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Chapitre IV Oscillateur à base de jonction tunnel magnétique

IV.3 Etudes temporelles

IV.3.2 Oscillateurs multi-modes

Jusqu’à présent nous nous sommes focalisés sur l’étude d’oscillateurs présentant un unique mode de précession. Les couches minces ferromagnétiques sont par nature multi-modes c’est-à-dire que l’aimantation peut adopter plusieurs modes de précession. Dans les cas de structures confinées que nous étudions, les modes propres ont une énergie quantifiée et se distinguent par leur profil d’aimantation. En plus des modes propres, le transfert de spin peut exciter d’autres modes à profil d’aimantation inhomogène, comme nous l’avons vu dans le cas du polariseur perpendiculaire au chapitre III. Dans le régime sous-critique, plusieurs modes de précession peuvent coexister. Par contre dans le régime d’oscillation à forte amplitude induit par transfert de spin, il est prédit [99, 156] que seul un mode peut être excité. De manière expérimentale, il est cependant fréquent d’observer dans le spectre micro-onde plusieurs pics de précession dont les fréquences ne sont pas harmoniques. Nous discuterons ici le cas d’un échantillon HTMR dans le régime sous-critique et le cas d’un échantillon LTMR en régime entretenu, tous les deux montrant la présence de deux modes d’oscillation, comme indiqué dans les spectres micro-ondes sur les figures IV.21 (a) et (b). Pour cette étude aucun filtre n’a été appliqué aux traces temporelles.

L’échantillon HTMR présente un mode principal à 8.5 GHz et un autre à 11 GHz avec des largeurs de raie respectives de 86 et 112 MHz. La bande de passante de l’oscilloscope a été limitée à 13 GHz pour cette mesure ce qui ne permet pas d’observer les fréquences harmoniques. L’échantillon LTMR montre un spectre similaire avec un mode principal à 7.4 GHz et un autre à 11.5 GHz. Les largeurs de raie de ces deux modes sont respectivement 70 et 33 MHz. Dans ce cas, la bande passante de l’oscilloscope est de 18 GHz, ce qui permet d’observer l’harmonique du mode de plus basse fréquence.

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Un échantillon LTMR qui présente une largeur de raie de 50 MHz est généralement dans le régime de précession entretenue.

150 0 5 10 0 200 400 600 800 1000 P S D (n V ²/ H z ) f (GHz) HTMR 0 1 2 3 4 -1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 1.5 V (m V ) t (µs) 0 5 10 15 f (GHz) LTMR 0 200 400 600 800 1000 P S D (n V ²/ H z ) (a) (b) (c)

Fig. IV.21 – (a) Spectre micro-onde d’un échantillon HTMR pour un champ appliqué de 500 Oe et un courant de -1.05 mA. (b) Spectre d’un échantillon LTMR pour un champ de 600 Oe et un courant de -0.7 mA. Les spectres présentés ici sont obtenus par analyse fréquentielle des mesures temporelles mais des mesures directes à l’analyseur de spectre montrent des résultats identiques. (c) Trace temporelle associée à la mesure (b). Dans le cas de l’échantillon HTMR, la bande de passante de l’oscilloscope est réduite à 13 GHz alors qu’elle s’étend jusqu’à 18 GHz pour l’échantillon LTMR.

Pour répondre à la question de la coexistence ou non des modes de précession, nous avons procédé à une analyse temps-fréquence de la trace temporelle, cf. paragraphe II.4.3.2. La figure IV.22 montre l’évolution temporelle du spectre d’émission des échantillons HTMR et LTMR. Le résultat est identique dans les deux cas mais l’effet est nettement plus marqué pour l’échantillon LTMR. Il apparaît clairement que les modes de précession ne coexistent pas, au sens propre du terme, mais sont présents de manière alternée dans le temps. Pour l’échantillon LTMR, on remarque que le mode à 11.5 GHz est présent la majorité du temps et que le mode à 7.4 GHz n’apparaît que sur une échelle de quelques dizaines de nanosecondes. Cet effet est également visible directement sur la trace temporelle, figure IV.21 (c), car la présence de l’harmonique confère à ce mode une amplitude bien supérieure à celle du mode à plus haute fréquence.

0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 x 10-6 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 f (G H z ) t (s) 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 x 10-7 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 f (G H z ) t (s) (a) (b)

Fig. IV.22 – Spectrogramme d’un échantillon HTMR (a) et LTMR (b) dans un régime d’oscillation multi- modes. Les conditions de mesure sont les mêmes que pour la figure IV.21. Les résolutions temporelles et fréquentielles sont respectivement de 1.28 ns et 390 MHz pour le cas (a) et 2.56 ns et 195 MHz pour le cas (b).

En ce qui concerne l’amplitude du signal, il est intéressant de noter que l’amplitude des pics dans les mesures spectrales est en fait une combinaison de l’amplitude d’oscillation du mode de précession et de sa durée d’existence. Comme le montre la figure IV.22 (b), dans le cas de l’échantillon LTMR, le mode à 7.4 GHz possède une amplitude ‘instantanée’ supérieure à celle du mode à 11.5 GHz mais du fait qu’il est peu présent, les deux pics montrent une amplitude comparable dans le spectre micro-onde figure IV.21 (b). Il est important de noter que, dans ce cas, l’amplitude de

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magnétorésistance dynamique déduite de la mesure spectrale ne correspond pas à l’amplitude réelle de précession de l’aimantation mais elle est pondérée par la probabilité d’existence du mode. L’analyse spectrale de tels oscillateurs n’est donc pas pertinente pour caractériser leurs propriétés liées à l’amplitude de précession. L’étude de l’échantillon HTMR mène à la même conclusion cependant les zones d’existence de chacun des modes sont plus délicates à définir car l’amplitude d’oscillation des modes fluctue fortement. On notera également que le temps de vie de chaque mode est court, de l’ordre de quelques nanosecondes, alors que le temps de vie du mode à 11.5 GHz de l’échantillon LTMR peut atteindre 500 ns.

La première conclusion importante de cette analyse est que les modes d’oscillation de forte amplitude ne coexistent pas mais apparaissent de façon alternée, du moins pour les échantillons à jonction tunnel dont nous disposons. Cette observation est en accord avec les prédictions théoriques. La sensibilité de la méthode de mesure ne nous permet pas de réaliser cette analyse pour de faibles valeurs de courant (dans le régime largement sous critique) et n’avons donc pas pu observer la coexistence des modes dans le régime de précession linéaire. La figure IV.23 montre l’évolution en courant de la puissance et magnétorésistance dynamique des modes de l’échantillon HTMR. Le mode de plus basse fréquence est représenté en rouge et le mode à plus haute fréquence en bleu. On observe une forte augmentation de la puissance du mode à plus basse fréquence alors que la puissance du mode à haute fréquence a tendance à saturer. En terme d’amplitude d’oscillation, on constate même une diminution de l’amplitude du mode à haute fréquence ce qui montre qu’il y a compétition entre les deux modes de précession et que le transfert de spin favorise le mode à plus basse fréquence au détriment du second. Comme nous venons de le préciser, la diminution de la magnétorésistance dynamique du mode à haute fréquence (bleu) ne signifie pas forcément que son amplitude de précession diminue mais il se peut que la durée d’existence de ce mode est de plus en plus courte lorsque le courant augmente.

Pour l’échantillon HTMR, la comparaison des spectres présentés avec de précédentes études expérimentales [148, 149] et théoriques [88] indique que les modes observés pourraient être des modes spatialement inhomogènes proches des modes propres du système magnétique. Les sauts stochastiques entre ces deux modes sont probablement d’origine thermique.

(b) -1.0 -0.5 0.0 0.04 0.06 0.08 I (mA) ∆ R ( Ω ) -1.0 -0.5 0.0 0.0 0.4 0.8 I (mA) P (n W ) (a) 8.5 GHz 11 GHz

Fig. IV.23 – Dépendance en courant de la puissance émise (a) et de la magnétorésistance dynamique (b) pour le mode à 8.5 GHz (rouge) et le mode à 11 GHz (bleu) de l’échantillon HTMR.

Le dernier point important à noter est que même en présence de plusieurs modes d’amplitude comparables, les pics de précession montrent des largeurs de raie très bien définies. Cette observation peut sembler en contradiction avec les exemples précédemment rencontrés où la présence de plusieurs

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modes était synonyme de pics larges. On peut par exemple se rappeler de la transition entre les modes

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f et f2 du polariseur perpendiculaire ou encore la dépendance en champ observée dans les jonctions tunnel, cf. figure IV.10 et figure IV.13. Par anticipation sur la partie suivante, nous pouvons dire que la largeur de raie dans un régime multi-modes dépend principalement du temps de vie des modes et de la largeur de raie propre à chaque mode. Dans un premier temps, on peut supposer que la largeur de raie est reliée à des fluctuations de fréquence du pic de précession, comme illustré figure IV.25. Il faut ensuite comparer le temps caractéristique de fluctuation de fréquence et le temps de vie de chaque mode pour savoir quel mécanisme domine. Si, comme dans le cas de l’échantillon LTMR, le temps de vie des modes (plusieurs centaines de nanosecondes pour le mode à 11.5 GHz) est bien supérieur au temps caractéristique des fluctuations de fréquence (de l’ordre de la dizaine de nanosecondes) alors la largeur de raie ne sera pas affectée par la présence de plusieurs modes. A l’inverse, si le temps de vie est de l’ordre de la nanoseconde alors la largeur de raie sera de plusieurs centaines de MHz.

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