V. Ostéoporose secondaire
3. Ostéoporose et mastocytose systémique
a) Introduction
Les mastocytoses, maladies orphelines, se différencient en mastocytose cutanée pure (90%
des mastocytoses), forme essentiellement de l’enfant et en mastocytose systémique (10%). La
mastocytose systémique est une maladie proliférative clonale appartenant aux syndromes
myéloprolifératifs [138]. Elle se caractérise par une accumulation anormale de mastocytes au
sein de différents organes, en particulier la moelle osseuse. Les manifestations cliniques sont
variables et sont liées à l’accumulation de mastocytes ou à la libération de médiateurs
contenus dans les granulations [139]. La mastocytose systémique peut être associée à une
hémopathie clonale, le plus souvent myéloïde, et est alors classée en mastocytose associée à
une hémopathie clonale non mastocytaire [140]. Le pronostic vital est fonction du degré
d’infiltration mastocytaire et de la fibrose qui en résulte, aux hémopathies associées et aux
manifestations paroxystiques comme le choc anaphylactique [141]. Les cellules mastocytaires
dérivent des cellules souches pluripotentes hématopoïétiques de la moelle osseuse, se
différencient en précurseurs CD34+, c-kit, CD13+. Ces précurseurs médullaires vont passer
dans le sang et, sous l’influence de diverses cytokines et chimiokines, vont coloniser les
différents tissus pour y terminer leur différenciation en mastocytes matures. Le SCF (Stem
Cell Factor) est la principale cytokine impliquée dans la mastocytopoïèse, c-kit (ou CD 117)
en est son récepteur. L’interaction du SCF au c-kit (CD117) active une série de kinases et
initie les voies de signalisation impliquées dans la différenciation et la survie des mastocytes
[142]. La mutation activatrice du récepteur c-kit par la mutation du codon 816 remplaçant
l’acide aspartique pour de la valine (mutation KIT D816V) est associée à la mastocytose
systémique chez plus de 85% des patients atteints de mastocytose systémique [140]. Les
mastocytes normaux sont arrondis, retrouvés dans les tissus conjonctifs et les espaces
périvasculaires de presque tous les tissus ; ils sont facilement reconnaissables à leurs
granulations intracytoplasmiques colorées métachromatiquement par la coloration Giemsa ou
le bleu de toluidine. En réponse à des stimuli tels que les allergènes, les mastocytes libèrent 3
types de médiateurs : ceux stockés dans les granulations, ceux nouvellement formés et une
large variété de cytokines, chimiokines et facteurs de croissance (Figure 10 et [143]).
Le diagnostic de mastocytose systémique est avant tout histologique avec la mise en évidence
dans divers organes, autres que la peau, de nodules mastocytaires contenant plus de 15
mastocytes (Tableau 3).
b) Manifestations osseuses de la mastocytose systémique
L’atteinte osseuse est probablement la plus fréquente des manifestations de la mastocytose
systémique, une atteinte squelettique généralisée toucherait 75% des patients avec
mastocytose systémique. L’atteinte osseuse la plus caractéristique est l’ostéoporose qui peut
se compliquer de fractures révélatrices de la maladie. L’ostéosclérose est plus rare, localisée
ou diffuse, elle serait associée aux formes les plus graves de la mastocytose systémique. De
nombreux cas de mastocytose systémique révélée par une ostéoporose ou des factures ont été
rapportés [144-148]. Deux études récentes sur de plus larges effectifs ont décrit l’atteinte
osseuse clinique, radiologique et densitométrique de la mastocytose osseuse. La première
porte sur 82 patients atteints de mastocytose systémique indolente (âge moyen 48 ans, 55%
d’hommes), 20% avaient un T-score < -2,5 et 21,2% une ou plusieurs fractures vertébrales,
sans corrélation entre densité osseuse et taux de tryptase, ni entre densité osseuse et
marqueurs du remodelage osseux [149]. L’autre étude porte sur 75 patients dont 75% porteurs
d’une forme indolente de mastocytose systémique (âge médian 48 ans, 41% d’hommes), 49%
avaient une atteinte osseuse dont 31% une ostéoporose et 8% une ostéosclérose. Il n’y avait
pas d’association entre atteinte osseuse et mutation de c-kit [150]. L’ostéoporose de la
mastocytose prédomine en secteur trabéculaire. Les données histomorphométriques sont rares
et reposent sur de petites séries rapportant une augmentation du remodelage osseux
caractérisée par une augmentation du nombre d’ostéoblastes, du nombre d’ostéoclastes et de
l’étendue des surfaces érodées [151-160]. En cas d’ostéosclérose radiologique, l’infiltration
mastocytaire est plus importante associée à une densification osseuse histologique et à une
augmentation des zones de fibrose médullaire [153, 154].
c) Physiopathologie des manifestations osseuses de la mastocytose systémique
L’atteinte osseuse de la mastocytose systémique peut s’expliquer par l’infiltration tumorale et
la libération des différents médiateurs des granulations. Le nombre de mastocytes médullaires
est augmenté chez les femmes ménopausées ostéoporotiques [161, 162]. Chez l’homme, une
augmentation des mastocytes médullaires a également été retrouvée en cas d’ostéoporose avec
une corrélation entre le nombre de mastocytes et la N-méthylhistamine urinaire (témoin de
l’activité des mastocytes) et une corrélation négative entre le taux de N-méthylhistamine et la
DMO lombaire [163]. Les souris déficientes en mastocytes ont un retard de recrutement des
ostéoclastes sur le lieu du remodelage osseux par allongement de la phase d’activation, une
diminution de l’étendue et de la durée de la phase de formation et une quantité d’os
nouvellement formé diminuée [164]. Les granulations mastocytaires contiennent des
cytokines telles que IL-1, IL-3, IL-6 et TGF-qui peuvent stimuler l'ostéoclastogenèse.
L’IL-6 a ainsi été retrouvée élevée chez des patients avec mastocytose systémique et ostéoporose
[165]. Le rôle de l’histamine a été étudié dans différents modèles murins. La souris déficiente
en histamine décarboxylase (HDC
−/−), enzyme responsable de la production d’histamine, a
une augmentation de DMO, une augmentation de l’épaisseur corticale et des paramètres de
formation osseuse et une diminution du nombre d’ostéoclastes [166]. Après ovariectomie, les
souris HDC
−/−ont une perte osseuse corticale et trabéculaire diminuée de 50% par rapport aux
souris contrôles. Chez le rat, le blocage du récepteur H1 diminue l’activité ostéoclastique et
celui du récepteur H2 diminue le nombre d’ostéoclastes [167]. La résorption osseuse suivant
l’ovariectomie chez le rat est bloquée par la cimétidine, anatagoniste du récepteur H2 [168].
L’héparine pourrait également jouer un rôle dans la physiopathologie des manifestations
osseuses de la mastocytose, en culture cellulaire elle augmente la résorption ostéoclastique et
les effets osseux de la PTH. La PTH joue un rôle majeur dans le recrutement des mastocytes,
elle stimule également leur dégranulation et la libération de l’histamine. Le nombre de
mastocytes est augmenté dans la moelle osseuse de patients avec hyperparathyroïdie
[169-171]. Les ostéoblastes, sous l’effet de la PTH, synthétisent des quantités abondantes de SCF
[172]. Les ostéoclastes, qui expriment à leur surface le c-kit, répondent au SCF. La PTH
modulerait ainsi l’activité des ostéoclastes par la libération de SCF via les ostéoblastes. La
PTH interviendrait également dans la physiopathologie des lésions fibrosantes par
l’intermédiaire du PDGF-A. L’utilisation de triazolopyrimidine, un antagoniste de PDGF-A,
dans un modèle animal d’hyperparathyroïdie, supprime le développement de la fibrose
péritrabéculaire et la résorption ostéoclastique [173]. L’élévation chronique du taux de PTH
augmenterait la production de c-kit par les cellules osseuses bordantes attirant les mastocytes
près des surfaces osseuses. Ces mastocytes produiraient des quantités importantes de PDGF-A
qui stimuleraient la prolifération et la différenciation des cellules stromales de la moelle
osseuse en fibroblastes. Ceux-ci s’accumuleraient sur les surfaces endostéales et produiraient
de larges quantités de matrice extra-cellulaire de mauvaise qualité avec défaut de
minéralisation [174]. Les mastocytes libèrent également d’autres médiateurs fibrogéniques,
TGF et bFGF qui pourraient intervenir dans la genèse de l’ostéosclérose.
Tableau 3 : Critères OMS de diagnostic des mastocytoses
Mastocytose cutanée
Signes cliniques typiques (urticaria pigmentosa, mastocytose cutanée diffuse,
mastocytome solitaire, telangiectasia macularis eruptiva perstans)
Présence d’au moins un des éléments suivants au sein de la lésion cutanée :
Infiltrat dense focal (> 15 mastocytes/cluster) ou infiltrats mastocytaires diffus (> 20
cellules par champ à fort grossissement)
Mutation c-Kit D816V
Mastocytose systémique
Présence d’au moins un critère majeur et un critère mineur ou trois critères mineurs dans la
moelle osseuse ou d’autres organes autre que la peau
Majeur
Infiltrats denses multifocaux de mastocytes (> 15 mastocytes par aggrégat)
Mineur
Infiltrats mastocytaires contenant >25% de cellules allongées ou de morphologie
atypique
Mutation c-Kit D816V
Expression de CD2 et/ou CD25 sur les mastocytes CD117
+ Tryptase sérique > 20 ng/mL (non valide si les patients ont une hémopathie
concomitante)
Dans le document
OSTÉOPOROSE CORTISONIQUE ET AUTRES OSTÉOPOROSES SECONDAIRES
(Page 44-50)