiasme industriel

Jusqu’à la fin des années 2000, le talc synthétique était utilisé comme un outil scientifique pour répondre à de grandes problématiques fondamentales. Cependant, en 2005, l’apparition sur le marché européen de nouvelles réglementations concernant l’utilisation ou la restriction de certains composés chimiques va inconsciemment projeter le talc sur le devant de la scène, notamment dans le secteur aéronautique. En effet, jusqu’alors, les revêtements de surface anticorrosion qui étaient utilisés pour lubrifier les parois entre différentes pièces mécaniques étaient confectionnés à base de cadmium. Mais en 2005, une norme européenne immatriculée 91/338/CEE interdit son utilisation pour cause de toxicité. Cette interdiction obligea alors le secteur à trouver des alternatives pour remplacer les revêtements de cadmium par d’autres composés aussi performants, que ce soit en termes de stabilité thermique que de pouvoir lubrifiant. Pour cela, des alliages métalliques de type Zn-Ni ou Ni-P ont tout d’abord été pensés mais ceux-ci ne présentaient pas de résultats très satisfaisants, même après ajout de charges lubrifiantes comme le MoS2 (bisulfure de molybdène) ou le PTFE (polytétrafluoroéthylène). Le talc naturel est alors apparu comme étant un bon substitut du fait de sa grande stabilité thermique et de ses propriétés lubrifiantes. Des tests d’usures ont ainsi été réalisés sur des matrices Zn-Ni chargées ou non en particules de talc naturel par les laboratoires LMTG et le CIRIMAT-INSTITUT CARNOT de Toulouse, en collaboration avec les sociétés MECAPROTEC et RIO TINTO MINERALS. Les résultats de ces tests ont été très positifs puisque les propriétés anti-abrasives des matrices chargées en talc se sont vues largement améliorées (Figure 16). Cela a notamment conduit au dépôt de deux brevets (Martin et al., 2004, 2006) ainsi qu’à l’obtention en 2004 et 2006 du 1er prix de l’innovation Midi-Pyrénées dans la catégorie « laboratoire de recherche ».

Figure 16 : Clichés de microscopie optique obtenus sur la surface (a) d’une matrice Zn-Ni et (b) d’une matrice Zn-Ni chargée en talc naturel, obtenue après le passage répété d’une bille de corindon

Malgré leur efficacité, ces revêtements n’ont jamais été développés car ils induisaient une forte rugosité de surface qui générait une décohésion du revêtement sur les pièces mécaniques. Cette décohésion provenait en fait de la différence de taille entre les particules de talc naturel (taille pluri-micronique) et la matrice Zn-Ni ou Ni-P amorphe (taille nanométrique). De plus, la large distribution de taille des particules ainsi que leur mauvaise répartition et orientation au sein des matrices aggravaient ce phénomène. Compte tenu de ces limitations, il est apparu indispensable de diminuer la taille des particules de talc pour favoriser leur dispersion et leur insertion au sein des matrices Zn-Ni et Ni-P. La première solution qui fut envisagée fut de broyer simplement le talc naturel pour obtenir une taille nanométrique. Cette solution fut néanmoins abandonnée car elle engendrait l’amorphisation des particules de talc, c’est-à-dire qu’elles perdaient leur structure et donc leurs caractéristiques physico-chimiques principales. Les chercheurs toulousains se sont donc tournés vers un choix plus original : fabriquer en laboratoire des particules de taille nanométrique qui présentent une distribution de taille homogène, et qui gardent la même structure, les mêmes propriétés lubrifiantes et la même stabilité thermique que les particules naturelles. Ce pari fut gagnant puisque quatre années plus tard, les recherches aboutirent à un protocole permettant de produire un minéral synthétique satisfaisant toutes ces recommandations. Le talc synthétique fut alors testé dans les matrices métalliques et montra son adéquation pour être utilisé en tant que charge minérale lubrifiante dans les revêtements de surface anticorrosion. Ces recherches ont ainsi mené au dépôt d’un nouveau brevet en France et à l’étranger (Martin et al., 2008e) ainsi qu’à une ouverture directe sur le marché industriel.

Depuis ce jour, de nouveaux progrès ont été fait quant à l’amélioration du procédé de synthèse ce qui a ouvert la voie à de nombreux autres domaines industriels.

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