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M ort et réincarnation

Dans le document « Tu es cela » (Page 29-58)

L

a mort est la donnée la plus certaine de notre réalité hu-maine et, en même temps, celle sur laquelle on a le moins de connaissances et sur laquelle les opinions les plus contradictoires font autorité : destruction, néant, paradis, réincarnation.

Dès qu’un enseignement est donné, il suscite immédiatement ses contradicteurs acharnés. Si vous cherchez dans l’héritage de la littérature sacrée, vous trouvez des textes qui paraissent manifestement se contredire, ne serait-ce que l’idée des naissances successives ou des réin-carnations telles que les comprennent la majorité des hindous et des bouddhistes et l’idée chrétienne d’un purgatoire, d’un paradis et d’un enfer avec une résurrection des corps sur laquelle les théologiens eux-mêmes ne sont pas tous d’accord.

N’imaginez pas que je vais traiter méthodiquement en une heure le thème de la mort et qu’à la fin de la réunion vous saurez enfin à quoi vous en tenir. D’autre part, quel intérêt peut présenter pour vous ce que je dirai moi ? Les hindous enseignent que... les bouddhistes témoignent que... les musulmans croient que... les athées sont sûrs que... les chrétiens affir-ment que... les biologistes démontrent que... les spirites prétendent que... et Arnaud dit que...

Par contre il est normal et légitime que vous vous posiez, vous, la question. Ce qui est tout à fait étonnant, c’est de voir que, à part quelques conversations philosophiques et une peur certaine chez les uns ou les autres, on vive comme si on ne devait pas mourir. Il y a un âge, parfois jeune, où soudain on découvre qu’on mourra, inévitablement et on en est plus ou moins fasciné, marqué : « C’est vrai que je mourrai. » Et puis, regardez, l’existence de chacun est menée comme si on ne devait jamais mourir. On n’envisage pour un instant sa mort à soi qu’au moment où on est vraiment confronté avec la mort des autres ou si on se croit menacé à la suite d’une hémorragie cérébrale, d’un ictus, d’un événement grave par lequel une vie, en effet, a été mise en cause.

Ce à quoi je peux vous amener, c’est à vous poser, vous, la question de ce que nous appe-lons « la vie et la mort ». Est-ce que je peux arriver, moi, à une certitude qui soit la mienne, maintenant, et non pas chercher dans des textes dont aucun ne peut vraiment me prouver ce qu’il me dit ? Vous ne pouvez trouver le secret de la mort que si vous trouvez le secret de la vie et le secret de l’être. J’ai dit souvent – mais c’est la première vérité qui doit être répétée – que les Orientaux et les Occidentaux ne sont pas conditionnés de la même manière à cet

égard. Les Occidentaux opposent la vie et la mort et les Orientaux opposent la naissance et la mort. J’ai fait autrefois ce test qui consistait à demander à plusieurs Occidentaux : « Ré-pondez sans réfléchir : Quel est le contraire de chaud ? Froid. Haut ? Bas. Court ? Long.

Mort ? Vie – toujours. » Mort/vie. J’ai fait le même test avec des Orientaux : Haut ? Bas.

Long ? Court. Réussi ? Raté. Mort ? Naissance. Chaque fois que j’ai dit mort, les Occiden-taux ont dit vie sans réfléchir, et chaque fois que j’ai dit mort, les OrienOcciden-taux ont dit nais-sance. Voici qui est important. C’est la naissance et la mort qui doivent être opposées.

L’expérience montre que ce qui a un commencement a une fin, à plus ou moins brève échéance, et que ce qui naît meurt. On a même calculé quand le soleil, notre soleil à nous, exploserait et cesserait d’exister.

Qu’est-ce qui meurt ? Nous vivons sur des postulats non vérifiés en ce qui concerne no-tre propre vie : comment pouvons-nous savoir ce qui se passe au moment de la mort ? Ce que nous disent les enseignements traditionnels, beaucoup plus intéressant que de nous par-ler d’un purgatoire ou d’un paradis ou même d’une réincarnation, c’est que nous ne connais-sons pas le secret de notre être, de notre conscience, que, dans cette vie, nous pouvons nous éveiller à notre réalité et que, si nous découvrons le secret de notre vie, par là même nous découvrons le secret de la mort. Qu’est-ce qui est certain ? C’est que le corps physique meurt et, sauf rarissimes exceptions « miraculeuses », il se décompose. Comme l’a dit le Bouddha :

« Tout ce qui est composé doit se dé-composer. » Les éléments qui ont été réunis se sépa-rent. Et, s’il est vrai que l’identification de la conscience à la forme physique peut être dépas-sée, comme l’affirment unanimement les différents enseignements spirituels, voilà déjà une première possibilité de comprendre la mort d’une manière profondément différente. Pour-quoi dire : « Quand je mourrai », « Quand tu vas mourir » ? Vous savez seulement : « Quand ce corps physique mourra. » Est-ce que, quand ce corps physique meurt, tout meurt ?

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La réponse à cette question est étonnante, troublante, difficile à accepter je le sais bien, parce que la question est totalement mal posée : « Qu’est-ce que la mort ? Qu’est-ce qui se passe quand on meurt ? » comme si la même chose se passait pour chacun. Et la réponse déroutante, perturbante, c’est que chacun ne vit pas le même événement lorsque le corps physique meurt. Il n’y a pas un phénomène passe-partout, identique. Les morts sont très différents.

Cette vérité, vous pourriez la retrouver plus ou moins directement exprimée dans les dif-férentes traditions. Les enseignements spirituels insistent sur ce que tous les hommes n’au-ront pas le même destin posthume, et qu’il est nécessaire de bien mourir et de bien se prépa-rer à mourir. Dans un langage que vous admettez ou non, il est dit : « l’homme qui meurt en état de péché et l’homme qui meurt en état de grâce ». Pourquoi, dans l’Eglise catholique, faut-il donner un sacrement aux mourants, pourquoi un mourant doit-il se confesser ? Pour-quoi est-il enseigné que, jusqu’à la dernière seconde, on a encore la possibilité de transfor-mer sa mort comme le bon larron sur sa croix ? Parce qu’un des deux prisonniers suppliciés en même temps que le Christ a dit : « Nous, nous méritons notre sort, mais Celui-là ne le mérite pas », le Christ lui promet : « Aujourd’hui même tu seras au paradis avec moi. » Que signifie cette parole ? Au moins une chose, c’est que les deux condamnés morts en même temps que le Christ n’auront pas eu la même mort. Le langage hindou ou bouddhiste et le

langage technique du yoga nous donnent plus de précisions encore. Elles tournent autour de cette vérité étrange, qui paraît presque injuste : tous les êtres humains n’ont pas la même mort. La question est donc très mal posée si on demande : « Qu’est-ce qui se passe après la mort ? » Non : « Qu’est-ce qui se passe pour chacun après la mort ? »

Croyez-vous vraiment que l’homme qui, dans un moment d’énervement, d’agitation, emporté par une émotion violente, que ce soit de fascination ou de haine, conduisant com-me un fou sa voiture, et qui s’écrase contre un platane ait la mêcom-me mort que Socrate entouré de ses disciples, donnant ses instructions, et buvant la ciguë en faisant de sa mort un ensei-gnement qui a survécu jusqu’à nous à travers Platon ?

La façon dont on meurt est décisive. Elle dépend de bien des éléments. Certains de ces éléments sont inconscients et ne se révèlent qu’à l’instant du décès, mais la façon dont on mourra se prépare.

Généralement l’idée que la mort n’est pas la même pour tous est mal reçue. Si on pou-vait être sûr que sa mort à soi sera le type supérieur de mort, égal à celle de Ramana Ma-harshi ou de Socrate, ça irait. Mais comme on n’en est pas du tout certain, il y a là comme une menace extrêmement troublante : « Mais comment, moi, serai-je prêt à bien mourir ? Est-ce que je vais y arriver ? » Si j’ai déjà plus ou moins raté mes études, plus ou moins raté ma vie sentimentale, plus ou moins raté ma vie professionnelle, plus ou moins raté l’éduca-tion de mes enfants, et si, en plus, on me menace de plus ou moins rater ma mort, c’est ac-cablant.

Dans l’éducation chrétienne, on a eu trop souvent l’impression qu’il suffisait de dire « Je crois en Dieu et je veux bien un prêtre » pour que la mort soit réussie. Certes, cette croyance peut orienter les pensées et les émotions d’une certaine façon par rapport à notre mort. Et, même si cette croyance était fausse, son résultat serait vrai : mourir sans peur, en confiance, sans résister, unifié dans cette mort, est tout à fait différent de mourir en ayant peur, en re-fusant, divisé, en conflit avec la loi naturelle. La croyance ordinaire du catholique moyen, si elle est tant soit peu sincère, joue un rôle de première importance pour lui permettre de mourir de façon juste. Encore faut-il que cette croyance ait des racines profondes. Mais tout n’est pas là.

Quand le corps physique cesse de fonctionner et que le processus de décomposition commence – ce que nous pouvons, nous, considérer comme le décès – qu’advient-il de la Conscience d’être ? Suivant que cette Conscience a été plus ou moins éveillée pendant l’exis-tence, la situation ne sera pas la même. Il y a dans la tradition hindoue une notion fonda-mentale, celle de la délivrance ou libération : moksha. Et la tradition hindoue distingue deux types de libération. Celle qu’on appelle jivan mukti, la libération dans cette existence, à l’in-térieur d’un corps physique encore vivant et videha mukti, la libération au moment de la mort. Mais, le plus souvent, il n’y a de libération ni dans cette existence ni au moment de la mort. Tout dépend du travail spirituel que vous aurez accompli dans cette incarnation, avec ce que les bouddhistes appellent « le précieux corps humain, si difficile à obtenir pour pou-voir œuvrer à sa propre délivrance ».

Tant que la conscience de soi est identifiée à l’individualité, moi avec mon histoire – les péripéties de mon existence, ce qui me met en cause, ce qui me protège –, la compréhension de la mort et de la survie ne peut pas être la même que si la conscience est libérée de cette identification au moi séparé du non-moi. Plus vous essayez de comprendre le secret de la vie, tant que vous êtes vivants, plus vous vous rapprochez du secret de la mort. Et, au

mo-ment où vous aurez réellemo-ment découvert le secret de votre conscience, où la réponse à la question « Qui suis-je ? » aura jailli du centre de votre être, vous aurez la compréhension réelle de ce que peut être la mort. Se poser la question intellectuellement ou émotionnelle-ment ne peut pas donner de réponse.

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Vous savez que l’homme est composé des cinq revêtements du Soi, des cinq koshas ou, selon une autre classification, des trois sharirs, des trois corps physique, subtil et causal.

Le corps physique, nous le voyons, est détruit par la mort. Que deviennent le corps sub-til et le corps causal ? D’abord quelle certitude personnelle pouvez-vous avoir qu’il existe un corps subtil et un corps causal ? Le corps subtil, c’est l’ensemble des pensées et des émotions.

Cela vous donne déjà une certaine idée, mais une première idée passagère, éphémère, parce que vous voyez un corps subtil changeant, que vous n’arrivez pas à saisir, fait de pensées suc-cessives et d’émotions sucsuc-cessives. C’est seulement par la rentrée en soi et la méditation que vous pourrez découvrir ce qu’il en est de la vie et de la mort. Mais vous pouvez personnelle-ment faire toutes les découvertes, y compris la découverte suprême qui sera, dans cette vie, la réponse suprême à la question. J’ai lu suffisamment de livres et de traductions en anglais ou en français pour pouvoir faire un exposé sur les doctrines concernant la mort et la vie pos-thume dans les diverses traditions, mais mon but est uniquement de pointer vers votre expé-rience personnelle, votre réponse personnelle à cette question. Et si vous comprenez le secret de votre mort, vous comprendrez aussi le secret de la mort, celle de votre mère, de votre pè-re, de votre fils, de votre sœur et de tous ceux qui vous entourent.

La libération est la découverte, dans cette existence, de la Conscience pure, la Cons-cience fondamentale que vous ne connaissez ordinairement qu’identifiée à des formes, iden-tifiée au corps physique, aux émotions et aux pensées liées au corps physique, par lesquelles vous considérez que le moi ou le je dont vous avez aujourd’hui l’expérience est l’ultime réali-té.

La Conscience peut être libérée de cette identification au corps physique, au corps subtil et au corps causal. Commençons par envisager ce point de vue suprême. Si cette Conscience s’est dégagée de tous ses revêtements, de toutes ces organisations physique, vitale, physiolo-gique, subtile, psychologique que nous appelons une individualité, elle se révèle immuable, sans changement, donc échappant au temps. Je reprendrai une fois encore la comparaison avec l’écran de cinéma sur lequel on projette un film. Le film peut durer une heure et demie mais, du début à la fin du film, l’écran, lui, ne change pas. Et l’éveil intérieur peut vous per-mettre de découvrir cette Conscience immuable, la même maintenant, tout à l’heure, ce ma-tin, hier, qui vous apparaîtra réellement comme un écran sur lequel se projette le film de vos sensations, de vos pensées, de vos sentiments. Vous ne pourrez plus dire que la Conscience est à l’intérieur du corps physique, du corps subtil et du corps causal, car, au contraire, le corps physique, le corps subtil et le corps causal seront perçus à l’intérieur de la Conscience.

Et vous aurez la réalisation intense que cette Conscience a toujours été là, identique. Elle était là hier, elle était là quand vous aviez vingt ans, elle était là quand vous aviez deux ans.

Et quand a-t-elle commencé ? Puisqu’elle est éternelle, en dehors du changement et en de-hors du temps, elle ne pouvait pas ne pas être là quand la naissance s’est produite.

Que savez-vous de votre propre naissance à l’intérieur du mental, de la dualité et de l’ex-périence courante de soi que les bouddhistes et les hindous appellent le « sommeil » ? Moi, Jean Dupont, je suis né à telle date. Que nous dit la nature ? Qu’un ovule et un spermato-zoïde ont fusionné pour produire une seule cellule avec un seul noyau. Et cette cellule, en neuf mois, est devenue un bébé. Le bébé encore à l’état de foetus a déjà une conscience, une mémoire et ce n’est pas exceptionnel que des psychiatres aient vu, dans les thérapies de ré-gression, un être humain retrouver des impressions et des souvenirs de l’époque fœtale ou prénatale. Quand cette conscience a-t-elle commencé chez le foetus ? Quand ? Un jour, un psychiatre dira : « Moi, je peux affirmer que, dans une thérapie de régression, quelqu’un a ramené à la surface non pas un souvenir de l’âge de trois mois, non pas le revécu de sa nais-sance (ce qui est admis maintenant à peu près généralement par d’innombrables médecins et psychologues) mais le souvenir d’un événement qui s’est réellement produit et a marqué la mère quand le foetus avait six mois. » Et puis un jour, un autre psychiatre affirmera : « Moi, j’ai la conviction qu’un de mes patients a revécu une expérience foetale remontant à l’âge de trois mois. » Et puis ?

Et puis ? Eh bien, vous n’êtes pas obligés de le croire, il y a des témoignages qu’en tout cas moi, Arnaud, j’ai de bonnes raisons de prendre au sérieux, selon lesquels certains êtres humains habitués à ces anamnèses, à ces plongées dans l’inconscient, ont revécu des souve-nirs montrant qu’il existe chez l’embryon une conscience susceptible d’enregistrer des im-pressions. Alors à quel moment cette conscience est-elle née ? Vous admettez que l’incons-cient ait enregistré des informations dont votre consl’incons-cient ne se souvient plus. La plongée dans l’inconscient – le véritable inconscient, pas simplement quelques émotions ou quelques souvenirs plus ou moins oubliés – peut permettre des découvertes qui deviennent des expé-riences de conscience tout à fait nouvelles par rapport à la connaissance qu’a de lui-même un homme de trente ans ou de quarante ans. Si cette conscience existait chez l’embryon, alors pourquoi n’existerait-elle pas déjà dans l’œuf lui-même ? Je ne cherche pas à vous donner cette espèce de vertige qu’une littérature moitié science (!)-moitié fiction procure à ses lec-teurs. Je veux rester dans une ligne acceptable pour ceux qui ont une certaine expérience de ces plongées dans l’inconscient. Mais ce n’est là qu’une approche. Il y en a bien d’autres et c’est en les confirmant les unes par les autres que vous arriverez peu à peu à ce qui a une chance d’être pour vous une certitude. Et non pas : il est écrit dans un livre une opinion que le livre d’à côté contredit.

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Appellerez-vous « vie après la mort » la prolongation sous une forme ou sous une autre de la conscience individualisée ? Ou appellerez-vous « vie après la mort » la réalisation d’une Conscience éternelle, illimitée, libre de tout changement qui est la Conscience pure, l’at-man ? Vous voyez qu’il y a là deux approches différentes. Si vous vous placez au point de vue ultime, au point de vue de la libération, la mort peut être vaincue dès cette existence par la découverte de cette Conscience, dont la lumière est telle que les phénomènes deviennent, par rapport à elle, totalement relatifs, comme la lumière d’une bougie par rapport à celle du soleil.

Si la découverte essentielle qu’on appelle la « réalisation » a été accomplie, il n’y a aucun doute. Qu’est-ce que la mort peut enlever ou ajouter à cette réalisation ? Le monde des

changements, des chaînes de causes et d’effets, sur le plan physique, le plan subtil et le plan causal, continue selon ses lois propres, mais la Conscience en est aussi libre que l’écran de cinéma est libre du film qu’on projette. Pourquoi, si vous le voulez de toutes vos forces, ne pourriez-vous pas y accéder ? Vous ne seriez pas le premier être humain qui y aurait consacré son existence, qui aurait mis en œuvre ce qui est nécessaire à tous égards et qui aurait suffi-samment purifié et raffiné ses instruments de conscience ordinaires pour s’établir dans cette Conscience ultime – que vous l’appeliez atman, boddhichitta, nature originelle, prajna, amrit.

Venons-en maintenant au point de vue qui demeure dans le monde des formes, forme

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