V. Ostéoporose secondaire
2. Ostéoporose d’immobilisation
a) Introduction
L’ostéoporose d’immobilisation (« disuse », en anglais) correspond à une perte osseuse liée à
une diminution des contraintes mécaniques sur le squelette. Chez l’homme cette situation se
rencontre principalement :
- lors d’une affection musculaire ou neurologique, comme chez le blessé médullaire,
- lors d’une modification de l’environnement : alitement prolongé, impesanteur,
- lors d’immobilisations expérimentales en position anti-orthostatique (-6°) ou non.
Chez l’animal, différents modèles d’immobilisation ont été proposés :
- section du nerf sciatique,
- lésion de la mœlle épinière,
- section tendineuse,
- immobilisation d’une patte par plâtre ou bandage,
- suspension de l’animal par une patte ou par le train arrière,
- paralysie induite par injection de toxine botulique.
Chez l’homme les pertes osseuses les plus importantes surviennent chez le blessé médullaire
eu égard à la durée de l’immobilisation. Plus qu’une ostéoporose, l’immobilisation entraîne
une déminéralisation localisée aux territoires porteurs ou aux territoires métamériques situés
sous la lésion médullaire ; ainsi la perte osseuse chez le paraplégique est sous-lésionnelle sans
atteinte des membres supérieurs à la différence des tétraplégiques [86, 87]. L’adaptation
osseuse à l’immobilisation peut se faire sur le compartiment trabéculaire, le compartiment
cortical, l’endoste et le périoste. La perte osseuse est rapide est atteint un état stable après 3 à
8 ans, avec des variations en fonction de la durée du déficit, de la pièce osseuse, du segment
de la pièce osseuse (épiphyse, métaphyse, diaphyse) et du critère architectural étudiés [88,
89]. Si l’on considère le tibia comme pièce osseuse référente dans les modèles
d’immobilisation, les études transversales portant sur les blessés médullaires ont montré une
diminution de l’épaisseur corticale moyenne au tibia de 30 à 40%, avec une atteinte plus
prononcée sur le segment tibial postérieur [88, 90-93]. Ces diminutions d’épaisseur corticale
modifient les aires transversales des pièces osseuses et sont susceptibles d’en diminuer les
résistances à la flexion et à la torsion [88, 91]. La perte osseuse trabéculaire est également
variable en fonction des individus pouvant aller de 2 à 80 % en deux ans [94].
Les spationautes ont fait l’objet d’une attention particulière pour analyser la perte osseuse
induite par l’impesanteur. La perte osseuse en impesanteur serait 10 fois plus rapide que celle
observée en post ménopause (1,5%/an) et 2 fois plus importante que celle observée au cours
d’un alitement prolongé, suggérant que des facteurs liés à la microgravité ou à l’impesanteur
exacerbent la perte osseuse. Ainsi, 14 sujets (40-55 ans, 13 hommes) de la station spatiale
internationale ont eu une évaluation osseuse avant leur mission, d’une durée de 4 à 6 mois, et
à leur retour. La diminution de densité osseuse a été estimée à 0,8%/mois au rachis, à
1,4%/mois au col fémoral et à 1,5%/mois à la hanche totale [95]. Cette perte osseuse serait
lentement réversible avec 94% de récupération à 3 ans [96]. Le risque fracturaire associé à
cette perte osseuse est difficile à prédire dans cette population d’hommes jeunes [97]. La
durée des vols spatiaux est trop courte pour que les modifications du volume cortical
entraînent des modifications de l’aire transversale des pièces osseuses détectables tout au
moins par pQCT. Des méthodes de mesure utilisant les éléments finis permettent de mieux
appréhender la perte de résistance osseuse [97].
Les études portant sur l’alitement prolongé (« bed rest ») durant 2 à 3 mois sont dorénavant
les plus souvent utilisées pour simuler les vols spatiaux et sont utiles pour tester l’effet des
contre-mesures (exercices physiques, régime riche en protéines) [98]. Dans une étude portant
sur un alitement de 90 jours, la perte corticale moyenne à la diaphyse tibiale était de 1 à 2 %
et de 0,4% à la diaphyse radiale, le volume osseux trabéculaire (BV/TV) diminuait de 6% au
tibia distal et ne diminuait pas au radius avec de très grandes variations selon les individus
(perte osseuse trabéculaire de 0 à 15%) [99]. Comme pour les vols spatiaux, la durée
d’alitement est trop courte pour voir apparaître des modifications de l’aire transversale des
pièces osseuses. La perte osseuse induite par l’immobilisation pourrait dépendre de l’âge : à
défaut d’études humaines, dans une étude animale portant sur des rats de 6 et 32 mois après
14 jours de décharge du membre inférieur, la diminution du BV/TV au fémur proximal n’est
significative que chez les rats jeunes. Cependant, la porosité corticale n’augmente
significativement que chez les rats âgés [100].
b) Physiopathologie
Divers mécanismes physiopathologiques sont impliqués dans la perte osseuse, d’importance
variable en fonction du modèle d’immobilisation étudié.
Les résultats histomorphométriques de biopsies osseuses transiliaques réalisées à des périodes
variables après lésion médullaire ont montré un découplage du remodelage osseux avec
stimulation de l’activité de résorption osseuse et diminution de l’activité de formation osseuse
[101]. Os cortical et os trabéculaire sont impliqués avec une perte osseuse épiphysaire rapide
dans les premiers mois suivant l’immobilisation avant de ralentir par la suite, la perte
diaphysaire étant plus linéaire et moins importante [88, 102]. Cette dissociation est encore peu
expliquée mais pourrait rendre compte des différences de résorption endocorticale et périostée
aux différents sites osseux et du processus d’adaptation cellulaire limité dans le temps [102,
103]. Les marqueurs de résorption osseuse sont augmentés, l’évolution des marqueurs de
formation osseuse est variable selon les études et le marqueur étudié mais leur variation paraît
peu importante [104].
Rôle de l’unité muscle-os
La charge mécanique est le principal régulateur de la masse osseuse et relève de la théorie du
mécanostat de Frost [105]. L’activité physique musculaire qui entraîne des contraintes
mécaniques sur le squelette influence la masse osseuse [106]. A l’inverse, une perte
musculaire est retrouvée parallèlement à la perte osseuse, principalement sur les muscles
anti-gravitaires, quel que soit le mode d’immobilisation [107]. La perte musculaire n’explique
cependant pas à elle seule la perte osseuse et une activité musculaire sans charge ne parvient
pas à prévenir la perte osseuse liée à une immobilisation [90, 108, 109]. A côté de ce stimulus
mécanique, les muscles pourraient également influencer le remodelage osseux via la sécrétion
de facteurs de croissance, appelés « myokines ». Ainsi, in vitro les fibres musculaires
sécrètent de l’IGF-I et du FGF-2, deux facteurs de croissance connus pour jouer un rôle dans
la régulation de la formation osseuse [110, 111] et dont la sécrétion est augmentée au cours
d’efforts physiques et de blessures musculaires [112, 113]. In vivo, ces 2 facteurs sont
localisés à l’interface os-muscle, leurs récepteurs étant retrouvés en quantité abondante dans
le périoste et les muscles [114]. La myostatine ou GDF-8, autre « myokine », est un régulateur
négatif de la croissance musculaire, elle pourrait avoir des propriétés anti-ostéogéniques
[115].
Rôle des facteurs moléculaires de communication intercellulaire et du métabolisme
phospho-calcique
Les ostéocytes jouent probablement un rôle très important dans le remodelage osseux des
sujets immobilisés et la diminution de stimulation mécanique altère leurs fonctions de
transmission du signal et de réparation des microcracks et augmente leur apoptose [116-118].
Les ostéocytes sont sensibles au stress biomécanique induit notamment par les contraintes de
cisaillement. Différents médiateurs circulant dans le réseau lacuno-canaliculaire agissent sur
la différenciation et l’activité ostéoblastique et ostéoclastique en fonction des contraintes
mécaniques ([119] et Figure 9). Le taux de sclérostine est augmenté chez les sujets
immobilisés, corrélé négativement au taux de phosphatases alcalines osseuses et positivement
au taux de CTX sérique [120]. La mise en charge entraîne une diminution de l’expression de
Sost et de la sclérostine [121]. L’injection d’anticorps anti-sclérostine prévient la perte
osseuse du rat immobilisé en stimulant la formation osseuse alors que la résorption osseuse
est réduite [122]. De même, les souris Sost
-/-ne perdent pas d’os après 14 jours de décharge
[123]. Chez le blessé médullaire, le taux de RANKL sanguin est diminué tandis que
l’ostéoprotégérine est augmentée [124].
Figure 9 : Action des ostéocytes sur les ostéoblastes et ostéoclastes sous l’effet des
contraintes mécaniques (d’après [119])
Le métabolisme phospho-calcique est profondément perturbé par l’immobilisation. La
balance calcique négative observée chez le spationaute ou chez le blessé médullaire pourrait
être responsable des variations de sécrétion des hormones régulatrices du métabolisme
phospho-calcique : l’axe PTH-vitamine D est freiné en phase aiguë d’immobilisation avec
diminution des taux de PTH et de 1,25 (OH)
2vitamine D [125, 126]. Une insulinorésistance a
été décrite chez le blessé médullaire et pourrait être en relation avec une dépression de la
sécrétion de GH, hormone qui favorise la différenciation ostéoblastique [127]. Il existe
également une résistance aux actions anaboliques de l’IGF-I (par action sur les voies de
signalisation) diminuant la prolifération des ostéoblastes et de ses précurseurs [128]. La
différenciation adipeuse de la moelle chez le blessé médullaire et après immobilisation
prolongée pourrait bloquer la différenciation ostéoblastique par inhibition de l’expression du
facteur de transcription runx2 et expliquerait le retard de récupération de densité osseux après
des vols spatiaux de longue durée. L’accumulation graisseuse médullaire pourrait augmenter
la viscosité médullaire et la pression exercée sur les cellules souches et les cellules osseuses
[129]. Dans l’étude WISE, utilisant l’IRM pour quantifier la composition médullaire des
vertèbres lombaires, l’accumulation de cellules adipeuses était 25 fois plus rapide chez les
femmes restant alitées 60 jours. Cette accumulation de graisse persiste un an après l’arrêt de
l’alitement, accélérant de 4 ans le rythme normal d’involution graisseuse [130].
Rôle du système nerveux central et périphérique
Le rôle du système nerveux est complexe faisant intervenir des mécanismes vasculaires,
cellulaires et hormonaux. La stimulation du système sympathique qui entoure les vaisseaux
médullaires provoque une vasoconstriction et une augmentation de la pression locale.
L’augmentation de cette pression hydrostatique médullaire a un effet ostéogénique et diminue
l’activité ostéoclastique in vitro [131]. La leptine possède un double effet sur le remodelage
osseux, stimulateur de la formation osseuse par effet périphérique et inhibiteur de cette
formation par action centrale via le système nerveux sympathique. Chez le paraplégique, la
leptine est d’autant plus augmentée que la lésion est complète [132]. Dans les modèles de vols
spatiaux ou de décubitus, la leptine augmente en même temps que l’adipogenèse [133]. La
leptine agirait indirectement par une diminution de la production de sérotonine cérébrale qui
stimulerait le système nerveux sympathique. Ceci aboutirait à l’activation des récepteurs 2
adrénergiques exprimés par les ostéoblastes conduisant à une baisse de la formation et à une
stimulation de la résorption osseuse [134]. Les traitements par agonistes stimulent la
différenciation ostéoclastique et augmentent la résorption osseuse. L’effet sur la perte osseuse
en condition d’immobilisation est discuté. Certaines études ne montrent aucun effet du
propanolol, antagoniste, sur la perte osseuse induite par neurectomie sciatique [135], alors
que d’autres montrent une atténuation significative de la perte osseuse trabéculaire pendant
une période de décharge [136].
D’autres hormones sécrétées par le tissu adipeux comme l’adiponectine, élevée chez le blessé
médullaire, ou sécrétées par le tube digestif comme la ghréline pourraient intervenir [132].
D’autres mécanismes sont probablement impliqués dans la physiopathologie de la perte
osseuse eu égard au remodelage osseux chez l’ours en hibernation qui reste équilibré sans
perte osseuse [137].
Dans le document
OSTÉOPOROSE CORTISONIQUE ET AUTRES OSTÉOPOROSES SECONDAIRES
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